Aide en Philo

La nature se suffit-elle à elle-même ?

Extrait du document

« Introduction Nous nous représentons volontiers la nature comme un cadre, comme un environnement, un paysage : ce cadre peut alors exister avec ou sans nous.

Il faut peut-être revenir sur cette conception et l'interroger : la nature existe-t-elle en dehors du regard humain ? Se demander si la nature se suffit à elle-même, c'est justement poser cette question du mode d'existence de la nature, c'est se demander si oui ou non la nature a besoin de nous, de notre regard culturel, pour exister.

La nature est-elle, alors, une réalité donnée ou une réalité construite ? I - La nature se suffit à elle-même a) Si on prend la nature au sens propre, au sens d'un certain nombre de processus physiques et mécaniques tels que la science les analyse et en découvre les lois, alors on peut répondre que la nature se suffit à elle-même.

La nature se définira alors classiquement comme une substance (littéralement « ce qui reste dessous »), c'est-à-dire comme une base permanente au-delà des modifications et des accidents.

La nature telle que la science la comprend est le règne du nécessaire* : les lois qui la régissent ne sauraient être autrement, et leur application est implacable, avec ou sans nous.

Et l'homme, à sa manière, soumis à d'impérieux besoins naturels, ne peut qu'en témoigner : la nature n'a pas besoin de nous, elle est ce qui s'impose en nous.

La nature est la sphère de l'auto-régulation souveraine, la sphère de l'équilibre : quand notre bonne conscience écologique s'inquiète de cet équilibre naturel, elle présuppose que cet équilibre serait parfait sans nous. b) Mais justement, l'homme est dans la nature, il est aussi un être vivant comme un autre.

A ce titre, il a, comme tout vivant, des relations avec la nature, par l'intermédiaire d e son milieu.

L'homme, comme tout autre être vivant, est en situation dans un milieu naturel, avec lequel il entretient des relations dialectiques*, c'est-à-dire des relations d'élaboration réciproque.

Le milieu naturel change l'homme, mais l'homme change le milieu naturel : aussi la nature, même détournée par l'intervention de l'homme, reste bien la nature : et la disparition d e la couche d'ozone, quoiqu'évidemment due à l'intervention de l'homme, est encore une réaction naturelle, une présence de la nature.

C e à quoi nous nous référons quand nous employons le mot « nature » est donc toujours déjà marqué par l'intervention humaine. II - la nature n 'est pas un résidu a) La nature ne peut donc être abstraite de la présence humaine.

On peut toujours imaginer une nature auto-suffisante, et qui se définit en corollaire par sa faculté à satisfaire spontanément tous nos besoins ; mais cette nature rousseauiste reste abstraite et introuvable, elle ne correspond pas à une réalité qui elle, est toujours marquée par la présence de l'homme.

Même les sites qualifiés de naturels, comme la forêt vierge, le coin de verdure ou le parc naturel sont ce qu'ils sont par l'intervention de l'homme, si l'on admet que la non-intervention est aussi une forme d'intervention.

Du strict point de vue d e la nature, il n'y a pas d e différence entre la forêt amazonienne et une autoroute, qui sont deux résultats différents du dialogue entre l'homme et la nature.

Aussi la nature peut-elle se caractériser par l'intervention culturelle de l'homme : la nature, ce n'est pas le monde moins les hommes. b) A plus forte raison, l'idée d'une auto-suffisance de la nature doit être manipulée avec méfiance si l'on tient compte de l'utilisation que l'on peut en faire.

Cette idée sert en effet essentiellement à repousser le monde de la culture comme un inconvénient et une déviation, comme une maladie.

Mais la nature à laquelle se réfèrent ceux qui veulent vivre selon la nature et supprimer la culture est une nature imaginaire et dangereuse, parce qu'elle sert de norme d'exclusion, et d'instrument de mépris. III - La nature comme construction culturelle a) Alors il faut admettre l'idée d'un devenir culturel d e la nature, c'est-à-dire adopter la thèse selon laquelle la nature ne se suffit pas à elle-même.

Dans l'analyse hégélienne, la culture est le devenir-soi, le devoir-être de la nature ; et on pourra parler chez Hegel d'une libération spirituelle de la nature.

Dans l'idéalisme absolu de Hegel, la nature est en soi concept : dans son existence empirique, elle est enfermée dans la matière, qui est le négatif de l'esprit, soit son propre négatif.

Pour devenir lui-même, l'esprit doit surmonter cette négation, dépasser ce premier stade empirique, ce qui donne à la mort sa signification philosophique.

Dans la mort, la nature passe à son stade supérieur qui est l'idée, en supprimant la négativité de l'empirique : « le terme visé par la nature, c'est de se donner la mort à ellemême et de briser l'écorce de l'immédiat, du sensible » explique ainsi Hegel (§376, La Philosophie de la nature, in : Encyclopédie des sciences philosophiques, II ; cf.

cours, 2e partie, III).

Il y a donc un devenir proprement humain de la nature, par lequel elle devient ce qu'elle est, par lequel elle est révélée comme esprit. L'homme se distingue de toute la création naturelle en cela que dès qu'il est apparu, il s'est opposé à la nature, a lutté contre elle, et l'a niée.

Chaque conscience porte en elle la notion de deux règnes : le règne de la nature (ce qui est donné), et le règne de l'esprit (ce qui se conquiert par la lutte et le combat et par un travail d'arrachement de soi).

Le royaume de l'esprit, par opposition au règne naturel qui est donné, est le fruit de l'homme, d e ses oeuvres et d e son savoir, d e sa science et de ses réalisations techniques.

Ce n'est que par l'homme que l'es-prit peut se réaliser et passer à l'existence. Par l'esprit, l'homme manifeste son activité et réalise ses propres intérêts : l'homme est l'être en qui l'esprit agit.

L'idée de nature humaine, identique et universelle, valant pour tous les hommes en tout temps et en tout lieu, ne doit pas être comprise dans le sens étroit de fixité et d'immuabilité, mais au contraire dans le sens de l'universalité.

A la différence de toutes les choses naturelles qui sont déterminées et immobiles, condamnées à être ce qu'elles sont, à réaliser leur propre essence, l'homme seul est universel et aspire légitimement à l'universalité.

La nature de l'homme, c'est sa vocation à la totalité, à l'absolu, à l'Esprit. b) Plus largement, la nature ne saurait donc se suffire à elle-même, puisqu'elle a besoin de nous pour être ce qu'elle est.

Et de fait, toute idée de la nature ne saurait être que culturelle, et une nature débarrassée de l'homme ne renvoie qu'à de l'inimaginable.

Quand nous admirons la nature, c'est bien notre intervention (quels qu'en soient le degré et la portée) que nous admirons : « le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une oeuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité », explique Hegel.

De ce point de vue, l'idée de nature possède un statut analogue à l'idée de monde : il n'y a pas de nature sans sédimentation d'une activité et d'un regard humain, pas plus qu'il n'y a de monde sans représentation humaine du monde : ni l'un ni l'autre terme ne renvoient à des réalités objectives repérables. Conclusion L'intervention humaine est partie prenante du devenir de la nature : de ce point de vue la notion de nature n'est pas auto-suffisante.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles