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La nature invite-t-elle à la contemplation ou à l'action ?

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« Quand on parle de la nature, sans autre précision du terme, on veut dire la nature extérieure, c'est-à-dire la nature que nous avons sous les yeux, le spectacle, total ou partiel, qu'offre à l'homme le monde des êtres et des « objets » naturels, par exemple un paysage de montagne ou un coucher de soleil, mais aussi l'univers des éléments, forces, énergies, matières que les hommes exploitent à leur profit.

L'expérience et l'histoire des rapports entre l'homme et la nature montrent que, de fait, la nature est objet de contemplation et objet d'action : le poète contemple le ciel étoile et le menuisier travaille le bois pour en faire une table.

La question qui demande si la nature invite à la contemplation ou à l'action n'est-elle pas alors un faux-problème ? Supposons qu'il en soit ainsi et affirmons d'emblée que, puisque les hommes contemplent la nature et agissent sur elle, la nature invite les hommes à la contemplation et à l'action.

Non seulement cette affirmation n'est pas évidente, mais elle pose le problème qu'elle voudrait disqualifier. En effet, nous disons «la nature».

Donc nous parlons d'une seule et même nature, que celle-ci soit considérée en sa totalité ou dans l'une de ses parties : ce même soleil dont je contemple le coucher est aussi, comme source d'énergie, objet de la technique humaine.

Or contemplation et action s'opposent : contempler une chose, c'est la regarder sans agir sur elle, en s'abstenant même de toute «intervention» qui la modifierait; et l'action interrompt le cours de la contemplation.

Sans doute la nature est-elle pour l'homme objet de contemplation et objet d'action : il y a un temps pour contempler et un temps pour agir.

Mais nous disons ici « la nature invite à...

».

L'appel (ou la vocation) à la contemplation est supposé venir de la nature même, surgir de l'être de la nature.

Comment la nature peut-elle sans contradiction, sans se diviser d'avec elle-même, nous inviter à la fois à deux attitudes aussi opposées que le sont, à première vue, la contemplation et l'action ? Faut-il qu'une absurde volonté soit logée au coeur de la nature ? La nature est-elle double, ou son concept «dual»? L'opposition du contempler et de l'agir n'est-elle qu'apparente ? Avant d'affronter ces questions, la réflexion doit examiner les réquisits du sujet.

Si le professeur m'invite à me taire, il ne peut m'inviter en même temps à parler.

Si les ruines invitent, à la méditation sur la caducité des empires, elles n'invitent justement pas à l'action politique immédiate.

Quand le poète dit que la mer est une invitation au voyage, la mer ne peut pas être alors une invitation à ne pas partir.

Les hommes contemplent la nature et agissent sur elle : si les faits parlent d'eux-mêmes et nous disent la dualité de l'expérience humaine de la nature, ils ne nous disent pas laquelle de ces deux attitudes, contempler ou agir, est appelée par l'être même de la nature ou répond authentiquement à son invite.

Trancher la question de fait n'est pas résoudre la question de principe ou de droit.

C'est précisément parce que la nature est l'objet de deux conduites apparemment contraires de la part des hommes que l'on doit se demander laquelle des deux est en accord ou en harmonie avec la nature : des deux termes de l'alternative « contemplation ou action », lequel est kata phusin (selon la nature) ? On le voit : si l'on considère que la véritable sagesse consiste à vivre et à se Conduire selon la nature ou conformément à elle - ce qui présuppose que la nature est effectivement sage et vérace, qu'elle ne nous trompe pas, ne nous propose pas un modèle de sagesse contradictoire -, alors l'enjeu de la question est la sagesse.

De l'attitude ou de la vie contemplative, ou bien de la conduite ou de l'existence active, laquelle est véritablement sage d'une sagesse selon la nature ? La question ne semble se poser tout d'abord que sous trois conditions ou présupposés.

Premièrement, la nature dont on parle est la nature extérieure, c'est-à-dire le spectacle du monde naturel et l'univers physique ou matériel qui nous entoure ; à ce titre, la nature est ce qui nous invite à la contempler ou bien à agir sur elle ; principe ou source du contempler ou de l'agir, elle est aussi Vobjet de la contemplation ou de l'action.

Deuxièmement, dans l'expression «contemplation ou action», la disjonction est exclusive : les concepts de contemplation et d'action s'excluent mutuellement et, puisqu'il est ici question de la nature extérieure (spectacle ou environnement physique), la première opposition sera celle de la contemplation esthétique et de l'action technique.

Troisièmement, c'est dans la nature elle-même, in natura ipsa, non du côté de l'homme seul - le verbe «inviter» n'a pas ici de complément d'objet direct -, qu'il faut chercher en quoi et pourquoi la nature appelle contemplation ou bien action ; ou plutôt, s'il est impossible ou métaphysiquement illusoire de faire abstraction de toute expérience humaine pour penser la nature en soi et pour soi, c'est dans l'expérience la plus radicale ou la plus authentique de la nature qu'il faudra chercher quel est, de la contemplation ou de l'action, Vharmonique (l'«enharmonique») de la nature. Le problème posé est alors celui de l'être même de la nature, de son essence et de son sens, de sa vérité même en tant que celle-ci se dévoile au sein d'une expérience authentique et radicale de ce qu'elle est en soi et pour nous. En effet, quand on dit que la mer invite au voyage ou, mieux, qu'elle est invitation au voyage, on veut dire que le voyage est la vérité de la mer : parcourir son immensité, aller au-delà de l'horizon, traverser l'océan, découvrir des terres inconnues, etc., autant de révélation de la mer ou de modes constitutifs de sa vérité et de son sens.

Se demander si la nature invite à la contemplation ou à l'action, c'est alors s'interroger sur l'être-vrai de la nature et sur la relation la plus authentique et la plus radicale, la plus originaire et la plus vraie, que puisse nouer avec la nature l'être pour lequel elle existe et à qui l'on suppose ici que la nature s'adresse ou lance un appel.. »

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