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La mémoire suffit-elle à l'historien ?

Extrait du document

« [Introduction] J'ai avec mon passé personnel une relation privilégiée grâce à ma mémoire.

Et lorsque je lis un ouvrage d'histoire, c'est une autre relation au passé - et à un passé qui ne concerne pas que moi - qui m'est proposée par le travail qu'a accompli l'historien (s'il est sérieux).

On présente volontiers ce dernier comme un connaisseur du passé.

Mais commuent élabore-t-il une telle connaissance ? Se contente-t-il, comme je le fais lorsque je cherche à préciser ou situer un souvenir, de fouiller une mémoire ? Le récit historique peut-il, autrement dit, être assimilé à un recueil organisé de souvenirs ? Ou résulte-t-il d'exigences qui sont tout autres, parce que ses buts eux-mêmes excèdent largement les possibilités de la mémoire ? [I.

Quelle mémoire pourrait être en cause ?] Dans la vie quotidienne, sa mémoire suffit très vraisemblablement à l'historien comme à n'importe qui : lorsqu'il va faire son marché, il n'a pas besoin de se rappeler autre chose que les légumes ou les fruits qu'il doit rapporter...

On le considérera, pour donner quelque sens à la question, dans ses occupations professionnelles : en tant qu'historien, peut-il se contenter de faire appel à la mémoire ? De quelle mémoire est-il question ? Si c'est la sienne, elle trouve rapidement ses limites : elle peut connaître ce que l'historien a personnellement vécu, ou ce dont il a été témoin.

Hegel qualifiait de la sorte les tout débuts du récit historique, en soulignant au passage l'absence de recul du narrateur sur les événements, la façon dont il restait englué dans la mentalité de ses contemporains.

On n'aurait ainsi affaire qu'à des récits concernant un passé proche de leur moment de rédaction, qui pourraient constituer, à long terme, une accumulation de témoignages plus ou moins intéressants, mais certainement pas une connaissance historique. Peut-on penser alors que l'historien a intérêt à s'adresser à la mémoire des autres ? Si ces autres sont ses contemporains, la période concernée sera à peu de choses près la même, et cet ensemble de témoins partagera une mentalité commune : la situation ne s'améliore guère.

Elle s'améliore même d'autant moins qu'il y a de fortes chances pour que des contradictions se manifestent rapidement entre les diverses mémoires. Pour entamer sérieusement une recherche à propos du passé, on voit que l'historien ne peut faire confiance ni à sa propre mémoire, ni à celle de ses contemporains : il lui faut au moins se tourner vers des « mémoires » antérieures, c'est-à-dire vers tout ce qui peut témoigner, d'une manière ou d'une autre, de la période qui l'intéresse.

C'est le recours, sans surprise, aux documents écrits ou matériels : archives, monuments, Mémoires, presse (si l'époque étudiée en avait), témoignages volontaires ou involontaires - tout peut constituer une source de connaissances. [II.

Les apports possibles de la « mémoire » du passé] La question est de savoir si de tels ensembles de documents peuvent être assimilés à une mémoire, tant dans leurs apports que relativement à ce qu'y cherche l'historien. Sans doute présentent-ils quelques caractères généraux permettant de les nommer, au moins métaphoriquement, la « mémoire du passé ».

Ils énumèrent des faits qui ont eu lieu, et ils permettent éventuellement de les situer les uns par rapport aux autres.

Les documents ont même quelques défauts de la mémoire en général : ils peuvent être confus, erronés, de mauvaise foi , imprécis, etc., et ils ne manquent pas de donner des versions différentes d'un même événement (pensons par exemple aux articles de plusieurs organes de presse relatant un attentat politique ou la visite d'un monarque étranger), exactement comme les mémoires individuelles, toutes teintées d'affectivité, manquent d'objectivité.

Quant aux engagements idéologiques des témoins, ils faussent leurs comptes rendus avec une efficacité constamment redoutable, qu'il s'agisse de témoins anciens ou récents...

De telles comparaisons restent cependant anecdotiques, si l'on ne peut démontrer que le travail de l'historien n'obéit pas à des principes étrangers au fonctionnement de la mémoire. Qu'apporte une mémoire bien constituée et fiable ? Sans doute une série d'événements, en même temps que la possibilité de les dater, c'est-à-dire de les inscrire dans une chronologie homogène.

On peut admettre que, lorsque l'historien a mené à bien la critique, tant interne qu'externe, des documents dont il dispose, il est parfaitement capable d'élaborer l'équivalent d'un tel ensemble de « souvenirs » - à ceci près qu'ils sembleront particulièrement étendus dans la durée, n'appartenant pas à un vécu proche et renvoyant éventuellement à des événements très lointains.

Mais on ne pourra affirmer que la mémoire suffit à l'historien qu'après avoir vérifié que son travail n'ambitionne pas d'aller au-delà d'une telle collection de souvenirs datés. Or un récit historique a des ambitions bien différentes : il ne veut pas seulement fixer le passé, il entend en expliquer le déroulement. Et c'est pourquoi, loin de s'intéresser à la totalité de ce qui a eu lieu (c'est ce que pourrait faire une mémoire parfaite : garder le souvenir de tout), l'historien se doit de choisir les événements et de les organiser. CITATIONS: "Dans la mémoire le souvenir est présent et le passé se perpétue.

Il n'est jamais tout à fait passé...

La mémoire est affective et soude les groupes...

c'est elle qui fait de la communauté une habitation, un lieu où l'on peut s'installer." "L'histoire, en revanche, s'impose une démarche scientifique ...

elle s'impose de prendre une certaine distance à l'égard de l'événement, de traiter les actions et les faits avec le recul nécessaire à l'objectivité ...

" "Quand la mémoire parle elle n'argumente pas, elle rappelle." P.

Canivez, Eduquer le citoyen coll.

Optiques.

pages 113 - 114.

Hatier. "Les travaux des historiens nous apprennent que les mémoires collectives sont des reconstructions affectives partielles, partiales, voire largement mythiques." Pratique de la philosophie, Hatier page 225. "La lutte de l'homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l'oubli".

Milan kundera (ibidem page 285).. »

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