La conscience est-elle une connaissance de soi ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
CONNAÎTRE / CONNAISSANCE: 1.
— Être familier de quelqu'un ou quelque chose.
2.
— Discerner, distinguer quelque
chose : « Le premier et le moindre degré de connaissance, c'est d'apercevoir » (CONDILLAC) 3.
— Posséder une
représentation de quelque chose, en part.
une représentation exacte.
4.
— Connaissance: a) Acte par lequel un sujet
s'efforce de saisir de saisir et de se représenter les objets qui se présentent à lui.
b) Résultat de cet acte.
La conscience vient du latin conscientia, qui signifie « accompagné » (cum) de « savoir » (scire).
Être conscient signifie
donc que lorsque l'on sent, pense, agit, on sait que l'on sent, pense ou agit.
Mais il convient de distinguer la conscience
directe ou immédiate, qui accompagne ainsi tous les actes du sujet, de la conscience réfléchie, conscience qui se saisit ellemême comme conscience.
La première consiste à « avoir conscience », tandis que la seconde consiste à « être conscient
d'avoir conscience ».
Le passage de l'un à l'autre serait le fait de « prendre conscience ».
Si la conscience est le rapport que chacun entretient avec soi-même, on peut voir en elle la source d'une connaissance
de soi, d'autant plus que cette conscience repose sur un rapport intime et immédiat (sans intermédiaire), par opposition
avec la connaissance des objets du monde extérieur.
Cependant, n'est-ce pas précisément cette immédiateté qui fait
problème et qui, au lieu de la rendre possible, serait l'obstacle le plus sûr à la connaissance de soi-même?
1.
Réflexion ou narcissisme?
• « La structure essentielle de chacun de mes actes serait un rappel à moi », écrit Sartre dans La Transcendance de l'ego.
Toute conscience est comme un retour permanent sur soi, appelé réflexion : je veux boire ce verre = c'est moi qui veux
boire ce verre.
« C'est toujours une pensée de moi que je forme ou que j'ai, et en même temps une affection que j'éprouve
», écrit Alain (Éléments de philosophie, III, 11).
• Ce mouvement s'interprète de deux manières.
Premièrement, on peut dire que c'est lui qui rend possible la perception du
monde : si, en percevant ce verre, je ne sais pas en même temps que c'est moi qui perçois ce verre, c'est comme s'il y a
une perception du verre faite par personne.
Je ne me distingue plus des choses que je perçois, je ne suis plus un sujet qui
se distingue de l'objet de sa perception.
Cela arrive dans certains cas, que l'on appelle «pertes de conscience ».
• La Rochefoucauld suggère une interprétation morale de ce rapport à soi : je ne désire quelque chose ou quelqu'un que
pour assouvir mon propre désir.
Cet amour-propre « ne se repose jamais hors de soi, et ne s'arrête dans les sujets
étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre» (Maximes, 1693).
Cela rejoint le mythe
de Narcisse, tombé amoureux de sa propre image, aperçue en un reflet dans l'eau, et qui mourut du désespoir de ne
pouvoir être différent de lui-même.
L'amour de soi-même, ou narcissisme, est précisément l'obstacle qui rend complaisant
envers soi-même et empêche de se découvrir tel que l'on est.
11.
Une impossible introspection
• Comment interpréter la devise de Socrate : «connais-toi toi-même »? Toute connaissance a pour tâche de distinguer
l'essentiel de l'accidentel : si je veux faire un inventaire exhaustif de tout ce qui me constitue, impressions, pensées,
manières d'être, je vais confondre ce qui m'arrive au gré des circonstances avec ce qui me constitue tel que je suis.
Chercher ce que je suis, c'est chercher le principe qui préside à tout ce que je peux observer de moi.
• Mais cela risque de supposer un impossible recul par rapport à soi-même : comment observer objectivement sa propre
colère tout en la vivant? Auguste Comte pense que l'impossibilité est encore plus manifeste s'il s'agit d'observer les
phénomènes intellectuels en nous : «L'individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l'un raisonnerait, tandis que
l'autre regarderait raisonner.
» Ce qui rend pour lui l'observation intérieure, appelée introspection, impossible à mettre en
oeuvre (Cours de philosophie positive, leçon 1).
SUPPLEMENT: Connais-toi toi même
Il ne s'agit pas pour Socrate de se livrer à une investigation psychologique, mais d'acquérir la science des valeurs que
l'homme porte en lui.
Cette science importe essentiellement — bien avant de connaître la nature ou les dieux.
Comment
conduire sa vie pour être heureux ; voilà la question qui hante tous les hommes.
L'opinion, confortée en cela par les
sophistes, identifie le bonheur à la jouissance, au pouvoir, à la fortune, à la beauté.
Sans doute tout cela n'est-il pas
négligeable, mais ce sont là des biens équivoques qui peuvent nous être utiles, ou nous nuire selon les circonstances,
l'usage qui en est fait.
Pour qu'ils deviennent utiles, il faut que nous sachions nous en servir et si l'homme agit toujours en
vue de son bien propre, il peut se tromper sur sa définition.
Si nul n'est méchant volontairement, c'est d'abord parce que
nul ne veut consciemment se nuire à lui-même et donc ce n'est que par accident que la conduite qu'il adopte peut
éventuellement s'avérer mauvaise.
Par accident, non volontairement, il faut entendre par là par ignorance : si je ne
connais pas la hiérarchie des biens, je serai nécessairement malheureux.
Par exemple, celui qui consacre son existence à
acquérir la richesse, en viendra naturellement à nuire à autrui, donc il s'exposera à la rigueur de la loi ; de plus c'est là un
bien qui dépend en large partie du hasard et qui peut échapper à tout instant.
Il est donc inconcevable que sachant tout
cela on puisse vouloir agir de la sorte.
C'est la science qui détermine l'action, elle ne peut être vaincue par les passions,
seulement par l'ignorance.
Le primat donné à la science explique les railleries dont Socrate accable aussi bien les institutions, en particulier le tirage
au sort des magistrats, que l'inspiration qui permettrait à certains de bien agir par une sorte d'illumination.
Faisant confiance au savoir et pensant que tous les hommes — fut-ce l'esclave — portent en eux le germe de ce savoir,
c'est une vision délibérément optimiste que Socrate offre de l'humanité..
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