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La communication avec autrui ?

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« VOCABULAIRE: COMMUNIQUER / COMMUNICATION: Transmission d'informations ou de signaux à l'aide d'un code.

Échange d'un message entre un récepteur et un émetteur (aussi bien animaux qu'humains). AUTRE / AUTRUI : 1) Comme Adjectif, différent, dissemblable.

2) comme Nom, toute conscience qui n'est pas moi.

3) Autrui: Tout homme par rapport à moi, alter ego: "Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire ce moi (ego) qui n'est pas moi (alter)." (Sartre).

Les autres hommes, mon prochain.

C'est à la fois l'autre et le même (mon semblable, un moi autre, une personne). Une chose est d'identifier autrui, de le reconnaître comme tel, autre chose de le comprendre.

Proust[1] rappelait qu'on peut toujours parler de « deux moi ».

Il y a le « moi social », extérieur, celui qui se donne à voir aux autres, « que nous manifestons dans nos habitude, dans la société, dans nos vices » et il y a le « moi privé », plus secret, plus profond impénétrable (« Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c'est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir.

») Mais comment pourrais-je jamais communiquer ce dernier aux autres ? Et autrui, pour sa part, risque bien de m'échapper à jamais et de me demeurer aussi étranger que je le suis pour lui.

Car après tout, je suis seul à vivre ce que je vis comme je le vis, mon point de vue sur les choses, la manière dont elles m'affectent sont uniques.

On peut bien dire, comme Leibniz, que chaque conscience constitue une unité spirituelle solitaire qui réalise un point de vue sur le monde différent de tous les autres.

Il y a donc au départ le drame de l'incompréhension. Il y aurait pourtant selon Proust, un domaine d'expression à travers lequel une communication authentique des consciences est rendue possible : c'est l'art, lequel permet une participation effective et affective au monde qu'on croyait à jamais privé et séparé de l'autre.

L'expérience de l'oeuvre d'art est à interpréter comme une saisie absolue, une plongée brusque dans l'univers d ‘une autre conscience.

Il faudrait voir comment une expérience comme la lecture, qu'on a souvent interprétée comme une manifestation de repli sur soi, de rejet symbolique du monde des autres est peut- être en fait la seule véritable ouverture à l'altérité.

Proust est antisocratique et ne croit pas aux vertus du dialogue entre amis qui, selon lui, ne dépasse pas le stade d'un échange superficiel de généralités).

: « Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune.

Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Vermeer, nous envoient encore leur rayon spécial.

» (« Le Temps Retrouvé ») Au creux de la solitude de mon émotion artistique, se loge l'ouverture enfin ménagée à l'altérité. Certes on peut toujours dire qu'autrui me communique ses impressions par le langage.

Il est, sans doute, le moyen de communication le plus usuel avec autrui, mais il traduit surtout des données objectives, générales et semble impropre à l'expression du singulier, des sentiments.

D'où l'idée qu'il n'y aurait de véritable communication que dans la communion des personnes et des sentiments.

De ce point de vue, Gaston Berger affirme que « l'homme est condamné, par sa condition même, à ne jamais satisfaire un désir de communication auquel il ne saurait renoncer.

» Chacun est enfermé dans la souffrance, isolé dans le plaisir, solitaire jusque dans la mort.

Mon ami souffre, je peux bien souffrir de le voir souffrir, mais je souffre autrement que lui : je ne suis jamais tout à fait avec lui.

On pourrait certes objecter que, dans ce cas, s'il y a séparation entre moi et mon ami, c'est parce qu'il y a une distance entre les expériences vécues.

Je ne souffre pas pour la même raison que mon ami.

Qu'en est-il dans le cas où deux êtres qui s'aiment sont confrontés à une même épreuve ? Dans l'amour ou l'amitié, est-ce que je ne connais pas suffisamment l'autre pour éprouver de l'intérieur une souffrance identique ? On peut toujours répondre que chacun ne souffre jamais que pour soi en fonction de son vécu passé, de la personnalité, qu'on peut partager ce que l'on a mais non ce que l'on est, et conclure avec Berger que « l'univers des autres m'est aussi exactement interdit que le mien leur est fermé » (« Du prochain au semblable »). Seule la subjectivité est, en effet, une existence véritable.

En d'autres termes, le fait d'être est ce qu'il y a de plus privé.

Mon existence est la seule chose que je ne puisse communiquer.

Je peux la raconter mais je ne peux la partager.

Vision pessimiste ? Non, car la sympathie est tout autre chose que la fusion des sentiments et des personnes.

Elle est compréhension affective d'autrui.

Je peux saisir ses sentiments, sans pour autant les éprouver moimême.

Je peux ainsi sympathiser avec des sentiments que je n'ai jamais éprouvés et des situations que je n'ai jamais vécues. Dès lors il faudrait poser, au fondement de nos relations à l'autre, un sentiment qui nous permette de comprendre directement les expressions d'autrui, une sympathie qui nous fasse partager ses impressions.

Ce principe de participation affective doit cependant bien être distingué d'un état de fusion totale, d'identification complète, qui serait l'absorption de deux ou plusieurs identités dans un état collectif indifférencié.

La compréhension d'autrui suppose une mise en oeuvre de la distance. Depuis le XVII ième, on oppose, pour expliquer la compréhension d'autrui, aux séries ramassées de jugements rationnels, les mouvements du coeur et de la sensibilité tellement plus pressants, et plus susceptibles enfin de fonder une communion des personnes que les froids syllogismes de l'intelligence.

Mais ces communications privilégiées, rappelle Scheler, ne doivent pourtant pas être confondues avec un simple entraînement mécanique des consciences. « C'est le cas de la simple contagion affective.

C'est ainsi que la gaieté qui règne dans une brasserie ou dans une fête se transmet instantanément à toute personne venant du dehors ; même si cette personne a été, quelque instants auparavant, envahie par la tristesse, elle est pour ainsi dire « entraînée » par la gaieté générale, emportée dans son courant.[...] On peut en dire autant de la contagion du rire à laquelle « succombent » principalement les enfants, et plus particulièrement les enfants du sexe féminin, moins sensibles et ayant les réactions plus faciles.

C'est ce qu'on observe également dans les cas où plusieurs personnes subissent la contagion du ton plaintif de l'une d'elles: il suffit que, dans une société de vieilles femmes, l'une commence à parler de ses souffrances ; pour que toutes les autres se mettent à sangloter. Tout cela n'a absolument rien à voir avec la sympathie : il n'y a là ni intention affective à l'égard de la joie ou de la souffrance d'autrui, ni participation à ses expériences internes.

Ce qui caractérise plutôt la contagion, c'est qu'elle s'effectue entre états affectifs et ne suppose, en général, aucune connaissance relative à la joie d'autrui.

C'est ainsi qu'on a souvent l'occasion de constater que tel sentiment de tristesse qu'on éprouve est né d'une contagion contracte dans une société dans une société dans laquelle on s'était trouvé quelques heures auparavant.

Dans cette tristesse même, il n'y avait rien qui fût de nature à révéler ses origines ; ce n'est qu'à la suite d'induction et d'un raisonnement causal qu'on se rend compte de ses origines.

Une pareille contagion peut se produire également indépendamment de toute expérience affective d'autres personnes.

Les qualités objectives de certains sentiments que nous rattachons, sous leurs dénominations humaines, à la nature ou au « milieu », lorsque nous parlons de la gaieté d'un paysage printanier, de la sombre tristesse d'un jour de pluie, de la misère maussade d'une chambre, peuvent en ce sens exercer une contagion sur nos états affectifs.

Nous subissons la contagion involontairement.

Ce qui caractérise ce processus (de la contagion), c'est sa tendance à revenir sans cesse à son point de départ, ce qui a pour effet une exagération des sentiments qui s'amplifient à la manière à la manière d'une avalanche.

Le sentiment né par contagion agit à son tour d'une façon contagieuse, par l'expression et à la faveur de l'imitation, sur d'autres personnes ; le sentiment ainsi produit chez celles-ci réagit, toujours par contagion, sur sa première source affective ; celle-ci en subit une amplification et contamine de nouveau les personnes voisines dont les sentiments subissent également une amplification, et ainsi de suite.

» Scheler, « Nature & formes de la sympathie ». De plus, l'idée d'une fusion avec autrui qui serait une confusion entre deux êtres est, comme le souligne Lévinas, « une fausse idée romantique ».

Le pathétique de la relation à autrui, de l'amour, consiste précisément dans « le fait d'être deux », et que « l'autre y est absolument autre ».

Poser autrui comme autre, comme liberté, ce n'est pas reconnaître l'échec de la communication, mais l'échec « du mouvement qui tend à saisir ou à posséder une liberté ». « Autrui, en tant qu'autrui, n'est pas seulement un alter ego.

Il est ce moi que je ne suis pas : il est le faible alors que moi je suis le fort, il est le pauvre, il est « la veuve et l'orphelin ».

Il n'y a pas de plus grande hypocrisie que celle qui a inventé la charité bien ordonnée.

Ou bien il est l'étranger , l'ennemi, le puissant.

L'essentiel c'est qu'il a ces qualités de par son altérité même.

L'espace intersubjectif est initialement asymétrique.

L'extériorité d'autrui n'est pas simplement l'effet de l'espace qui maintient séparé ce qui, par le concept, est identique, ni une différence quelconque selon le concept qui se manifesterait par une extériorité spatiale.

C'est précisément en tant qu'irréductible à ces deux notions d'extériorité que l'extériorité sociale est originale et nous fait sortir des catégories d'unité et de multiplicité qui valent pour les choses, cad valent dans le monde d'un sujet isolé, d'un esprit seul.

L'intersubjectivité n'est pas simplement l'application de la catégorie de la multiplicité au domaine de l'esprit.

Elle nous est fournie par l'Eros, où, dans la proximité d'autrui, est intégralement maintenue la distance dont le pathétique est fait, à la fois, de cette proximité et de cette dualité des êtres.

» Lévinas. MODÈLE. Comment peut-on définir autrui ? 1) Autrui est différence et non ressemblance. 2) L'existence d'autrui est sociale et non spatiale. 3) La relation à autrui se fait dans une intersubjectivité marquée par l'Eros. 1) Qu'est ce qu'autrui ? La réponse la plus simple, s'appuyant sur le mot même est qu'autrui est quelqu'un d'autre.

Donc quelqu'un de différent.

Mais généralement, aussitôt nous avons peur de cette différence, nous cherchons même à la gommer.

Aussi nous tenons à atténuer les choses en disant tout aussitôt que cet autre est un autre nousmêmes : un « alter ego ». Lévinas prend le contre-pied d'une telle approche vaguement conciliatrice.

Pour lui autrui est un autre, au sens plein.

Un autre que moi-même et donc d'emblée différent de moi.

Au point d'ailleurs d'affirmer autrui par lui-même (et non par rapport à mon point de vue), d'en faire le centre à partir duquel il est alors possible de me définir : « il est ce que moi je ne suis pas » .

Comme si –de mon côté- il manquait de l'être (« je ne suis pas » ), et qu'au contraire –de son côté- il était (« il est » ) dans la plénitude de l'être. Mais, par un renversement paradoxal, Lévinas, dans la relation qu'il suppose, fait d'autrui quelqu'un qu'on serait tenté de définir comme inférieur : expressément de « faible » et de « pauvre ».

Ce qui ne peut que nous interpeller car, dès lors, autrui n'est pas un autre nous-mêmes.

Au contraire, nous devons le reconnaître dans sa différence même –et peut-être même pressentir que cette faiblesse et cette pauvreté, c'est justement ce qui fait son prix.

Ce qui fait que nous devons nous sortir de nous-mêmes et nous porter vers lui.

C'est seulement l'infériorité (relative) d'autrui qui peut mettre en question notre capacité d'altruisme.

Ce que suggère pleinement la formule convenue de « la veuve et de l'orphelin » -qui ne manque pas de nous faire songer à l'obligation morale où se trouve, dans le monde féodal, le chevalier à se porter au secours de ceux que les hasards de la fortune risquent de livrer à la dureté du monde. Aussi, Lévinas juge-t-il sévèrement l'idée qui préside à la formule qu'il tronque, mais que tout lecteur reconstitue : charité bien ordonnée commence par soi-même.

C'est le contraire même de la vertu cardinale de la charité, qui consiste à aimer autrui au-delà de sa différence ou dans sa différence même.

Mais Lévinas, de manière réaliste, peut tout aussi bien supposer qu'autrui est peut-être quelqu'un qu'on serait tenté de définir comme dangereux et supérieur : expressément étranger, ennemi, puissant.

Nous sommes loin de l'expression fade de l' « alter ego ». Loin de la croyance habituelle d'une égalité entre les hommes.

Lévinas avance au contraire le thème de l'inégalité fondamentale de toute rencontre.

Chacun de nous n'est ni. »

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