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Faut-il dire la vérité ?

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« Introduction. Le mensonge proprement dit est condamnable.

En résulte-t-il que nous devions toujours dire la vérité, en toute circonstance? I.

Comment il faut dire la vérité à autrui. Remarquons d'abord que, même lorsque nous croyons pouvoir dire à quelqu'un une vérité qui risque de le blesser ou de lui être désagréable, nous devons le faire avec prudence, avec ménagement et sans froisser les sentiments intimes ou l'orgueil légitime de celui à qui nous nous adressons.

Nous devons le faire, non comme un ennemi qui le ferait avec une joie mauvaise, mais comme un ami qui, avec discrétion et avec tact, attire l'attention sur certaines faiblesses, certains défauts ou certains dangers extérieurs dont notre interlocuteur peut avoir à souffrir.

Ceci est surtout vrai quand nous avons affaire à certaines âmes délicates, timides ou trop sensibles, que la révélation trop brutale de la vérité pourrait désemparer. II.

Les vérités inopportunes. Mais il faut aller plus loin et, entrant au coeur de la question, nous demander si, selon un proverbe bien connu, la vérité est toujours « bonne à dire ».

Examinons d'abord quelques cas particuliers. A.

— Il y a d'abord le cas de l'enfant.

L'enfant vit dans un monde de rêve où dominent le merveilleux et parfois le poétique.

Il serait absurde et criminel de briser cette sorte d'enchantement dans lequel il vit, en lui révélant brutalement certaines vérités, d'ordre biologique ou autres, qu'il est trop jeune pour connaître et savoir mettre à leur juste place : maxima debetur puero reverentia, disaient les anciens (JUVÉNAL, Sat.

XIV, 47).

C'est en ce cas surtout qu'on peut dire avec SHAFTESBURY : « Dire la vérité à ceux qui ne sont pas en état de l'entendre, c'est la profaner.

» B.

— La même réserve s'impose parfois à l'égard du malade.

Mais, ici, le problème est plus difficile à résoudre, et il s'agit, en somme, de cas d'espèce.

Faut-il « dire la vérité » à un malade dont la vie est sérieusement en danger, mais qui a encore quelques chances de guérir? Tout dépend des circonstances.

Dans certains cas, la révélation, même prudente, de la vérité risque de créer en lui un état d'angoisse qui empêchera sa guérison.

Dans d'autres cas, au contraire, par exemple si le malade a des convictions religieuses, s'il est croyant, ce sera un devoir de l'avertir, toujours avec prudence, du danger qu'il court, pour qu'il puisse mettre sa conscience en règle, en harmonie avec ses convictions.

Mais, évidemment, ce devoir incombe à ses proches ou à ses amis intimes, et à eux seuls. Bien d'autres cas pourraient être examinés.

Mais on peut dire qu'en règle générale, la conduite à tenir dépend du « climat » moral sous lequel vivent ceux à qui nous devons la vérité. III.

Vérité et société. La question peut se poser aussi sur le plan social. A.

— Certains auteurs ont parlé des « mensonges sociaux n, nécessaires selon eux à la conservation et à l'équilibre des sociétés.

Et certes, si l'on considère l'histoire des sociétés humaines, on s'aperçoit que les superstitions, les préjugés, les croyances sans fondement ou même absurdes y ont tenu une grande place.

Les auteurs marxistes ont insisté sur le rôle de l'idéologie, c'est-à-dire des représentations illusoires, dans la vie des sociétés stratifiées en classes.

D'autres, comme Georges SoREL (1847-1922), ont montré le rôle des mythes dans la pensée collective.

— Mais, à vrai dire, il ne s'agit pas ici, du moins dans tous les cas, d'altérations voulues de la vérité.

Les idéologies, écrit K.

MANNHEIM (Idéologie et Utopie, trad.

fr., p.

42), sont « des travestissements plus ou moins conscients de la nature réelle d'une situation »; mais « ces déformations s'échelonnent depuis les mensonges conscients jusqu'aux déguisements à demi conscients et involontaires, depuis les efforts calculés pour duper autrui jusqu'à l'illusion personnelle ».

DURKHEIM a même parlé (Pragmatisme et Sociologie, p.

175-177) de « vérités mythologiques » qui « ont été, dit-il, les conditions d'existence des sociétés qui y ont cru ».

Ces créations mythologiques n'étaient pas, ajoute-t-il, « de pures fantasmagories »; elles étaient l'expression idéalisée d'une réalité : la structure sociale des groupes qui les ont conçues et, « fausses par rapport aux choses », elles étaient « vraies par rapport aux sujets qui les pensaient.» Le vrai problème est ici de savoir dans quelle mesure un leader politique.

un chef d'État, etc., a le droit, s'il a pris conscience du caractère mythique et semi-illusoire de ces représentations collectives, de les dénoncer comme fausses.

Le respect de la vérité exiget-il qu'il le fasse? Ici encore, tout est affaire de nuances et d'opportunité.

Les peuples, comme les enfants, ne sont pas toujours capables de supporter la vérité, et il y a même certaines idées qui, pour vraies qu'elles soient, ne doivent pas, sans prudence, être répandues prématurément chez des peuples encore insuffisamment évolués pour les recevoir. B.

— Dans les périodes de crise, en particulier, la plus grande circonspection s'impose.

A la veille de la guerre de 1914, un grand homme d'État français, dans une proclamation adressée à la population à propos de la mobilisation générale qui venait d'être décrétée, employa cette formule : « La mobilisation n'est pas la guerre.

» Il serait facile de l'accuser de mensonge; car il était déjà évident, pour tous les gens informés, que la guerre était déjà devenue à peu près inévitable.

On s'explique cependant fort bien qu'en vue de ne pas affoler l'opinion cet homme d'État ait cru pouvoir voiler la vérité.

— A plus forte raison, pendant la guerre elle-même, c'est souvent un devoir de ne pas dire la vérité à l'ennemi.

Combien de résistants, pendant la seconde guerre mondiale, ont payé de leur vie l'héroïque résolution de se taire ou de donner des renseignements faux à l'ennemi! Mais la guerre est évidemment un cas tout spécial : c'est la rupture de toutes les relations sociales normales. Conclusion. Nous avons, en principe, le devoir de dire la vérité.

Mais il serait pharisaïque d'en conclure que la vérité peut être dite sans ménagement et sans réserve à n'importe qui et en n'importe quelle circonstance.. »

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