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Exister, est-ce risquer sa vie ?

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« Dans le langage courant, risquer sa vie signifie l'exposer à un danger, en l'occurrence celui de la mort.

Risquer sa vie c'est donc risquer la mort, de sorte que la vie, l'existence, a tout intérêt à éviter de prendre ce risque si elle ne veut pas par là même se détruire.

Mais le risque de la mort est partout, et il n'est pas facile de l'éviter : lorsque je traverse la rue, lorsque je prend l'avion, dans quantité d'actes de ma vie quotidienne, je m'expose toujours à un danger de mort.

Ne pas risquer sa vie signifierait alors mener une existence frileuse, loin de monde, close sur ellemême et, en définitive, sans intérêt.

Dès lors, la valeur de notre existence, son sens, ne viendraient-ils pas précisément du risque fatal que nous lui faisons courir sans cesse ? Il faudrait alors donner raison à la sagesse populaire lorsqu'elle dit que « qui ne risque rien n'a rien ».

Il se pourrait bien en effet que la prise de risque, quant à notre vie, soit la condition de notre existence en tant qu'homme. I – Exister, c'est viser sa propre conservation - - L'homme cherche naturellement à préserver sa vie, à se mettre à l'abri du risque.

Ainsi, le passage de l'état de nature à la société civile est motivé par le désir commun qu'ont les hommes de ne plus vivre en permanence sous la menace d'un danger mortel.

Hobbes décrit en effet l'état de nature comme un état de guerre permanente : chacun cherche à surpasser ses semblables, et celui qui parvient à dominer l'autre n'est jamais à l'abri d'un renversement de situation, car le plus faible est toujours assez fort pour vaincre le plus fort (par la ruse par exemple).

Dans cet état de guerre permanent, la mort, si elle n'est pas nécessairement visée (l'esclavage suffit pour dominer l'autre), est un accident largement répandu.

L'homme a donc toujours la crainte d'être tué, et cette crainte, partagée par tous, détermine les hommes à fonder la société, dont le souverain a pour principale mission d'assurer la paix et la sécurité de tous. De même, à un niveau individuel (et non plus collectif), Spinoza nous enseigne que l'homme obéit à un principe vital, celui du conatus, qui désigne l'effort, la tendance naturelle de l'homme à persévérer dans son être, c'est-à-dire à accroître sa puissance.

C'est là l'essence de l'homme.

Toute prise de risque quant à sa vie apparaît alors contraire à son essence, car elle pourrait précisément lui ôter cet être, cette vie, dans lesquels il tend à persévérer.

Si l'essence de l'homme consiste en un vouloir vivre, dans une continuation de soi, cela exclut tout comportement dans lequel il met sa vie en jeu. Risquer sa vie c'est donc se condamner à ne pas réaliser son essence, à ne pas accomplir son existence d'homme. II – L'existence suppose aussi la lutte pour la survie : par là elle met nécessairement notre vie en jeu - - La société assure certes aux hommes la sécurité, mais elle n'élimine pas pour autant le risque de mort.

En effet, les inégalités qui existaient dans la nature (inégalités de force physique par exemple) ne sont pas éliminées par le passage à l'état civil, elles sont simplement transformées, elles changent de nature (on parle alors d'inégalités sociales).

Ces inégalités créent entre les hommes des rapports de force, de sorte qu'il y a toujours, comme à l'état de nature, un plus fort et un plus faible. Mais comme à l'état de nature, ces rapports ne sont pas figés, car le plus fort peut passer à l'état de faiblesse, le maître devenir esclave, et inversement, comme nous l'indique Rousseau dans le Contrat social : « Tel se croit le maître des autres qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux ».

Car il suffit que le plus faible, se sentant menacé, décide de changer l'ordre des choses, en risquant, si besoin, sa propre vie : « Tout homme a droit de risquer sa propre vie pour la conserver […].

Le contrat social a pour fin la conservation des contractants.

Qui veut la fin veut aussi les moyens, et ces moyens sont inséparables de quelques risques, même de quelques pertes.

Qui veut conserver sa vie aux dépens des autres doit la donner aussi pour eux quand il faut ».

Le contrat social ne nous garantit pas de la mort, bien qu'il en limite la possibilité ; la société repose donc elle aussi sur le risque de mort, dans l'intérêt parfois de sa propre conservation. Plus qu'un « droit » pour exister, risquer sa vie est la condition nécessaire de notre existence.

Pour Hegel, exister c'est par définition risquer sa vie, puisque exister c'est vouloir être reconnu par l'autre, et que cette reconnaissance ne s'obtient qu'au terme d'une confrontation dans laquelle chaque conscience joue sa vie.

Chaque conscience de soi en effet, prétend à la reconnaissance. Cette reconnaissance se voulant exclusive, elle a besoin, pour se réaliser, de la mort de l'autre.

Mais en mettant l'autre en danger, la conscience permet justement à cet autre de s'apparaître à lui-même comme conscience.

Cela signifie qu'en prenant chacune le risque de sa propre vie, chaque conscience se révèle comme existant d'une manière particulière, qui n'est pas celle de l'animal ou de l'objet.

L'animal vit en soi, c'est-à-dire clos sur lui-même, enfoncé dans sa vie.

En risquant sa vie au contraire, la conscience humaine prouve qu'elle est capable de s'arracher à la vie immédiate, de se dépasser elle-même, de vivre pour soi.

C'est là le sens premier, étymologique du mot exister : se tenir hors de, sortir de son être en latin.

Le risque est donc la marque, et même la condition d'une existence proprement humaine : exister, c'est-à-dire se réaliser comme conscience, n'est possible qu'en mettant sa vie en jeu, dans l'affrontement avec une autre conscience. III – Faire le choix de risquer sa vie, pour donner un sens à son existence. »

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