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Existe-t-il un monde des Idées ?

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« Notre sujet, par la graphie qu'il présente du terme « idée », possède une résonance fortement platonicienne. En effet, l'œuvre de Platon est certainement celle qui donne le plus d'importance à l'Idée ; cependant, remarquons plusieurs choses : 1/ Platon ne fait pas un usage de l'idée qui la réduirait à une construction psychologique ; l'Idée est bel et bien réelle.

2/ Platon n'est pas le seul à élaborer une telle position idéaliste : Hegel, Kant ou Schopenhauer parle tous de ou des Idées.

3/ Enfin, si l'on attribue à Platon l'expression « monde des Idées », celleci ne figure nulle part dans son œuvre.

Ainsi, si nous pouvons trouver chez Platon de quoi penser un « monde des Idées », du moins une consistance et une réalité des Idées, nous devrons nous tourner vers d'autres philosophes pour chercher à savoir dans quelle mesure l'on peut dire qu'un monde des Idées existe ou non.

En effet, même Nietzsche, qui critiquera les arrière-mondes de type platonicien, savait qu'il ne s'agissait pas là d'un monde parallèle. Ce qu'il nous faut interroger c'est à la fois le statut de l'Idée et la façon qu'elle a d'être réelle, c'est-à-dire ce qui lui confère une fonction si particulière.

Nous verrons dans quelle mesure le monde des Idées reste lié sur ce point au problème de la rationalité. I – Platon et l'eidos La présentation des philosophes a toujours tendance a produire une image biaisée de leur doctrine, surtout quand, par souci de clarté, on omet tous les doutes qui la parsèment, les critiques que l'auteur s'adresse à lui-même voire les passages flous et peu précis.

Radicalisant ce qui semble constituer l'essentiel, on obtient alors une image des systèmes certes fidèle, mais grossière.

Il en va ainsi de Platon, que l'on décrit comme le penseur du « monde des Idées », lieu supposé « réel » et propre à dévaloriser notre monde sensible.

Or, si Platon pense bien les « Idées », il ne faut pas dissimuler les nuances de sa doctrine ni masquer ses objectifs principaux. D'abord, disons que l'Idée platonicienne n'a rien de l'idée individuelle et psychologique (d'où la majuscule).

Le terme grec qu'emploie Platon est eidos et il se traduit tantôt par Forme, tantôt par Idée.

Il ne s'agit pas de l'idée que nous nous formons d'une chose, mais de son essence, de sa nature propre.

Par exemple, l'Idée de triangle n'est pas ce à quoi je songe (et je peux très bien me tromper et penser à un cercle), ni aucun des triangles que je trace sur le tableau (isocèle, scalène ou équilatéral), mais ce qui fait que le triangle est triangle.

L'Idée, si elle s'apparente à la définition essentielle d'une chose, reste pourtant bel et bien réelle pour Platon : cela signifie que l'esprit la découvre et ne l'invente pas. Ensuite, pourquoi penser de telles Idées ? Dans quel but recourir à elles ? Parce qu'à l'époque de Platon, la cité grecque est en proie à des dissensions politiques dues aux Sophistes, qui tournent l'opinion en tous sens.

Les Idées, qui permettent de déterminer le vrai, offrent alors un recours au philosophe, qui désire réorganiser la vie politique sur des bases rationnelles.

Cependant, où les Idées se trouvent-elles? Dans un « monde des Idées » ? Là encore, il ne faut pas caricaturer.

En effet, les Idées sont moins quelque part, qu'elles ne dessinent elles-mêmes le lieu de la rationalité.

Contempler (theorein, en grec) les Idées, c'est quitter la sphère des intérêts sensibles, passionnés et momentanés, pour opérer le détour par une connaissance intellectuelle, désintéressée et permanente. C'est pourquoi Platon parle plus volontiers d' « espace noétique », c'est-à-dire en lien avec la noèse, comprise comme acte de saisie intellectuelle.

Le lieu de la noétique, c'est le lieu de la raison.

Toutefois, on ne parle pas de « monde » par hasard.

En effet, le monde se dit en grec kosmos, qui signifie « le bel arrangement ».

Le « monde » (kosmos) des Idées signifie alors la hiérarchie qui règne entre les Idées (le Bien au sommet, puis le Vrai et le Beau, ensuite le Juste, etc.), la proportion et la justice qui régissent leur rapport et qui jouent le rôle de critère et de modèle aux hommes.

Par exemple, Platon tient que l'harmonie dans l'individu, qui soumet ses passions à l'intellect, correspond à la soumission du peuple émotif aux dirigeants qui possèdent la science, cela en accord avec une vision du monde hiérarchisée.

Voilà donc en quel sens on peut parler de monde et il s'agit d'un monde « réel », non pas dans la mesure où il existerait quelque part, mais parce qu'il possède la consistance du rationnel.

Fût-il entièrement « idéel », ce monde ne serait encore ni arbitraire, ni irrationnelle.

C'est pour cela que les hommes peuvent se tourner d'eux-mêmes vers les Idées, à condition de s'adonner à la réflexion raisonnée.

Précisons enfin que, par contraste avec les perceptions changeantes, les Idées que la raison saisit sont stables et immuables : le Bien est toujours Bien, le Vrai toujours Vrai, etc. II – Zarathoustra et la fin des arrière-mondes Ainsi, comme nous venons de le voir, le monde des Idées platoniciennes n'a rien d'un univers parallèle, d'un monde derrière le monde, autre que le nôtre.

Il s'agit uniquement d'un espace de rationalité, qui correspond à la saisie par la raison, en sa qualité de faculté proprement intellectuelle, de l'essence des choses en leur vérité.

Or, nous allons le voir dans un instant, la critique du platonisme que propose Nietzsche contribue à renforcer cette définition du monde des Idées.

Intéressons-nous pour cela à deux courts textes, qui figurent dans la première partie d'Ainsi parlait Zarathoustra, « De ceux des arrière-mondes » et « Des contempteurs du corps ». Le premier de ces deux textes s'en prend directement à la fabulation que constitue aux yeux de Nietzsche la projection d'un « arrière-monde », d'un autre monde – celui des Idées – au-delà du nôtre.

Nietzsche attaque précisément ce qu'il appelle un « néant céleste ».

Tout laisse alors à penser que le monde des Idées serait à proprement parler un monde surplombant le nôtre, situé dans les cieux, une cité dans les nuages ; or, dans ces conditions, Nietzsche n'aurait aucune difficulté à critiquer une telle chimère – et encore faudrait-il qu'elle ressemble à ce que Platon avance de son côté.

Mais, Nietzsche – et le second texte en est la preuve – est un fin lecteur et la critique des « arrière-mondes » ne se fait pas en montrant la vacuité du ciel, mais en dénonçant les prétentions exorbitantes de la raison. Le deuxième extrait qui nous intéresse s'intitule « Des contempteurs du corps » ; la critique du monde des Idées se trouve ainsi liée à la négation du corps.

Rappelons que, pour Platon, l'âme se divise en trois parties : le noùs (partie intellective), le thymos (symbole du courage) et l'epithumia (symbole des désirs), cette dernière reliant. »

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