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Est-il vrai qu'on ne discute pas des goûts ?

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« Le sens commun dit souvent « On ne discute pas des goûts et des couleurs.

» En d'autres termes, on pense que les goûts sont quelque chose de personnel, de subjectifs qu'on ne peut remettre en cause par une discussion argumentée et rationnelle, les goûts provenant de l'histoire personnelle de la personne comprenant son éducation, son niveau social qu'une simple discussion ne pourrait de toute évidence modifier.

Mais c'est justement ignorer des relations sociales, de la discussion, des débats dans la construction du goût.

Cela serait ignorer aussi qu'il existe le mauvais goût, un goût contestable dont on peut disputer. 1) On peut discuter du goût. L'essentiel est sans doute un déchiffrage de l'énigme du goût : tout en affirmant qu'il ne faut pas en disputer on peut en discuter, chacun gardant le sien sans prétendre à l'assentiment d'autrui, c'est un fait que les hommes ne se résignent pas à déserter ce domaine de la communication, puisqu'on peut les voir se contester incessamment la valeur de leur goût, comme s'ils croyaient au fond qu'un accord devrait être possible.

Cette apparente contradiction a sa raison profonde : il est bien vrai que le jugement de goût ne saurait prétendre à la même objectivité que le jugement logique dans la connaissance, car il ne se fonde pas comme lui sur des concepts, il est esthétique et il se rapporte à un sentiment, comme tel inaliénable en connaissance, celui d'une satisfaction éprouvée dans l'appréhension d'une forme ; s'il prétend néanmoins exiger comme nécessaire un assentiment universel, c'est que ce sentiment n'est pas subjectif au même titre que celui de l'agréable, suscité par la seule sensation.

Il doit être éprouvé par tous parce qu'il est désintéressé, indifférent à l'existence de la chose, qui est simplement contemplée, sans devenir l'objet d'aucune connaissance ni d'aucun désir, et qu'il est la conscience d'une espèce d'appropriation de la nature à l'homme se manifestant dans le jeu libre et harmonieux de l'imagination et de l'entendement, qui sont les conditions universelles de la faculté de juger. 2) On peut disputer du goût quand il est mauvais. Enfin, si le milieu et les conditions de vie d'un individu contribuent à former le goût, ils peuvent aussi le déformer, voire le dépraver, entraînant des aveuglements qui annihilent cette faculté sélective, essentielle au libre exercice du goût.

« Le goût dépravé dans les arts, écrit Voltaire, c'est se plaire à des sujets qui révoltent les esprits bien faits, préférer le burlesque au noble, le précieux et l'affecté au beau simple et naturel.

C'est une maladie de l'esprit.

» Même un œil exercé peut ne plus « voir » ce qu'il a constamment sous les yeux.

Les uns récusent, instinctivement, ce qui « ne leur rappelle rien ».

Les autres tiennent pour admirable tel objet qu'ils associent, à tort, à une œuvre belle.

Ces derniers ont fait les beaux jours des fabricants de buffets Henri II, ils font aujourd'hui ceux des marchands de Louis XV en série.

Les uns adoptent d'emblée le jugement des gens qu'ils estiment, les autres établissent leur choix par un antagonisme inavoué envers un individu, un groupe, un milieu qu'ils rejettent.

Il est bien évident que la véritable indépendance du jugement et du choix doit pouvoir faire abstraction des tendances qui sont celles du milieu, de la société contemporaine, sans opposition systématique, mais sans soumission aux contraintes ou aux préjugés et, le plus souvent, à contre-courant, puisque les options communes ne sont en général que le résultat d'un renoncement facile à l'élaboration d'une analyse personnelle.

A l'exemple du kitsch, il est parfois nécessaire de critiquer, de disputer du goût qui peut tomber dans le vulgaire et le frelaté. Le mot « kitsch » tirerait son origine d'un verbe allemand verkitschen qui veut dire brader ; apparu vers 1870 dans la Bavière de l'hyperromantique et maniériste du roi Louis II ; où le terme est utilisé pour qualifier les reproductions d'art à bon marché.

Kitsch veut dire aussi : « vendre en dessous du prix » ou de kitschen « rénover, revendre du vieux », d'abord « ramasser des déchets dans la rue » Le mot a ensuite resurgi dans le vocabulaire suivant les besoins du temps.

Il ne faut donc pas qualifier de kitsch un objet ou un bâtiment si l'idée et surtout le contexte qui a vu émerger cette notion n'existaient pas.

Jean Duvignaud définit ce phénomène dans Baroque et kitsch : « Kitsch, mot qui apparaît à la fin du siècle dernier, en Europe centrale quand l'industrialisation esquisse une redistribution des bénéfices de la production.

Les salariés achètent quelques bribes d'une culture à laquelle jusque-là ils n'avaient aucune participation.

Les amateurs éclairés font la grimace : ces gens se pavanent dans la pacotille, dans un ersatz de grand art, et se laissent séduire par une musique dégradée, une peinture pervertie et les facilités commerciales du tape-à-l'œil, le kitsch n'est-il que cela ? » On aperçoit ainsi l'étroite imbrication entre la sociologie et l'histoire, dans la mesure où le goût « populaire » apparaît souvent comme une imitation, décalée dans le temps, de ce qui, une génération auparavant, pouvait appartenir au goût « bourgeois » – comme le montre bien Pierre Bourdieu dans La Distinction, à propos, par exemple, des tableaux de Bernard Buffet ou des Quatre Saisons de Vivaldi. 3) le goût d'une époque naît de la dispute même des experts. En tant que phénomène collectif, le goût est largement déterminé par des circonstances extérieures, tenant à l'évolution économique et sociale, qui peuvent sembler, à première vue, ne pas devoir entraîner de répercussion sur le plan esthétique.

Le rôle des artistes demeure pourtant capital.

Il n'est pas question ici, naturellement, des orientations qui s'affirment dans tel ou tel milieu, de la vogue des tableaux d'une certaine période qui se dessine à un moment donné, des cotes qui montent, de l'attrait soudain exercé par certains genres, par certaines écoles de peinture.

Dans ces différents cas, seuls les marchands, les collectionneurs, les spéculateurs sont concernés.

Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, soit qu'ils se trouvent mis en vedette, protégés, imposés par les puissants du jour.

Citons encore une fois Voltaire : « Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.

On s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du Poussin, de Le Sueur ; on entend la déclamation notée des scènes de Quinault avec l'oreille de Lulli, et les airs, les symphonies, avec celle de Rameau.

On lit les livres avec l'esprit des bons auteurs.

» Quant à l'art de cour, des palais minoens aux salons de la princesse Mathilde, certes il impose un style, mais il oriente aussi le goût, d'abord dans le pays où il est né, puis partout où s'exerce l'influence de celui-ci Conclusion. Le goût contrairement à l'usage commun est une chose qui se dispute, il est le sujet de nombres de controverses, car les goûts s'opposent comme l'a remarqué Kant, tout en comprenant le caractère vain des disputes de goût, l'homme ne peut s'empêcher de le faire.

C'est cette même communication qui forge les goûts d'une époque, cela est d'autant à l'heure de la modernité et du relativisme des styles artistiques.. »

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