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Est-il possible de concilier l'existence de lois psychologiques avec l'affirmation de notre liberté spirituelle ?

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« INTRODUCTION.

- Le problème de la liberté met le penseur devant une pénible alternative : s'il le résout par la négative, il renonce au devoir et à la morale; d'autre part, une solution affirmative, soustrayant la vie psychologique au domaine du déterminisme, semble la rendre irrationnelle et inintelligible.

Pour satisfaire l'esprit, il faudrait concilier l'existence de lois psychologiques avec l'affirmation de notre liberté spirituelle.

Cette conciliation est-elle possible ? I.

— THÈSE : LES lOIS PSYCHOlOGIQUES COnTRE lA lIBERTÉ. A première vue, les deux thèses sont inconciliables, car la liberté bien comprise peut se définir le pouvoir d'échapper au déterminisme des lois. a) Pour éviter de paraître concevoir la possibilité d'actes sans raison, certains philosophes à la tête desquels il faut placer LEIBNIZ, ont fait consister la liberté dans l'indépendance à l'égard des forces extérieures : l'acte libre dans ce cas serait la résultante des motifs et des mobiles qui nous détermineraient nécessairement à agir; nos décisions seraient rigoureusement dépendantes des lois psychologiques. Mais cette conception qu'on appelle le déterminisme psychologique ne correspond ni aux données de l'expérience ni aux exigences de la morale; la liberté dont nous avons conscience comporte une certaine indifférence à l'égard des motifs et des mobiles aussi bien qu'à l'égard des forces extérieures à nous; c'est aussi cette indépendance qui est nécessaire pour expliquer le sentiment de l'obligation et celui de la responsabilité. b) Nous devons donc concevoir la liberté comme un pouvoir de nous déterminer nous-mêmes, c'est-à-dire de choisir entre plusieurs hypothèses possibles et de donner à notre conduite une orientation qui n'était pas impliquée dans ses antécédents. La liberté ainsi conçue semble bien exiger une certaine indépendance à l'égard des lois psychologiques et contredire le déterminisme d'après lequel, certains antécédents étant donnés, un conséquent et celui-là seul suit nécessairement. II.

— ANTITHÈSE : LES LOIS PSYCHOLOGIQUES AU SERVICE DE LA LIBERTÉ. Mais, pour qui réfléchit, l'existence de lois psychologiques et le déterminisme de la vie de l'esprit conditionne l'exercice de la liberté au lieu de s'opposer à elle. a) Si, dans le, domaine matériel, l'homme dispose d'une si grande puissance — qu'on songe à la masse d'énergie qu'il a captée dans le monde — c'est parce que les choses sont soumises à des lois immuables.

"On ne commande à la nature qu'en lui obéissant", a dit BACON; mais en se conformant à ses lois on parvient à lui faire exécuter ses propres volontés. On ne commande à la nature qu'en lui obéissant. BACON (Novum Organum) Les lois de la nature sont strictement déterminées.

Il n'est pas possible de les enfreindre.

Nous ne pouvons qu'y obéir.

Cela ne signifie néanmoins pas que nous soyons soumis à la nature.

Le projet technique consiste à utiliser les lois de la nature pour notre utilité.

Ainsi, en obéissant aux lois de la nature, on peut la commander.

La liberté n'est pas dans l'absence de contrainte mais dans l'utilisation raisonnée de ces contraintes. b) Il n'en est pas autrement dans le domaine spirituel.

Pour pouvoir agir sur soi-même, je dois être assuré de la constance de mes réactions, sinon je ne pourrais jamais mettre en avant le motif ou le mobile capables de déclencher l'action. La volonté, en effet, contrairement à l'opinion du vulgaire, n'est pas la faculté de se déterminer sans motifs.

Dans le monde de l'esprit comme dans celui de la matière, rien n'arrive qui ne soit expliqué par ses antécédents.

C'est au-delà des antécédents qu'il faut placer le choix qui constitue notre liberté. III.

— SYNTHÈSE : LE DÉTERMINISME DES MOYENS AU SERVICE DE LA LIBERTÉ DES FINS. Nous ne pouvons concilier les deux thèses antithétiques que nous venons d'exposer qu'en distinguant deux moments dans l'acte libre. a) La liberté s'exerce dans le choix des fins qui est soustrait au domaine des lois psychologiques.

La grande loi psychologique est la loi d'intérêt : l'homme se porte nécessairement vers ce qui lui paraît présenter l'intérêt le plus grand.

Mais il est des niveaux d'intérêt essentiellement différents les uns des autres et qu'on ne peut pas plus comparer que le vert avec le sucré, en particulier les intérêts d'ordre spirituel avec ceux d'ordre sensible.

Ces derniers ne sont inférieurs aux premiers que pour celui qui s'est haussé au niveau du spirituel et c'est par un acte de liberté qu'on s'y hausse. b) Le déterminisme des lois commande le jeu des moyens qui est soustrait, comme les réactions chimiques qui ont lieu dans l'éprouvette, à l'action de notre liberté. Une fin étant vraiment voulue comme mon bien suprême, je ne puis pas ne pas choisir les moyens que j'estime pouvoir me l'assurer; parfois, sans doute, j'hésite et retarde ma décision, mais dans l'espoir de découvrir plus tard des moyens plus sûrs : la fin commande les moyens. Mais, par ailleurs, les moyens conditionnent l'obtention de la fin qui ne sera obtenue que par la mise en jeu de moyens efficaces.

Nous le savons par expérience, il ne suffit pas de se fixer un bel idéal ni même de prendre de sages résolutions pour réformer sa vie : il faut aussi se déterminer aux actes qui, conformément aux lois de la psychologie, nous délivreront de nos anciennes habitudes et en établiront de nouvelles. Ainsi une fin n'est vraiment voulue que lorsque sont voulus les moyens qui conditionnent son obtention.

C'est pourquoi nous ne sommes pas certains de l'avoir voulue tant que nous n'avons pas mis en oeuvre les moyens de la réaliser, et chaque mise en .oeuvre des moyens peut mettre de nouveau en question le choix de la fin. Conclusion.

- Ainsi s'explique, semble-t-il, sans contredire le principe du déterminisme dont l'abandon ferait tomber la vie psychologique dans le domaine de l'irrationnel, le sentiment de liberté que nous éprouvons dans nombre de nos actions particulières : quand nous devons recourir aux moyens pratiques d'obtenir la fin que nous avions choisie, nous renouvelons ce choix ou, au contraire, en faisons implicitement un autre; la liberté du choix de la fin nous fait croire que toute notre activité est libre, alors que, en réalité, une fois posée, nous sommes soumis au déterminisme des lois psychologiques.. »

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