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Est-ce juste de mentir à autrui ?

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Est-ce juste de mentir à autrui ?

« [Introduction] On a coutume de dire que le mensonge est un vilain défaut de même que l'on s'accorde pour reconnaître que la sincérité est une vertu. Mais n'existe-t-il pas certaines raisons légitimes qui feraient, dans certains cas, de la sincérité un vice et du mensonge à autrui une vertu ?Y a-t-il de bonnes raisons de ne pas dire la vérité soit en la taisant, soit en la dissimulant derrière un mensonge? Nous nous demanderons d'abord pourquoi nous avons le devoir de dire la vérité aux autres, puis nous examinerons ensuite s'il est toujours souhaitable de le faire et nous rechercherons enfin ce qui peut rendre légitime le fait de ne pas dire la vérité. [I.

Pourquoi dire la vérité est-il un devoir?] Il semble aller de soi qu'il vaut mieux dire la vérité plutôt que la taire ou la dissimuler.

Mais philosophiquement, même si quelque chose va de soi, il est toujours préférable de l'assurer rationnellement.

Quelles sont donc les bonnes raisons qui nous poussent à dire la vérité? Kant, dans Les Fondements de la métaphysique des moeurs, s'est efforcé de donner à l'action morale des fondements rationnels: « Pour ce que j'ai à faire afin que ma volonté soit moralement bonne, je n'ai pas précisément besoin d'une subtilité poussée très loin, [...] il suffit que je demande: "Peux-tu vouloir aussi que ta maxime devienne une loi universelle?" Si tu ne le veux pas, la maxime est à rejeter.

» Un principe d'action peut être ainsi considéré comme moralement bon si celui qui le fait sien peut en même temps vouloir qu'il devienne une loi universelle.

La maxime du menteur ou celle du dissimulateur peutelle être voulue comme loi universelle par le menteur lui-même? Assurément non : si l'on ment ou si l'on cache la vérité, c'est dans l'espoir que le mensonge ne sera pas reconnu comme tel par autrui.

Bien loin de vouloir universaliser sa maxime, le menteur veut que les autres agissent et pensent en fonction d'une maxime radicalement inverse à la sienne – celle de toujours dire la vérité –, sinon son mensonge ne pourrait pas être cru. Mentir, ou taire une vérité que l'on détient, ne semble donc pas être conforme au devoir.

II nous faut, en revanche, convenir que la maxime de la sincérité, parce qu'elle se prête infiniment mieux à la règle kantienne de l'universalisation, peut être considérée comme moralement bonne. [Il.

Mais avons-nous le devoir de dire toujours la vérité à autrui quelles que soient les conséquences?] La sagesse populaire reconnaît que toute vérité n'est pas bonne à dire, et moins encore à entendre.

Si nous avons convenu précédemment qu'en théorie il est un devoir de dire la vérité, il se pourrait qu'en pratique les choses s'avèrent moins simples.

Ne parle-t-on pas de pieux mensonges, c'est-à-dire de manquements à la règle de la sincérité qui ne seraient en réalité pas des fautes? Quelles pourraient être les bonnes raisons qui justifieraient parfois de ne pas dire la vérité? Pour dire la vérité, il faut d'abord la connaître ; or, cette connaissance ne s'avère pas très facile.

La notion de vérité est inséparable de celle de jugement.

II y a vérité lorsque le contenu de la proposition que j'affirme est en accord soit avec la réalité, soit avec les propositions que j'ai précédemment énoncées.

Mais les jugements que nous portons sont très souvent sujets à l'erreur parce qu'ainsi que l'a montré Descartes, nous avons très souvent tendance à nous prononcer sans précaution sur des choses que nous ne connaissons pas toujours très bien.

Ainsi prenons-nous souvent pour la vérité ce qui n'est que son apparence.

Persuadés d'être dans le vrai, nous portons avec assurance un jugement erroné, et ainsi se forment les plus grandes erreurs.

Ne serait-il donc pas souhaitable d'user d'une certaine prudence et de prendre son temps avant de dire ce que nous croyons être la vérité? Une prudente omission de certains aveux n'est-elle pas parfois préférable à la promptitude d'une sincérité irréfléchie ? Suspendre notre jugement autant de temps que le moindre doute subsiste, ainsi que le préconisait Descartes, apparaît dans bien des cas souhaitable. Mais que dire du mensonge ou de l'indubitable vérité volontairement dissimulée? Existe-t-il de « pieux mensonges » ainsi que le laisse penser le langage usuel ? II est un exemple que les médecins connaissent bien : faut-il dire toute la vérité à un malade quand celle-ci est douloureuse à entendre? N'est-il pas dans certains cas souhaitable de le maintenir dans l'ignorance de son état s'il est très grave? La méthode que nous avons empruntée à Kant tout à l'heure semble ici révéler ses limites.

Personne ne peut vouloir universaliser la maxime du médecin menteur et surtout pas le médecin lui-même.

Le devoir d'information loyale est même expressément énoncé dans le Code de déontologie médicale dans son article 35: « Le médecin doit à la personne qu'il examine [...] une information loyale, claire et appropriée sur son état.

» La règle est donc claire: le médecin menteur ou dissimulateur faillit à sa mission.

Mais sitôt la règle énoncée, survient l'exception: « Toutefois, dans l'intérêt du malade, poursuit le Code de déontologie médicale, et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves.

» Il y aurait donc, semble-t-il, de bonnes raisons de ne pas dire la vérité ; mais qui peut dire ce qui les rend légitimes? Personne, sinon le médecin renvoyé à sa conscience: en théorie, il ne doit pas mentir, mais en pratique, le voici condamné à se débrouiller seul.

Que vaut une règle générale qui cesse d'être efficace sitôt qu'on veut l'appliquer? Il existe peut-être de bonnes raisons de ne pas dire la vérité, mais nous ne parvenons pas toujours à rendre compte de leurs fondements. [III.

Qu'est-ce qui nous permet de dire que certaines raisons de ne pas dire la vérité sont légitimes?] En matière morale, la raison dicte la loi, c'est-à-dire qu'elle définit les grandes lignes de ce qu'il faut faire et ne pas faire: dans le problème qui nous occupe, c'est elle qui nous dit qu'il ne faut pas mentir.

Mais en face d'une situation particulière, la raison, ainsi qu'on vient de le voir dans l'exemple du médecin, n'apporte pas toujours de réponse immédiate.

C'est très exactement ce que l'on nomme « un cas de conscience » ou encore « un conflit de devoirs ». La raison détermine le cadre général de l'action, c'est elle qui nous suggère d'« agir uniquement d'après la maxime qui fait que nous pouvons vouloir en même temps comme une loi universelle » (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs).

Mais dans bien des cas particuliers, l'application stricte de certains principes ne permet pas de résoudre tous les problèmes moraux.

Dois-je toujours dire la vérité parce que la raison me le suggère et quelles que soient les conséquences engendrées par mon aveu, ou bien dois-je me résoudre à mentir ou à ne pas tout dire au nom de quelque chose relevant plus du sentiment que de la froide raison ? Face à de semblables dilemmes, le sujet se retrouve seul avec sa conscience.

C'est là qu'il mesure toute l'ampleur de sa liberté.

On repense ici à ce passage très fort des Misérables de Victor Hugo dans lequel Jean Valjean balance entre dire la vérité et se taire.

Va-t-il avouer qu'il n'est pas M. Madeleine, maire de sa commune et industriel estimé, mais le forçat en rupture de ban que poursuit le policier Javert? La raison, dans pareils cas, se révèle impuissante ; c'est à ce tribunal intérieur qu'est la conscience qu'il appartient de décider. [Conclusion] Il existe assurément, dans certains cas, quelques bonnes raisons de ne pas dire la vérité.

C'est la conscience dans la solitude de ses délibérations qui décide si ces raisons sont bonnes.. »

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