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En quel sens peut-on dire que nos paroles nous trahissent ?

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« Peut-on faire confiance en nos propres paroles ? Ne sommes-nous pas maîtres d'elles ? La parole trahit quand elle révèle ce que nous ne voulions pas qu'il révèle.

Quand je me trahis, je donne involontairement des signes de ma pensée profonde, opposés à l'image que je voulais donner volontairement de moi.

C'est le sens premier de l'expression.

Dès lors, il s'agit de voir si la parole ne dit pas plus que ce que nous croyons/voulons qu'elle dise.

Mais l'expression invite aussi à étudier le cas inverse, d'une parole qui ne dit pas la vérité.

La trahison peut donc aussi bien être la révélation que le voilement de la vérité.

Quelle vérité ? Celle de l'inconscient, celle des déterminations sociales ? Le sujet sous-entend la question de la pensée : nos paroles trahissent notre pensée, nos idées, et trompent autrui qui va alors juger injustement nos idées.

Mais en disant plus que ce que nous voulions qu'elles disent, les paroles nous trahissent-elles vraiment ? Ne montrent-elles pas au contraire avec plus de justesse ce que nous sommes ? La non-maîtrise de la parole est-elle un atout ou un inconvénient ? Voir une trahison dans toute parole, n'est-ce pas un signe de la paranoïa, plutôt que d'une réalité ? introduction Nous entendons souvent dire : « Mes paroles m'ont trahi », « nos paroles nous trahissent », etc..

Pourtant, nos paroles dépendent de nous : c'est nous qui les formulons, elles ne sont que ce que nous en faisons.

En quel sens peut-on donc dire que nos paroles nous trahissent ? Le langage exprime infidèlement la pensée. Quand nous disons que nos paroles nous trahissent, nous voulons souvent dire par là que nous avons dit malgré nous quelque chose que nous voulions tenir secret, consciemment ou, comme le pense la psychanalyse, inconsciemment (nous commettrions alors un « lapsus »).

Mais, à y bien réfléchir, ce ne sont pas réellement nos paroles qui nous trahissent dans un tel cas: c'est nous-mêmes qui nous nous trahissons, involontairement, certes, inconsciemment, peut-être, mais toujours nous-mêmes : nos paroles, elles, ne disent que ce que nous voulons nous ou notre inconscient - qu'elles disent. Toutefois, on peut se demander si, en d'autres cas, nos paroles ne nous trahissent pas réellement, profondément, en ce sens qu'elles refuseraient de dire ce que nous voudrions exprimer.

Et, en premier lieu, nos sentiments. Le langage inapte à exprimer sentiment et sensation. Le langage paraît en effet inapte à traduire dans toutes ses nuances ce que nous sentons.

Il ne saurait évidemment faire partager la sensation elle-même : comme l'observait Leibniz, « nous ne saurions connaître le goût de l'ananas par la relation de nos voyageurs ».

Il en va de même de la vie affective, de nos émotions et de nos sentiments. C'est ce que souligne Bergson : « Chacun de nous, écrit-il, a sa manière d'aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité toute entière.

Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine et des mille sentiments qui agitent l'âme.

Nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.

» Le langage simplifie et rigidifie la pensée. Selon Bergson, en effet, le langage est une sorte de prisme, propre à la pensée conceptuelle, qui masque et déforme la réalité, car le mot, parce qu'il dépasse l'individuel et appartient au genre, est incapable d'exprimer cette réalité dans toutes ses nuances.

Dès que le mot est général, on tombe dans le concept.

Or le terme général, selon Bergson, déforme la réalité dans la mesure où il rend communes à un nombre indéfini de choses des propriétés singulières : lorsque je parle de la douceur d'une chose, par exemple, j'emploie un terme général que je puis appliquer à de nombreuses autres choses, à toutes les choses douces ; or chaque chose est unique, et unique est la douceur de chacune.

En outre le langage morcelle l'unité concrète des choses : lorsque je dis qu'une chose est douce et légère et fraîche, je sépare ce qui en réalité ne peut l'être car la chose n'est pas un assemblage de qualités distinctes, mais une union intime de toutes ses qualités; de plus, en disant qu'une chose est douce et légère, je sépare la chose de ses qualités, c'est-à-dire d'elle-même.

Enfin le langage fige la réalité en disant ce qu'elle est, alors qu'elle devient toujours, qu'elle change, s'écoule continuellement. On comprend, dans ces conditions, que l'on puisse dire que nos paroles nous trahissent : que nous voulions décrire la réalité du monde extérieure ou notre réalité intérieure, les mots se révèlent des outils imparfaits, ils nous secondent mal, parfois même ils nous abandonnent complètement.

Et ce qui vaut pour notre expérience ordinaire du monde vaut évidemment davantage encore pour cette expérience proprement extraordinaire qu'est l'expérience mystique du divin : tous les mystiques s'accordent à reconnaître que toute parole est fondamentalement inapte à exprimer le divin et l'expérience qu'en peut faire l'homme. La seule expression possible de la pensée et du réel ?. »

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