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Ecrire l'histoire est-il ce qui lui donne du sens ?

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« L'histoire se donne à l'historien et à ses acteurs comme un ensemble d'événements demandant à être interprété : l'interprétation de l'histoire peut alors consister à relier les événements entre eux, dans des schémas explicatifs de causes et d'effets, et à choisir d'après des hypothèses quels événements sont déterminants.

Ecrire l'histoire apparaît dans cette perspective comme un travail de mise en ordre des faits historiques, qui se donnent, lorsqu'ils s'accomplissement, comme un enchevêtrement chaotique d'éléments.

Se demander si écrire l'histoire est ce qui lui donne sens peut être compris d'une double manière : on peut se demander si écrire l'histoire permet, par ce travail de mise en ordre, de révéler le sens qui serait présent dans le cours des événements mais qui serait dissimulé sous leur enchevêtrement.

Mais on peut aussi se demander si écrire l'histoire n'est pas un véritable travail d'interprétation, qui donne un sens à l'histoire qui n'y était pas auparavant présent.

Dans le premier cas, la question est de savoir si c'est bien écrire l'histoire qui lui donne du sens, si un sens est déjà présent dans la réalité historique et guide le cours des événements.

Dans le second cas, elle est de savoir si écrire l'histoire en l'interprétant ne consiste pas à lui attribuer des sens différents selon les interprétations et si ce procédé n'est pas artificiel et ne cherche pas à conférer à tout prix un sens à l'histoire.

En effet, ne peut-on dire qu'écrire l'histoire pour chercher à lui donner un sens est une entreprise vaine ? Nous verrons tout d'abord qu'écrire l'histoire est ce qui lui confère du sens dans la mesure où cela permet de révéler le sens inhérent au cours des événements.

Nous nous demanderons alors si écrire l'histoire ne consiste pas à faire émerger une multitude de sens possibles dans un travail d'interprétation.

On pourra alors se demander si ce travail d'écriture, au lieu de donner sens à l'histoire, n'est pas ce qui provoque une rumination du passé et fige sa valeur. 1° Ecrire l'histoire est ce qui permet de révéler son sens Dans la perspective de Hegel, le déroulement global de l'histoire obéit à un principe qui lui donne une structure permettant de relier les époques en un tout cohérent.

L'histoire est en effet guidée par l'Esprit, ou encore la Raison, de l'humanité.

La succession des événements et des états des sociétés peut être comprise selon ce fil directeur comme progrès de l'avènement de l'Esprit, c'est-à-dire progrès vers la liberté et la prise de conscience de cette liberté par l'humanité.

Dans une telle perspective, écrire l'histoire ne consiste pas à lui conférer un sens qu'elle ne posséderait pas déjà, car le sens du cours de l'Histoire est à chercher dans le principe qu'est l'Esprit ou la Raison, et non dans le fait d'écrire l'histoire, le progrès est inhérent aux faits eux-mêmes, non à leur interprétation.

Cependant, écrire l'histoire contribue à la compréhension de ce sens, car c'est l'écriture de l'histoire qui permet de dégager les lignes directrices du progrès, qui ne serait pas perceptible dans la réalité elle-même, car les événements y sont trop nombreux, enchevêtrés, confus.

L'écriture de l'histoire permet de voir l'histoire dans son ensemble et dans son universalité, et d'appréhender ainsi le principe qui la guide de manière rétrospective.

Le sens de l'histoire qui se dégage ainsi n'est donc pas un sens qui ne résiderait que dans l'interprétation, mais un sens objectif qui consiste en un progrès : mais c'est dans la démarche consistant à reconstituer le cours de l'histoire par son écriture que se progrès se révèle, à partir d'un regard appréhendant ce cours dans sa totalité. 2° Ecrire l'histoire permet de lui donner sens dans une multiplicité de perspectives et d'interprétations Le courant de la Nouvelle histoire, ou Histoire des Annales, représenté notamment par Bloch, Febvre et Ferro, critique l'interprétation de l'histoire à partir d'un sens globalisant : l'historien étant lui-même pris dans l'histoire, il ne peut prétendre à un tel point de vue surplombant, mais seulement à une conception partielle de la réalité historique.

De plus, postuler un sens unique à l'histoire revient à interpréter chaque événement selon cette idée, de manière illégitime et appauvrissante.

La Nouvelle histoire veut ainsi donner la parole à l'analyse de la vie quotidienne, souvent négligée par l'analyse des grands événements historiques : c'est une histoire du particulier, et non d'un sens général.

Une histoire de la famille, de l'alimentation ou de la mort est ainsi une histoire des mentalités qui est porteuse d'une infinité de sens.

Selon la perspective que privilégie l'historien, il y a donc autant d'interprétations de l'histoire, autant de directions, que d'études à son sujet.

En ce sens, on voit comment on peut affirmer qu'écrire l'histoire est ce qui lui confère du sens, sens qui n'est pas déjà présent dans les événements eux-mêmes, mais qui s'y trouve seulement potentiellement et qui surgit avec le travail qu'effectue l'historien, qui lie entre eux les événements, selon ses hypothèses, dans des schémas explicatifs de causes à effets et qui souligne les grandes évolutions. 3° Ecrire l'histoire pour lui donner un sens peut représenter un danger pour les forces créatives qui doivent se préoccuper du devenir La perspective de Nietzsche se penche sur les dangers que peut représenter l'enfermement dans le passé, au détriment de l'attention portée à l'avenir, dangers qui sont en grande partie dus à une sacralisation de l'écriture de l'histoire, à la commémoration du passé et à la volonté de dégager à tout prix un sens unique et global de l'histoire.

Dire que l'écriture de l'histoire est ce qui lui confère son sens semble alors dans cette perspective erroné à double titre : tout d'abord parce que l'histoire ne doit pas être appréhendée à partir de la quête d'un sens qui expliquerait le passé, mais à partir de la capacité à inventer le devenir présent en rompant de manière créatrice avec la tradition.

D'autre part, cette création ne peut prendre sens que par des acteurs qui manifestent leur volonté de faire advenir de nouvelles valeurs, et de nouvelles interprétations : elle ne peut donc prendre sens dans le processus d'écriture de l'histoire, qui fige le passé et l'appauvrit ainsi nécessairement, mais seulement dans l'oubli du passé qui permet de créer l'histoire au présent, en faisant advenir un sens nouveau qui rompt avec le passé. Conclusion Il semble tout d'abord qu'écrire l'histoire puisse bien être ce qui permet de lui donner sens, mais uniquement dans la mesure où l'histoire possède en elle-même déjà un sens, un fil directeur qui guide les événements, et que le fait d'écrire l'histoire permet de mettre en évidence en offrant sur le cours des choses un point de vue rétrospectif, global et universel.

On peut cependant aller plus loin dans l'affirmation qu'écrire l'histoire est ce qui lui donne sens, en déclarant que le travail de l'historien met en jeu des hypothèses, des schémas explicatifs et un choix des événements qui permettent un éclairage singulier de l'histoire, une proposition de sens, qui n'est pas incompatible avec d'autres interprétations posées à partir de points de vue différents.

On peut alors se demander si la quête d'un sens de l'histoire à travers son écriture ne constitue pas un danger dans la mesure où collecter des faits passés et chercher à les expliquer détourne de la création de l'avenir, qui est le véritable usage de l'histoire et ce qui donne sens aux capacités d'invention de l'homme.. »

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