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Descartes: les conditions de la connaissance vraie

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Quand même (les auteurs anciens) seraient tous d'une noblesse et d'une franchise extrême, ne nous imposant jamais de choses douteuses pour vraies, mais nous exposant tout de bonne foi, comme cependant à peine l'un avance-t-il une idée qu'un autre présente le contraire, nous ne saurions jamais auquel des deux croire. Et il ne servirait de rien de compter les suffrages pour suivre l'opinion garantie par le plus d'auteurs, car, s'il s'agit d'une question difficile, il est plus croyable que la vérité en a été découverte par un petit nombre plutôt que par beaucoup. Même si tous étaient d'accord, leur enseignement ne nous suffirait pas : nous ne deviendrons jamais mathématiciens, par exemple, bien que notre mémoire possède toutes les démonstrations faites par d'autres, si notre esprit n'est pas capable de résoudre toute sorte de problèmes ; nous ne deviendrons pas philosophes, pour avoir lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote, sans pouvoir porter un jugement solide sur ce qui nous est proposé. Ainsi, en effet, nous semblerions avoir appris, non des sciences, mais des histoires. DESCARTES

•    Descartes pose ici les conditions de la connaissance vraie. —    Il convient de montrer une défiance générale à l'égard de toute autorité. L'autorité ne saurait fonder la vérité. —    Le savoir appris n'est pas une véritable connaissance. Savoir véritablement, c'est voir et nous ne pouvons voir que par nous-mêmes, non par autrui. —    Il faut donc rechercher le vrai par nous-mêmes. C'est dans notre propre évidence que nous trouverons la certitude. Nous pouvons mémoriser une règle mathématique ; mais tant que nous n'avons pas vu les rapports qu'elle définit, nous ne la connaissons pas véritablement.

« Introduction La règle 3 énonce l'un des points de départ fondamentaux de la méthode telle que la conçoit Descartes. Dans une recherche scientifique il ne faut pas tenir compte de ce que pensent les autres, les anciens, mais uniquement de ce que l'on connait avec évidence.

Ce point de départ est donc révolutionnaire en ce sens qu'il refuse tout argument d'autorité, rompant avec la scolastique médiévale qui recevait comme convenable les arguments de la forme « Aritoteles dixit...

», « Aristote a dit...

».

Cette rupture donne au sujet de la connaissance une place centrale et fondamentale : toute sa connaissance ne vient que de sa propre activité, et s'il n'est pas capable de produire de lui-même le moindre raisonnement, alors on peut dire qu'il ne connait rien, même s'il est, par ailleurs, capable de restituer de mémoire doctrines et théories déjà constituées. Avant d'examiner les problèmes que pose une place si importante accordée au sujet de la connaissance, place difficile à assumer puisque tout dans la science dépend de lui, il faut d'emblée mesurer ce que signifie vraiment le rejet de l'argument d'autorité.

Cela ne signifie pas que la connaissance des doctrines doit être rejetée comme telle, au contraire, elle peut être utile à l'apprentissage, et même en un certain sens nécessaire : les facultés de l'homme sont telles qu'il ne peut commencer par tout apprendre de lui-même.

Ainsi, l'élève qui apprend doit d'abord s'en remettre à ses maîtres et le scientifique doit connaître l'état d'avancement de sa discipline.

Mais la lecture des anciens comporte un danger inhérent, celui qui consiste à faire de la connaissance des doctrines non plus un simple moyen, un état provisoire, mais une fin en soi indépassable. Si Descartes s'intéresse à l'argument d'autorité, c'est que la soumission à son égard témoigne d'une double imperfection supposée de notre esprit, qui rend difficilement concevable la position central et fondamentale accordée au sujet de la connaissance : 1) quand on se fie à l'autorité d'autrui on reconnaît au moins implicitement qu'on le fait parce qu'on ne peut tout simplement pas faire autrement, 2) on dévalorise le point de vue individuel par rapport à un point de vue collectif. Du coup, Descartes envisage les différents cas possibles où l'argument peut intervenir, selon un gradation quantitative : un argument entre deux positions contradictoires et égales, un argument majoritairement reçu, et un argument unanimement reçu.

Dans les trois cas il faut comprendre : 1) pourquoi on recourt d'habitude à cet argument, 2) pour quelles raisons ce recours est suspect, 3) et enfin, ce qui est le but ultime de l'analyse, quel critère on peut en tirer quant à la validité de nos propres idées. En effet, la question de l'autorité, bien que fondamentale, est inscrite dans un cadre plus large.

Il s'agit moins de différencier entre les pensées des autres et mes pensées, en reconnaissant pour mes pensées une valeur que l'autorité ne pourrait atteindre.

Il s'agit de permettre une différence parmi mes idées, entre celles qui peuvent être vraiment dites miennes, et celles qui, tout en se présentant comme miennes, relèvent d'une autorité. 1.

L'autorité dans le cas d'une égalité entre deux positions S'en remettre à l'autorité des auteurs anciens n'est pas absurde si l'on suppose remplies deux conditions : 1) La « noblesse » qui signifie ici la compétence qu'aurait les uns de traiter des questions qui échappent au commun des hommes.

Noblesse car cette compétence est renvoyée à une capacité innée, un don naturel, qu'aucun effort ne pourrait remplacer. 2) La « franchise » : il ne suffit pas que l'auteur en qui on reconnaît l'autorité ait le pouvoir de trouver la vérité, il faut encore qu'il ait eu la volonté de la transmettre. Franchise et noblesse sont les deux conditions qui écartent les défauts les plus immédiats des arguments d'autorité, comme le montre le paragraphe qui précède immédiatement : 1) La « crédulité irréfléchie » qui fait que les anciens ont pu se tromper : Descartes utilise cet argument car il est tout à fait susceptible d'embarrasser des théologiens qui utilisent les concepts de Platon ou Aristote, des auteurs païens, pour élaborer une théologie chrétienne. 2) La franchise est particulièrement importante parce qu'elle seule permet de sortir d'un cercle vicieux : 1. Ou bien l'argument en question porte sur quelque chose de compliqué, et l'auteur invoqué nous entraîne à suivre sa position par des « subtils arguments », concrètement, par des moyens rhétoriques par exemple. 2. Ou bien l'argument porte sur quelque chose de simple et l'auteur l'enveloppe de « divers ambages » pour donner plus de valeur à ses résultats. Néanmoins cette idée d'une vérité transmise par une autorité compétente est suspecte parce qu'une autorité ne se présente jamais seule : on peut toujours trouver des lignes d'opposition, comme c'est particulièrement le cas en philosophie.

L'idée de Descartes est que même si un philosophe nous disait la vérité, de notre propre point de vue nous ne pourrions pas le reconnaître parce que nous n'aurions, nous, aucun critère de reconnaître ce philosophe des autres, qui, nécessairement ont dit le contraire, soit qu'ils se trompent, soit qu'ils dissimulent la vérité (par pur plaisir de polémiquer par exemple). Cette impossibilité de reconnaître la bonne foi d'une autorité mise en défaut par le constat de l'opposition des différents systèmes théoriques conduit à tirer la conséquence que l'autorité n'est jamais un critère de différenciation entre le douteux et le vrai.

Plus précisément, ce n'est pas au sein des positions des anciens que l'on peut départager le douteux et le vrai, tout est douteux du fait que la véracité du propos dépend de facteurs. »

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