Affirme-t-on sa liberté en refusant d'admettre une vérité évidente ?
Extrait du document
«
Affirmer, c'est dire oui.
Refuser, c'est dire non.
Je dis oui à ma liberté en disant non à une évidence.
Est-ce une
marque de ma liberté que de nier l'évidence ? Ou encore, la liberté est-ce l'absence de contraintes ?
– Descartes, dans ce texte, nous a démontré les deux sens de la liberté d'indifférence qui met en jeu notre volonté
infinie.
Dans l'absolu, nous pouvons nier une vérité évidente.
Mais quel est le sens de ce refus ?
– Être libre, est-ce faire ce qu'il me plaît, jusqu'à refuser 4 x 2 = 8 ?
La liberté est rationnelle et ne peut accepter les faits du fou comme libres.
Être libre c'est comprendre que l'homme
est soumis à des contraintes (physiques, politiques, morales, religieuses...).
Paradoxalement, ce sont ces
contraintes qui permettent à l'homme de se libérer par le pouvoir de sa raison (cf.
Kant : être libre, c'est se
soumettre à sa propre règle fondée sur la réflexion et ainsi sur la liberté).
Ce qui apparaît comme une contrainte est parfois aussi la structure qui
rend possible l'action.
«La colombe légère, lorsque, dans son libre vol, elle fend l'air dont elle sent la
résistance, pourrait s'imaginer qu'elle réussirait bien mieux encore dans le
vide.» Kant, Critique de la raison pure (1781).
• Kant fait apparaître que l'opposition entre liberté et contrainte ne
fonctionne pas toujours.
Ainsi, une colombe en vol pourrait croire que l'air la
freine, mais s'il n'y avait pas d'air, elle ne pourrait pas voler du tout.
Ce qui la
freine est aussi ce qui la porte.
De même, la notion de liberté absolue, au
sens d'une complète absence de contrainte, n'a pas de sens.
En effet, sans
aucune contrainte, dans le vide pur, aucune action n'est possible, à plus forte
raison aucune action libre.
• Ainsi, il n'y a d'action et donc de liberté possible qu'au sein d'une certaine
structure, qui définit notre champ d'action tout en le délimitant.
– Négativement, on affirme que la liberté est infinie en refusant d'admettre
une vérité évidente.
Positivement, on affirme sa liberté en reconnaissant
rationnellement les limites et en les acceptant.
Ce que les stoïciens résumait
en disant: "Ne cherche pas à faire que ce qui arrive, arrive comme tu le
désires; veuille, au contraire, ce qui arrive comme il arrive.
Alors tu jouiras de la paix intérieure..."
ÉPICTÈTE
Épictète (50-125), philosophe stoïcien de langue grecque, né à Hiérapolis, dans la région occidentale de l'actuelle
Turquie, passe à Rome une partie de sa vie, puis (vers 94) il fonde une école philosophique à Nicopolis, sur la côte
ouest de la Grèce, où il enseigne, entouré de disciples, jusqu'à sa mort.
Son enseignement prolonge, sur le plan de
la morale, une réflexion engagée, à Athènes, dès le troisième siècle avant J.-C., avec Zénon de Citium, fondateur de
l'école stoïcienne, et ses successeurs : Cléanthe et Chrysippe ; et reprise à Rome par ce qu'il est convenu d'appeler
le « moyen stoïcisme ».
Épictète assure un enseignement strictement oral, mais ses leçons et les discussions qui
s'ensuivent sont recueillies sous le nom d'Entretiens.
Ces Entretiens ont été rédigés par Flavius Arrien (95-175), général grec, homme politique et historien qui, à ses
heures libres, ne dédaigne pas d'apprendre la philosophie auprès d'un maître tel qu'Épictète.
Mais les huit livres qu'il
rédige (dont quatre sont parvenus jusqu'à nous) sont trop longs pour être un simple ouvrage d'initiation, et c'est à
partir d'eux qu'est composé un ouvrage très court, formé d'une série de quelque cinquante paragraphes, qui porte le
nom grec d'Enchiridion, le plus souvent traduit par Manuel, au sens de l'objet qu'on porte sur soi.
C'est au
paragraphe VIII que l'on trouve ce texte :
« Ne cherche pas à faire que ce qui arrive, arrive comme tu le désires ; veuille, au contraire, ce qui arrive comme il
arrive.
Alors tu jouiras de la paix intérieure.
»
Ce qui est posé ici, c'est le rapport que l'homme est capable de tenir entre les choses telles qu'elles adviennent et
son propre désir.
C'est déjà un thème que l'on trouve chez Platon, dans un passage des Lois où, dans le dialogue
avec l'Athénien, cherchant ce qui est convenable pour la Cité, un certain Mégillos déclare :
« Il ne faut pas demander instamment que tout obéisse à notre désir, sans que notre désir obéisse davantage à
notre raison ; ce qu'une cité et chacun de nous doivent hâter de leurs voeux, c'est d'être raisonnable » (Livre III,
687 e).
C'est aussi cette référence à la raison que l'on trouve, presque mot pour mot, dans un autre texte d'Épictète où
s'opposent les points de vue de l'insensé et du sage.
Le fou déclare :
« L'homme libre est celui à qui tout arrive comme il le désire.
Comme lui, je veux aussi que tout m'arrive comme il me
plaît.
»
Ce à quoi le philosophe répond :
«Eh ! mon ami, la folie et lu liberté ne se trouvent jamais ensemble.
[...] La liberté consiste à vouloir que les choses
arrivent, non comme il te plaît, mais comme elles arrivent» (Entretiens, Livre I, Chap.
12).
Mais si des textes, ici ou là, dans la philosophie grecque et plus encore chez les stoïciens, se ressemblent sur ce
point, c'est parce qu'ils répondent à un principe unique.
Ce principe, on le trouve en tête du Manuel (et également
dans le chapitre I des Entretiens), dans la distinction fameuse des choses qui dépendent de nous et des choses qui
ne dépendent pas de nous.
Pour le philosophe, les choses qui dépendent de nous sont nos opinions, nos désirs, nos
aversions, « en un mot, tout ce que nous faisons ».
Les choses qui ne dépendent pas de nous sont le corps, les.
»
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