Manon Lescaut, La mort de Manon. De « Pardonnez si j'achève... » à « mener jamais plus heureuse ».
Publié le 13/01/2024
Extrait du document
«
SÉQ 3 : Le roman.
Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque.
Texte n°
: Manon Lescaut, La mort de Manon.
De « Pardonnez si j'achève...
» à « mener
jamais plus heureuse ».
Je commence mon introduction par la citation suivante: «Leurs yeux se rencontrèrent ».
Cette phrase célèbre écrite par Flaubert dans l'Education sentimentale a servi de titre à un
ouvrage que Jean Rousset a consacré à ce passage obligé dans un roman : la rencontre entre les
deux amants.
Et il s'agit bien d'un topos littéraire : de La Princesse de Clèves à Belle du Seigneur
en passant par Le Rouge et le Noir, les romanciers se sont attachés à décrire ce moment initial
du ravissement, du coup de foudre.
L'Abbé Prévost ne fait pas exception : son roman Manon
Lescaut publié en 1731 raconte la passion amoureuse du Chevalier des Grieux pour une
courtisane Manon.
Cette histoire d'un « fripon » et d'une « catin » comme le résumera
Montesquieu, fit scandale à l'époque mais en même temps séduisit le public.
Notons que l'Abbé
Prévost est un ecclésiaste romancier dont la vie fut aussi riche que mouvementée ; vie qui se
retrouve dans le destin de Des Grieux pour ses débauches et aventures.
L'extrait dont nous allons présenter l'étude linéaire est situé à la fin de l'oeuvre dans la
deuxième partie.
La scène rapportée est un récit mené par Des Grieux quelques années après la
mort de Manon.
Le couple est en Louisiane après plusieurs péripéties enFrance.
Manon a été
déportée avec un convoi de filles publiques en Louisiane.
Des Grieux, la suit.
La scène se passe
dans le désert où ils ont dû fuir.
Manon est épuisée, elle va mourir, on assiste à une scène
d'agonie.
Problématique : En quoi ce récit pathétique élève le couple malheureux au rang de héros
tragiques ?
Ou : Comment la façon dont Des Grieux raconte ce moment particulièrement douloureux
rend ce texte encore plus émouvant ?
Je procède maintenant à une lecture expressive du texte.
Nous pouvons découper ce texte en plusieurs mouvements :
–
Mouvement n°1 : Du début à « j’entreprends de l'exprimer » : Le douloureux récit
de Des Grieux qui partage sa douleur (l'annonce de la mort de Manon).
–
Mouvement n°2 : De « Nous avions passé tranquillement...
» à « consolations de
l'amour » : La mort de Manon, un récit pathétique.
–
Mouvement n°3 : De « N'exigez point de moi...
» à la fin du texte : Le retour au
silence de Des Grieux.
Mouvement n°1 : Du début à « j’entreprends de l'exprimer » : Le douloureux récit de
Des Grieux qui partage sa douleur (l'annonce de la mort de Manon).
On observe que le début de ce texte s'ouvre sur un impératif à la deuxième personne du
pluriel : « Pardonnez », adressé à son destinataire, le marquis de Renoncour : c'est une
imploration.
Le récit de présente de manière difficile comme le montre l'expression : « si
j'achève en peu de mots un récit qui me tue ».
Dès lors, on remarque que le récit est structuré
autour de la mort de Manon, ainsi le tragique domine et avec Manon s'estompe tout intérêt pour
la narration.
De même, notons que le minimum est dit en trois phrases seulement.
Face à cette
douleur, Des Grieux a des difficultés à raconter la mort de sa bien-aimée : le terme « malheur »
à valeur d'euphémisme est ici utilisé pour ne pas employer le terme de « mort ».
Sa parole, on
peut le voir est constituée de mots mono ou bissylabiques : « un / ré /cit / qui / me / tue.
Je /
vous / ra / conte / un / mal / heur / qui / n'eut / ja / mais / d'e / xemple / ».
Deux périphrases
se suivent chacune dans une proposition relative pour désigner le triste récit qui se prépare : en
témoigne l'expression : « un récit qui me tue » et « un malheur qui n'eut jamais d'exemple ».
Cette figure de style désigne sous deux formes la mort de Manon.
De son côté, on peut souligner
que le lecteur lui, est en situation d'attente.
Le narrateur cherche à susciter la curiosité morbide
de celui-ci par l'emploi notamment de l'hyperbole : « mon âme semble reculer d'horreur ».
De
même, on voit que le tragique du récit domine comme le suggère le champ lexical : « malheur »,
« destinée à le pleurer », « reculer l'horreur » lié à celui du récit : « récit », « raconte,
« exprimer ».
Notons que l'emploi du présent à valeur d'habitude comme le montre l'expression :
« je le porte sans cesse » et « chaque fois que j'entreprends », renforce la douleur toujours
présente.
Ainsi, s'il ne raconte pas la mort de Manon, il poursuit son récit en indiquant ses
derniers instants.
Mouvement n°2 : De « Nous avions passé tranquillement...
» à « la fin de ses malheurs
approchait » : La mort de Manon, un récit pathétique.
On peut observer dans ce second mouvement, que Des Grieux fait ici figure de
préromantique, un héros endeuillé par la mort de son aimée, un récit qui se déroule dans le
désert de Louisiane, motif préromantique de la mort dans la nature.
Nous pouvons d'emblée voir
que le passage s'ouvre sur le plus-que-parfait : « Nous avions passé », ce qui nous plonge ainsi
directement dans le passé.
On peut voir en outre que la mort de Manon est évoquée avec
délicatesse, de pudeur, et de manière imagée comme dans une sorte de tableau touchant.
D'emblée on peut souligner que la mort du personnage est associée au sommeil comme en
témoigne l'expression : « Je croyais ma chère maîtresse endormie ».
Notons que l'adverbe
« tranquillement » qui se déploie sur quatre syllabes ainsi que le modalisateur « croyais » créent
une sorte d'ironie tragique.
En effet, le lecteur connaît déjà l'issue fatale de cette scène que le
chevalier semble ici ignorer.
Là encore, on peut voir que Manon n'est jamais nommée.
Elle est
idolâtrée par la périphrase : « Ma chère maîtresse ».
De plus, on peut voir que le sommeil ainsi
que la posture du chevalier qui retient son souffle amplifie l'ambiguïté entre la mort et le
sommeil.
Ce dernier d'ailleurs est connoté et suggéré par la présence des allitérations en « M »
avec....
»
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