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Y a-t-il une nature humaine ?

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« Kant, dans sa Logique, écrivit que les trois questions directrices de la philosophie (Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ?) se rapportent à une même question : qu'est-ce que l'homme ? À la différence de la science, qui tend à expliquer un réel où l'homme n'aurait jamais vécu, la philosophie est en effet une discipline résolument anthropocentrée (c'est-à-dire centrée sur l'homme) : tous les problèmes philosophiques, qu'ils soient de nature métaphysique, psychologique, morale, esthétique, politique, épistémologique sont, à la différence des problèmes scientifiques, centrés sur le sujet humain.

Celui-ci est donc constamment présupposé.

Mais cela ne résout pas pour autant la question de savoir quel est l'être de l'être humain. Il existe une question plus radicale encore : y a-t-il un être de l'être humain, ce qu'on appelle proprement une « nature humaine » ? L'expression de nature humaine appelle deux idées : celle d'une naturalité, qu'éventuellement l'être humain partagerait avec les autres êtres naturels que sont les animaux, et celle d'une universalité d'essence.

S'il y a une nature humaine, cela signifie que par-delà les différences individuelles et socioculturelles, il existe un universel humain, identique à lui-même dans les temps (« toujours ») et dans les lieux (« partout »).

Dans l'expression de « nature humaine », nature renvoie à l'universel de l'essence plutôt qu'au particulier de la naturalité.

Il s'agit donc de savoir si le concept d'homme (l'Homme) a une réalité consistante ou bien s'il ne correspond qu'à une illusion ou à une abstraction vide de sens. Les hommes ont découvert tard l'universel humain, c'est pourquoi la négation de la nature humaine sera évoquée en premier lieu. 1.

LA NÉGATION DE L'IDÉE DE NATURE HUMAINE Elle peut se faire au nom du peuple, au nom de la race, au nom de l'individu, au nom de la culture ou au nom de l'histoire. A - Au nom du peuple : l'ethnocentrisme La terre habitée la plus éloignée de toute autre terre habitée, l'île de Pâques, s'est appelée, en langue indigène « le nombril du monde », et de nombreux peuples (les Inuits, les Bantous) se désignent d'un nom qui signifie aussi « Homme » en général, sous-entendu que pour ceux qui sont Bantous, les non-Bantous ne sont pas vraiment des hommes.

Ouvrons un atlas chinois : la Chine sera représentée au milieu de la terre (le mot chinois signifiant Chine dit d'ailleurs « empire du Milieu ») alors qu'à nos yeux de Français, la Chine est en Extrême-Orient.

Chaque pays est « milieu » pour lui-même, mais « extrémité » pour un autre pays. On appelle « ethnocentrisme » la tendance que chaque peuple a de se considérer comme la référence de l'humanité, et de voir son pays comme le centre du monde.

Il s'agit d'un préjugé universel qui exalte la seule culture à laquelle on appartient et méprise les autres cultures au point de leur dénier leur caractère de culture : ainsi, la langue que l'on parle est la seule belle, celle des autres est une suite de borborygmes (de là le mot de « barbare » forgé par les anciens Grecs), les lois que l'on a sont les seules justes (celles des autres sont scandaleuses), la nourriture que l'on mange est la seule bonne, etc. B - Au nom de la race : le racisme Le racisme n'est pas seulement un préjugé ; il est une idéologie, et, à la différence de l'ethnocentrisme, il ne se contente pas de mépriser, il hait.

Le mépris rabaisse l'autre mais le laisse exister ; la haine, quant à elle, désire rester seule, donc vise l'extermination. Le racisme nie la nature humaine au nom d'une prétendue race supérieure.

Or, contrairement à ce qui est cru souvent, ce qui marque l'insoutenable prétention du racisme, ce n'est pas la supériorité d'une race élue, mais la notion même de race – laquelle n'a de sens que chez les animaux, domestiques qui plus est.

Alors que l'ethnocentrisme est un ensemble de préjugés, le racisme est un ensemble de fantasmes (un sang pur n'existe pas, un sang impur non plus). C - Au nom de l'individu Au nom de l'individu, on peut récuser aussi l'idée de nature humaine.

Diogène, le philosophe cynique, cherchait la nuit « l'homme », une lanterne à la main pour se moquer de ces philosophes que Rabelais appellera plus tard « abstracteurs de quintessence ».

« L'homme », en effet, n'existe pas ; il y a tel ou tel homme, avec un corps et un nom propres, une expérience et une pensée singulières.

L'homme est un concept abstrait, seuls les hommes existent.

« Nature humaine » voudrait dire le plus grand dénominateur commun entre les hommes. Or, ce qui fait qu'un être humain est ce qu'il est, c'est justement ce qu'il possède en propre (une apparence physique, un caractère, une expérience...).

Ce qui fait de lui un homme, c'est qu'il est justement ce que les autres ne sont pas. D - Au nom de la culture Au nom de la culture, on peut refuser la généralité de l'idée de nature humaine.

L'« homme » n'existe qu'inscrit dans sa culture : il existe comme Chinois ou Romain.

Or chaque culture formant un monde, les cultures sont largement étrangères les une aux autres – c'est-à-dire intraduisibles. Soit la poés ie : que traduit-on d'un poème allemand ? Sa signification mais pas son sens, car la musique du poème allemand, son « âme » ont été perdues.

Ainsi en va-t-il toutes les fois que l'on cherche à juger une culture avec des valeurs empruntées à une autre.

On ne peut comprendre une culture dont on ne partage ni la langue ni les valeurs.

L'incompréhension est un phénomène normal : chaque culture se détermine par négation.

Ainsi tel peuple africain qui a fait de la tortue son animal totem (donc tabou, interdit) a pour voisin un peuple qui mange de la tortue.

Ainsi les Polonais, catholiques, se sont-ils définis, dans leur identité, contre les Allemands protestants (leurs voisins de l'Ouest) et les Russes orthodoxes (leur voisins de l'Est). E - Au nom de l'Histoire Au nom d e l'Histoire attentive au déplacement des lignes, on peut récuser l'idée d'une nature humaine intemporelle.

Si l'on écarte l'hypothèse d'un homme sorti tel quel de l'esprit d'un Dieu créateur, reste une durée longue et lente (plusieurs millions d'années) qui a vu émerger à partir de ses ancêtres simiesques, cet être singulier que l'on appelle «homme ».

Depuis 10 000 ans, l'histoire proprement dite, qui est le temps humain, a remplacé l'évolution naturelle. Dès lors, la « nature humaine » constitue ce qu'en cinéma on appelle « un arrêt sur image ».

Comment peut-on qualifier l'humain, tant au niveau individuel (un homme) que collectif (l'homme) si son aventure est encore en cours ? Solon, le sage grec, disait qu'on ne peut dire heureux un homme avant sa mort : la mort seule, en effet, transforme la vie en un destin qu'on ne peut plus changer.

Tel est le sens du célèbre énoncé de Sartre : « L'existence précède l'essence ».

On ne peut dire en quoi consiste la nature de l'homme (son essence) tant que son existence n'est pas achevée. Il y a pourtant plusieurs façons d'affirmer, à l'inverse, la réalité d'une nature humaine.. »

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