Y a-t-il des réalités imaginaires ?
Extrait du document
«
Introduction
La pensée chez l'homme a le pouvoir de créer des entités qui n'appartiennent pas à la réalité, et de poser des
images qui la dirige vers ce qui est absent, vers le passé, le possible ou l'œuvre en projet.
Cette faculté
fondamentale est l'imagination, et ses produits rentrent dans l'ordre de l'imaginaire.
Ainsi la conscience produit des
images qui dérivent directement ou indirectement d'objets sensibles, ou réels.
Mais l'imagination n'a pas toujours été
perçue comme étant une faculté noble chez l'homme, puisqu'en effet ses produits peuvent le diriger vers des
conceptions erronées.
On ne peut nier alors l'activité imaginaire, c'est pourquoi il nous faudra répondre des produits
de cette activité, ainsi que de sa valeur à côté d'un autre royaume tout aussi fondamental, celui de la raison.
I.
La question de l'imaginaire
a.
On pense le plus souvent que l'imagination est cette faculté de former des images.
Cependant, il est possible
de voir dans l'imaginaire la faculté de déformer des images qui nous viennent de la perception externe.
L'imagination
permet ainsi de libérer l'homme de ses perceptions immédiates en les modifiant mentalement : « Si une image
présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité
d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination » (G.
Bachelard, L'air et les songes).
Les
réalités imaginaires découlent directement des perceptions premières, et permettent en l'homme « l'ouverture,
l'expérience même de la nouveauté » (idem).
b .
Le terme réalité contient la racine « res » qui désigne la chose.
Et concernant une chose (ou réalité)
imaginaire, telle une image, on ne peut la comparer à une réalité sensible, c'est-à-dire palpable par les cinq sens.
Ainsi, « une image de chaise n'est pas, ne peut pas être une chaise » (Sartre, L'imaginaire).
Le réel sensible, à la
différence de l'image du sensible, est toujours hors de la conscience.
L'image reste une modalité particulière pour la
conscience de se donner un objet.
L'image est ainsi la reproduction mentale d'une réalité extérieure.
La conscience
n'a pas en elle quelque chose de comparable à une image, comme l'entendait ce que Sartre appelle la
« métaphysique naïve ».
c.
Alain, avant Sartre, contestait aussi l'existence de réalités imaginaires, de l'image mentale.
Selon lui,
l'imagination proviendrait d'un dérangement corporel.
Ainsi le sentiment de peur est incomparable à l'objet de la peur.
L'imaginaire est dans l'émotion, dans les expressions langagières du corps : « Un homme qui a peur sent vivement et
presque violemment la présence de ce qui lui fait peur ; mais il s'en faut de beaucoup que l'image qu'il se forme de
cet objet soit bien déterminée » (Alain, Vingt leçons sur les Beaux-arts, in Les arts et les dieux).
II.
L'imagination mise en question
a.
Quoiqu'il soit, il apparaît que l'homme est toujours l'objet de cette faculté qu'est l'imagination.
Cependant, ses
produits ne sont pas toujours bien regardés par les philosophes.
En effet, les images que produit la conscience ne
sont pas forcément des indices de vérité.
Pascal considère ainsi l'imagination comme la « partie décevante dans
l'homme […] maîtresse d'erreur et de fausseté » (Pensées, frag.
82).
L'imagination trouble ainsi la raison puisqu'elle a un pouvoir sur tout, c'est-àdire qu'elle peut détourner toutes choses, et envahir la conscience de
l'homme : « Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large qu'il
ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque de
sa sûreté, son imagination prévaudra.
Plusieurs n'en sauraient soutenir la
pensée sans pâlir et suer » (idem).
L'imagination est la plus grande puissance d'erreur qui se puisse trouver en
l'homme, et dont il ne peut se défaire.
Si elle était toujours fausse, il suffirait
d'en prendre le contre-pied pour trouver la vérité, mais nous ne savons jamais
si ce qu'elle nous représente est réel ou irréel.
N'étant pas la règle infaillible du
mensonge, elle ne peut l'être de la vérité.
Elle représente le vrai et le faux
avec la même indifférence.
Sa puissance de persuasion est infinie, même
auprès des hommes les plus sages et les plus raisonnables.
Elle emporte
l'assentiment par surprise et sans difficulté.
Les plus beaux discours de la
rhétorique ne sont pas ceux qui parlent à notre raison mais à notre coeur.
La
raison calcule, soupèse, compare, mesure, établit des rapports, mais elle est
incapable de "mettre le prix aux choses".
C'est l'imagination qui nous fait
estimer, blâmer, aimer ou détester, et non pas la raison dont elle se joue sans
efforts.
L'imagination a produit en l'homme une seconde nature : "Elle remplit
ses hôtes d'une satisfaction bien autrement pleine et entière que la raison."
b.
L'imagination, même si elle peut perturber la raison, a aussi cette capacité d'établir des schèmes de pensées
qui dépassent ceux de la raison.
Car l'imagination est invention, elle est la « reine des facultés » pour reprendre le
mot de Baudelaire.
L'imagination donne à l'homme une sensibilité du monde autre que celle logique, instaurée par la
raison.
L'imagination créée la nouveauté, donne de nouvelles conceptions du monde : « L'imagination est la reine du
vrai, et le possible est une des provinces du vrai.
Elle est positivement apparentée avec l'infini » (Baudelaire,
Curiosités esthétiques, Salon de 1859)..
»
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