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Les mondes imaginaires sont-ils des refuges?

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« INTRODUCTION Est-ce pour se protéger du réel que l'on s'imagine des mondes autres ? L'imagination n'est-elle qu'une fuite individuelle devant la réalité ? N'a-t-elle pas des effets productifs, réels ? Les mondes imaginaires sont-ils simplement des refuges pour la conscience individuelle, ou abritent-ils des mystères plus insondables ? Que se passe-t-il, réellement, lorsque plusieurs personnes habitent le même monde imaginaire ? Première partie - La psychanalyse conçoit l'imaginaire comme fuite devant la réalité.

Ainsi, l'opposition du principe de réalité et du principe de plaisir (Freud) nous conduit à fantasmer et à nous fabriquer des mondes imaginaires, séparés du nôtre, dans lesquels nous préférons vivre. - Cette évasion imaginaire permet de nous protéger de la cruauté du réel.

Lorsque le désir ne peut être satisfait en réalité, nous imaginons un ailleurs où il serait satisfait.

Nous sublimons nos désirs : « L'artiste, comme le névropathe, s'était retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce monde imaginaire, mais à l'inverse du névropathe il s'entendait à trouver le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité.

» (Ma vie et la Psychanalyse, Gallimard, 1928, p.80).

Selon Bettelheim, « sans les fantasmes qui nous donnent de l'espoir, nous n'avons pas la force d'affronter l'adversité de la vie » (Psychanalyse des contes de fée, Robert Lafont, 1976, p.215). - Les mondes imaginaires semblent ainsi constituer des refuges face au réel.

Leur création s'expliquerait par le caractère négatif du désir, lequel « rate » toujours son objet : la nature du désir serait ainsi de ne pouvoir être satisfait, et c'est pour compenser à cette insatisfaction que l'homme imaginerait des mondes autres. Deuxième partie - L'utopie semble fournir l'archétype de tels mondes imaginaires.

Mais son caractère politique permet de renverser l'opinion commune selon laquelle l'imagination serait une manière de fuir la réalité : les utopies produisent des effets réels.

A l'instar des mathématiques, ce sont des modélisations qui nous permettent ensuite de penser le réel et de le transformer.

Outre un effet critique (Utopia de Thomas More), l'utopie peut être – certes imparfaitement – réalisée (phalanstère de Fourier).

Dès lors, si l'utopie fournit un refuge à nos espérances, celui-ci est toujours destiné à se transformer en laboratoire de l'avenir.

L'imagination devient alors productrice de réel, et non pas simplement représentation de fantasmes : « Le réel n'est pas impossible, dans le réel au contraire tout est possible, tout devient possible (…) Les révolutionnaires, les artistes et les voyants se contentent d'être objectifs, rien qu'objectifs : ils savent que le désir étreint la vie avec une puissance productrice, et la reproduit d'une façon d'autant plus intense qu'il a peu de besoin.

Et tant pis pour ceux qui croient que c'est facile à dire, ou que c'est une idée dans les livres.

» (Deleuze et Guattari, L'Anti-Œdipe, p.35) - Foucault brouille la distinction imaginaire/réel en créant la notion d' « hétérotopie » (in « Des espaces autres », n°360 des Dits et écrits, t.

IV, p.752-762).

Celles-ci sont des « sortes d'utopies effectivement réalisées », des « espaces différents (…) une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l'espace dans lequel nous vivons.

» Par exemple : les prisons, les asiles, le théâtre, le cinéma, les musées ou les bibliothèques (dans lesquels on veut « enfermer dans un lieu tous les temps »), ou encore les foires, les villages de vacance, les colonies des jésuites du Paraguay, etc.

Ou bien Disneyland, Koh Lanta, Second Life et autres « réalités virtuelles ».

Ces lieux remplissent des fonctions multiples, impossibles à déterminer a priori puisqu'il faut d'abord imaginer ces lieux et les produire réellement, à plusieurs, avant que de connaître leur fonction réelle, laquelle se distingue souvent de l'usage initialement prévu de ces lieux. Conclusion Si la psychanalyse se fait ainsi une image des mondes imaginaires comme étant essentiellement des refuges face à la réalité, qui permettent de compenser l'insatisfaction de nos désirs dans le monde réel, les utopies fournissent en revanche le modèle de laboratoires pour l'avenir, révélant ainsi le caractère producteur et positif du désir.

Loin d'être simplement un refuge pour nos espérances (ce qui serait le cas du Paradis), une telle analyse de l'utopie en fait le lieu d'élaboration de nouvelles pratiques sociales, à tel point qu'on puisse la qualifier, à la suite de Foucault, d' « hétérotopie ».

La profusion de telles hétérotopies interdit de leur assigner une fonction unique, a fortiori celle de refuge. De plus, le caractère collectif de tels mondes imaginaires tranche avec l'aspect individuel du fantasme selon Freud. Si pour ce dernier, les mondes imaginaires sont des refuges nécessaires à l'intégrité de la personnalité individuelle, la critique matérialiste de la psychanalyse revendiquée par Deleuze & Guattari montre que le désir est toujours immédiatement social, et que l'imagination est toujours déjà collective (cf.

Deleuze, « Causes et raisons des îles désertes », in L'île déserte et autres textes, n°1, pp.12-17).

Selon Deleuze, le problème n'est pas celui du possible (réel) et de l'impossible (imaginaire), mais celui du « virtuel » et de l' « actuel » (cf.

chapitre « Actuel et virtuel » dans Dialogues de Deleuze avec Claire Parnet).

Si on le suit dans sa critique, on pourrait aboutir au paradoxe selon lequel ce ne sont pas les mondes imaginaires qui constituent un refuge face à la réalité, mais au contraire l'image d'un monde « réel », c'est-à-dire raisonnable ou prétendument raisonnable, dans lequel nous vivons au jour le jour,. »

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