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Un critique contemporain affirme : « Une longue association du vers et de la poésie, qui sont choses distinctes, a fini par les confondre et la versification devient alors brevet de poésie. Chacun reconnaît aujourd'hui que les deux notions ne se confonde

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Le mot poésie, comme beaucoup d'autres termes du vocabulaire littéraire, est ambigu. Il désigne tantôt un mode d'expression particulier assujetti aux règles de la prosodie, tantôt le charme indéfinissable que peut revêtir n'importe quel langage, en prose ou en vers, lorsqu'il part du coeur et traite de sujets par nature émouvants. Mais, au cours de l'histoire, ces deux significations se sont confondues; on a cru que la poésie au sens large devait nécessairement s'exprimer par le vers, et qu'inversement tout texte en vers comportait, de droit, un caractère poétique. Comment cela s'est-il fait? L'histoire des origines de la littérature peut nous renseigner. En Grèce, la poésie, au sens étroit du terme, est apparue antérieurement à l'invention de l'écriture; c'est en effet la seule forme littéraire qui ait pu vivre et se transmettre avant elle puisque c'est un langage qui peut, grâce à son caractère mnémotechnique, être véhiculé par la seule tradition orale. La poésie fut donc le premier et longtemps le seul langage de la littérature. Même les écrits des premiers philosophes se présentaient sous la forme de poèmes. Quant à la prose, que, en raison de sa nature non structurée, la mémoire peut moins facilement conserver, elle ne put apparaître qu'après l'écriture, seule capable de la transmettre, et par conséquent bien après la poésie.

« Un critique contemporain affirme : « Une longue association du vers et de la poésie, qui sont choses distinctes, a fini par les confondre et la versification devient alors brevet de poésie.

Chacun reconnaît aujourd'hui que les deux notions ne se confondent pas.

» Cette distinction entre la versification, technique du vers, et la poésie proprement dite vous semble-t-elle nécessaire? En vous appuyant sur vos lectures personnelles, sur des oeuvres précises que vous avez étudiées, vous vous efforcerez de proposer une définition de la poésie. Le mot poésie, comme beaucoup d'autres termes du vocabulaire littéraire, est ambigu.

Il désigne tantôt un mode d'expression particulier assujetti aux règles de la prosodie, tantôt le charme indéfinissable que peut revêtir n'importe quel langage, en prose ou en vers, lorsqu'il part du coeur et traite de sujets par nature émouvants.

Mais, au cours de l'histoire, ces deux significations se sont confondues; on a cru que la poésie au sens large devait nécessairement s'exprimer par le vers, et qu'inversement tout texte en vers comportait, de droit, un caractère poétique.

Comment cela s'est-il fait? L'histoire des origines de la littérature peut nous renseigner. En Grèce, la poésie, au sens étroit du terme, est apparue antérieurement à l'invention de l'écriture; c'est en effet la seule forme littéraire qui ait pu vivre et se transmettre avant elle puisque c'est un langage qui peut, grâce à son caractère mnémotechnique, être véhiculé par la seule tradition orale.

La poésie fut donc le premier et longtemps le seul langage de la littérature.

Même les écrits des premiers philosophes se présentaient sous la forme de poèmes.

Quant à la prose, que, en raison de sa nature non structurée, la mémoire peut moins facilement conserver, elle ne put apparaître qu'après l'écriture, seule capable de la transmettre, et par conséquent bien après la poésie.

Elle fut tout naturellement réservée à l'expression de la pensée rationnelle et à la transmission de connaissances précises : histoire (Hérodote), discours politiques, etc.

Ainsi la littérature grecque, à ses débuts, offrait le tableau suivant : d'un côté les textes utilitaires, généralement démonstratifs, rédigés en prose; de l'autre les textes non utilitaires (tragédie, comédie, épopée, hymne, littérature amoureuse), toujours rédigés en vers.

Ainsi s'est constituée une confusion entre la poésie au sens large et la versification.

Cette situation se perpétua pendant la période romaine, au Moyen Age, et à l'époque classique jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

La prose était réservée à l'histoire, à la philosophie, à la théologie, à la science mais tout ce qui était censé comporter le moindre caractère poétique au sens large se devait d'être écrit en vers.

C'était notamment le cas des oeuvres théâtrales, même des oeuvres comiques.

C'est pour cette raison que Molière s'est cru obligé de rédiger en vers la moitié de ses pièces.

Pourtant chacun sent que Dom Juan, écrit en prose, est plus poétique que la pièce du Misanthrope composée en vers. Paradoxalement, chez Molière comme chez beaucoup d'autres, la contrainte du langage versifié était une entrave à la vraie poésie. D'ailleurs, dans le même temps, la prose de Pascal s'élevait au plus haut niveau poétique; une expression comme « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » est aussi poétique qu'aucun vers écrit de son temps.

Mais cette poésie ne sera sentie que bien plus tard, à l'époque romantique. Le prestige de la versification a eu d'autres conséquences négatives : on a cru qu'il suffisait de mettre un texte en vers, quel que soit son contenu, pour lui conférer une valeur poétique; on a donc été tenté de mettre en vers les textes qui étaient les moins poétiques.

La versification devient alors le maquillage de la médiocrité.

Les textes en prose qui peuvent se passer de cet embellissement factice sont souvent ceux qui comportent le plus de vraie poésie.

Lorsque Voltaire veut donner plus de retentissement à sa pensée il croit utile de l'exprimer en vers; il recourt à cet artifice pour les textes qui lui paraissent les plus importants; or ce sont justement ceux qui se prêtent le moins, par leur contenu, à une telle formulation; c'est ainsi qu'il compose un Discours en vers sur l'homme qui est un exposé des théories de Newton et un Poème sur le désastre de Lisbonne qui est une prise de position philosophique. Pendant ce temps, Rousseau invente la prose poétique.

Sans jamais songer à composer des vers (sauf dans ses deux opéras), il assouplit la prose française, et, tout en lui gardant les structures de la « période » latine, il transforme l'éloquence en confidence; il sait délaisser le maniement des concepts pour associer d'un lien plus lâche les impressions confuses du coeur; il confère à sa langue une musicalité charmeuse et mélancolique.

Les Rêveries du promeneur solitaire (titre admirable), certaines pages des Confessions et surtout La Nouvelle Héloïse annoncent la poésie romantique.

Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle la prose accède au niveau poétique alors que la poésie versifiée se réduit à une technique sans signification.

On commence d'ailleurs à s'en apercevoir : Rivarol, dans son Discours sur l'universalité de la langue française, demande qu'on y renonce car, dit-il, son seul effet est de nuire à la clarté de la pensée.

Cet argument souligne l'absurdité qu'il y avait à mettre systématiquement en vers des textes démonstratifs. Diderot est semble-t-il l'un des premiers à comprendre que la vraie poésie n'a que faire de la versification.

Dans le Discours sur la poésie dramatique il déclare que l'Histoire de Charles XII, même si elle était rédigée en vers, demeurerait un travail scientifique, alors qu'une histoire fictive, même écrite en prose, peut mériter le nom de poésie.

Ce qu'il écrit là sera une évidence pour les poètes romantiques.

Hugo et Baudelaire accordent le titre de poésie à toute oeuvre d'imagination qui s'efforce de découvrir une vérité cachée, que le texte soit en vers ou en prose.

Certes le romantisme a vu revivre la poésie versifiée mais celle-ci n'enferme pas, loin de là, toute la poésie; la prose se hisse à son niveau, que l'on songe à la langue de Chateaubriand ou à celle de Nerval dans Sylvie. Baudelaire affranchit de son sens étroit et traditionnel le mot poésie en écrivant ses Petits poèmes en prose.

Avec le romantisme la poésie cesse donc définitivement d'être liée au vers. La vérité qui s'est fait jour peu à peu est que la poésie réside d'abord dans un certain contenu.

Ce contenu à son tour appelle le langage le plus propre à l'exprimer.

Ce langage peut être certes celui de la versification mais il peut revêtir aussi bien d'autres formes différentes.

L'important est d'abord le contenu.

De quoi est-il formé? Il réside dans une certaine relation de l'âme au monde que nous pouvons préciser en la comparant, pour l'en distinguer, avec ces autres relations que sont la science et la métaphysique. Contrairement à la science, la poésie n'est pas utilitaire et ne s'attache pas à ce qui est mesurable; au-delà des apparences matérielles, elle cherche à saisir et à retrouver une vérité cachée d'essence spirituelle ou métaphysique.

Cependant elle ne s'identifie pas pour autant à la métaphysique, car la démarche du poète n'est pas rationnelle, elle est sentimentale, elle part du coeur.

Cet audelà des choses, le poète ne le déduit pas, il ne le suppose pas, il le rêve.

Dans quel but? Ce que la poésie cherche avant tout, c'est à se défendre contre le temps et pour cela à découvrir derrière lui l'éternité.

C'est la raison pour laquelle, pendant tant de siècles, elle a chanté la nature, car le rythme cyclique des jours, des nuits et des saisons, est la meilleure défense contre l'écoulement linéaire de la durée.

Il y a des proses qui épousent cet écoulement; elles ne sont pas poétiques; d'autres au contraire essaient de l'annuler par une musique, un rythme, des répétitions incantatoires et le retour obsessionnel de certaines images.

Là se trouve la frontière entre le langage poétique et celui qui ne l'est pas.

Quant à la poésie versifiée, elle n'est que la limite extrême du langage répétitif; elle aussi cherche à nier le temps.

Mais ce langage en lui-même ne suffit pas : seul un contenu authentiquement poétique peut se trouver consacré par une telle parure. Aujourd'hui la poésie ne se confond plus avec la versification.

Elle s'est réfugiée en grande partie dans la prose et notamment dans le roman.

Pour en donner un exemple particulièrement frappant, nous pouvons citer Le Désert des Tartares de Dino Buzzati, ou Les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar.. »

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