Sagesse et passion peuvent-elles à votre avis s'accorder ?
Extrait du document
«
• Il faut avant tout définir les mots sagesse et passion.
La sagesse c'est la sophia grecque, la connaissance, le
savoir.
C'est la sapientia latine, l'intelligence, la prudence.
On peut dire que de Socrate à Descartes sagesse est
synonyme de philosophie et de science : « ce mot de philosophie signifie l'étude de la sagesse, et [...] par sagesse
on n'entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que
l'homme peut savoir, tant pour la conservation de la vie que pour la conservation de la santé et l'invention de tous
les arts » (Descartes).
Aujourd'hui, on entend souvent par sagesse la modération, la vertu morale qui nous rend
prudent, sensé, mesuré, raisonnable.
Au contraire, la passion est l'insensé, la démesure.
L'homme, dit-on, est le
jouet de sa passion.
Aux yeux du passionné, un seul thème est valorisé : l'amour, l'argent, le pouvoir, le jeu, etc.
Rien d'autre n'a de sens que cet insensé.
• La question soulève un paradoxe et nous demande si on peut le résoudre : la raison et ce qui échappe à la raison
peuvent-ils s'accorder, vivre en harmonie ? Spontanément, nous répondons non.
Il y a incompatibilité entre raison et
passion.
La raison maîtrise, la passion aliène.
La raison calcule, pèse, évalue.
La passion cristallise comme le dit et le
décrit si bien Stendhal (quelqu'un de médiocre apparaît superbe).
En un mot, le passionné cesse de raisonner.
• Pourtant, dit Hegel, « rien de grand ne s'est fait sans passion ».
Elle est le moteur de la vie.
"Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans
passion..." HEGEL
La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus
ou moins mauvaise.
Le romantisme allemand et, en particulier,
Hegel restituent à la passion toute sa grandeur.
Dans une
Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons
sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de
manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on
peut lire (trad.
Kostas Papaioannou, coll.
10118):
« Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y
ont participé.
Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant
tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se
projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son
vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.
En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli
dans le monde sans passion.
»
L'histoire est en apparence chaos et désordre.
Tout semble voué à
la disparition, rien ne demeure : « Qui a contemplé les ruines de
Carthage, de Palmyre, Persépolis, Rome, sans réfléchir sur la
caducité des empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée puissante et riche ? Ce
n'est pas comme devant la tombe des êtres qui nous furent chers, un deuil qui s'attarde aux pertes
personnelles et à la caducité des fins particulières: c'est le deuil désintéressé d'une vie humaine brillante
et civilisée.
»
L'histoire apparaît comme cette « vallée des ossements » où nous voyons les réalisations «les plus
grandes et les plus élevées rabougries et détruites par les passions humaines », «l'autel sur lequel ont été
sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus ».
Elle nous montre les
hommes livrés à la frénésie des passions, poursuivant de manière opiniâtre des petits buts égoïstes,
davantage mus par leurs intérêts personnels que par l'esprit du bien.
S'il y a de quoi être triste devant un
tel spectacle, faut-il, pour autant, se résigner, y voir l'oeuvre du destin ? Non, car derrière l'apparence
bariolée des événements se dévoile au philosophe une finalité rationnelle : l'histoire ne va pas au hasard,
elle est la marche graduelle par laquelle l'Esprit parvient à sa vérité.
La Raison divine, l'Absolu doit s'aliéner
dans le monde que font et défont les passions, pour s'accomplir.
Telle est: « la tragédie que l'absolu joue
éternellement avec lui-même: il s'engendre éternellement dans l'objectivité, se livre sous cette figure qui
est la sienne propre, à la passion et à la mort, et s'élève de ses cendres à la majesté».
Ainsi, l'histoire du devenir des hommes coïncide avec l'histoire du devenir de Dieu.
Etats, peuples, héros
ou grands hommes, formes politiques et organisations économiques, arts et religions, passions et intérêts,
figurent la réalité de l'Esprit et constituent la vie même de l'absolu .
« L'Esprit se répand ainsi dans l'histoire en une inépuisable multiplicité de formes où il jouit de lui-même.
Mais son travail intensifie son activité et de nouveau il se consume.
Chaque création dans laquelle il avait
trouvé sa jouissance s'oppose de nouveau à lui comme une nouvelle matière qui exige d'être oeuvrée.
Ce
qu'était son oeuvre devient ainsi matériau que son travail doit transformer en une oeuvre nouvelle.
»
Dans cette dialectique ou ce travail du négatif, l'Esprit, tel le Phénix qui renaît de ses cendres, se dresse
chaque fois plus fort et plus clair.
Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée,
pour s'élever à une forme nouvelle, plus élevée.
De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps,.
»
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