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Qui nous dicte nos devoirs?

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« ÉLABORATION Forme de l'énoncé. Énoncé proposant une question « ouverte »; nous aurons à examiner les diverses réponses possibles. Puisqu'il est question du devoir, qui est un commandement, le mot « dicter » ne surprendra pas.

Toutefois on peut interpréter de deux façons la formule « nous dicte notre devoir » : a) ou bien je me pose, dans un cas précis, la question pratique : « Que dois-je faire ? » — « Où est mon devoir? », question particulièrement angoissante dans ce qu'on appelle un conflit de devoirs.

Qui va répondre à cette question ? b) ou bien je m'interroge sur la présence dans ma conscience de cette idée de devoir.

Question proprement philosophique, embarrassante elle aussi, car il y a une sorte de contradiction interne dans le concept de devoir, puisque le devoir nous commande d'une part catégoriquement, c'est-à-dire absolument, d'autre part inconditionnellement, c'est-à-dire sans motif, sans justification.

Donner une justification, ce serait transformer l'impératif catégorique en impératif hypothétique. En somme, le premier problème, le problème pratique (qui est chronologiquement le second) concerne le contenu de nos devoirs; l'autre, le problème philosophique, concerne la forme, le concept même de devoir. Discussion. 1.

Le problème philosophique. Quel est le fondement de tout devoir ? 1° Commençons par une distinction que nous aurions pu faire dès le début de l'analyse de notre énoncé : la question « Qui nous dicte...? » peut être interprétée de deux façons ; cela peut être « Qui nous dicte en fait...

», mais aussi, et surtout, « Qui a qualité pour nous dicter...? » — « Qui nous dicte en droit ? ». La première question n'appelle qu'une énumération empirique : notre devoir nous est dicté de tous côtés : par nos parents, par nos maîtres, par notre directeur de conscience le cas échéant, par les « moralistes », par les journaux, par les écrivains qui, dans le roman, le théâtre, le cinéma, posent des problèmes de morale.

Ce ne sont pas là d'ailleurs des autorités ayant qualité pour régler notre conduite, mais seulement des intermédiaires qui nous transmettent les commandements de cette prétendue autorité qu'il nous faut maintenant identifier. 2° Si nous examinons les diverses réponses possibles, la première qui nous vienne à l'esprit est que notre devoir nous est dicté par la voix de notre conscience.

Toute métaphore mise à part, cela signifie que nous sommes capables d'éprouver toute une gamme de sentiments particuliers, dont le sentiment du devoir n'est qu'une espèce, à côté de sentiment de l'honneur, du respect du sacré, de l'amour de la patrie, de l'admiration pour la beauté, de la foi religieuse.

Tous ces sentiments ont ce caractère commun d'être, au sens fort, désintéressés, d'exprimer une sorte d'inclination, de déférence à l'égard de valeurs transcendantes qui sont la source d'obligations absolues : on dit bien « Dieu le veut », « l'honneur commande », « noblesse oblige », « cela se doit », « ma conscience ne me le permet pas ». S'il existe pour moi des valeurs, c'est bien parce que je les accepte moi-même, en conscience : le prestige d'une autorité n'existe que parce qu'elle est reconnue.

La question se pose alors de savoir pourquoi de moi-même, sans que nulle force m'y contraigne, sans que j'y trouve aucun intérêt, j'accepte de me soumettre, de me dévouer, de me sacrifier. 3° Une réponse, ici encore, vient d'abord à l'esprit : c'est parce que j'ai été formé, éduqué de la sorte, parce que la société qui m'entoure et qui m'instruit m'a inculqué ce que dans d'autres circonstances j'appellerais des préjugés; il m'est bien arrivé par exemple d'admirer un être humain, une oeuvre d'art, un livre, parce que je n'avais cessé de les entendre admirer autour de moi, jusqu'au jour où j'ai décidé de rejeter ces idées reçues pour former librement mon jugement.

Je puis considérer que l'honneur est un préjugé de caste qui n'a de force que dans certains milieux traditionalistes.

Je puis me demander comment je jugerais Y Iliade, la Joconde, ou la Neuvième Symphonie si ces oeuvres ne m'étaient pas parvenues entourées d'un cortège d'admirateurs.

Descartes avait pris pour règle de « retenir constamment la religion en laquelle Dieu [lui] avait fait la grâce de [l'] instruire dès [son] enfance »; et Voltaire fait bien dire à Zaïre : « J'eusse été près du Gange esclave des faux dieux, Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux ». Un moraliste a même pu dire que la morale est « le préjugé du bien ». Il est bien vrai que la philosophie nous enseigne, comme dit aussi Descartes, à « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la [connaisse] évidemment être telle », mais ce que je connais évidemment être vrai, ce sont les vérités démontrables, rationnelles ; elles seules survivront à l'épreuve du doute; mais non ces croyances, si fortes soient-elles, qui par définition sont acceptées par moi sans pouvoir être justifiées. 4° Tenons-nous en à ce qui concerne le présent sujet, c'est-à-dire aux vérités morales, et plus précisément à ces propositions qui énoncent notre « devoir ».

Sont-elles de simples « préjugés de l'éducation? ». Agir par devoir, c'est agir sans y avoir intérêt, sans y être poussé par aucune inclination personnelle.

Un marchand qui ne trompe pas sur la valeur de sa marchandise pour garder sa clientèle, un philanthrope qui fait la charité parce. »

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