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Qu'est-ce qu'un souvenir ?

Extrait du document

« Position de la question.

Ce n'est pas anticiper sur la réponse à la question qui nous est posée, que de définir le souvenir comme l'acte propre de la mémoire.

Le problème est ici de rechercher ce qui caractérise le souvenir ainsi défini, par opposition aux autres emplois du terme qui ont eu cours dans le langage psychologique. I.

Sens larges. On a en effet souvent donné le nom de souvenir à des faits psychiques qui n'ont avec la mémoire proprement dite (cf. sujet 28) qu'une relation assez lointaine. A.

— Si l'on se réfère à l'étymologie, le souvenir serait tout ce qui se présente à la pensée...

Ce sens n'est certes pas usuel.

Mais il semble avoir tenté certains philosophes, et nous croyons qu'il en reste quelque chose dans les interprétations que nous allons examiner ci-après.

C'est ainsi que LEIBNIZ (Nouveaux Essais, I, chap.

I, § 5), faisant allusion aux « connaissances innées » qui existent virtuellement en nous, affirme que « nous avons une infinité de connaissances dont nous ne nous apercevons pas toujours »; à ce propos, il remarque que « cela s'appelle fort bien souvenir » et il surdétermine cette remarque en rappelant que subvenire signifie aussi, en latin, « venir en aide » : ces connaissances innées viennent en aide à la réminiscence.

Ne trouvons-nous pas un écho de ce sens dans l'emploi impersonnel — qui est l'emploi originel — du verbe : « Il me souvient que...

», où la référence au passé est souvent laissée dans l'ombre ? B.

— Cette référence est à peine plus nette quand le mot souvenir est employé pour désigner le simple retour d'un état passé.

C'est ainsi que, selon BERGSON, lorsque, après avoir répété un certain nombre de fois une leçon, nous la savons par coeur, « on dit qu'elle est devenue souvenir » : en réalité, il s'agit ici d'une habitude et le langage courant ne s'exprime guère ainsi.

De même, les psychologues ont appelé souvenir affectif le retour d'un état affectif : sensation, sentiment ou émotion, à la conscience.

Mais, tout comme l'habitude, ce retour est un état nouveau, vécu comme actuellement présent (et non comme passé), et c'est pourquoi certains psychologues se sont refusés à reconnaître l'existence d'une « mémoire affective ».

Dans tous ces cas, nous ne sommes donc pas encore en présence du souvenir véritable. C.

— Nous en dirons autant du « souvenir pur » tel que l'a défini BERGSON.

On sait que BERGSON a nommé ainsi (il dit encore « souvenir personnel » ou « souvenirfantôme ») l'image du passé qui « dure » dans notre inconscient.

En quel sens ce souvenir est-il pur ? Il est sans point de contact avec la sensation présente, sans compromission avec l'action; il se situe sur le plan du rêve.

Et c'est pourquoi il demeure inconscient, inconnu de nous (sauf de vagues apparitions dans le rêve) jusqu'au moment où il trouve moyen de s'actualiser en souvenir-image en s'incarnant dans un acte.

— Mais, en réalité, le « souvenir pur » n'est qu'une hypothèse. La seule donnée de l'observation psychologique est ce souvenir-image, redevenu conscient.

On voit mal comment le « souvenir pur » aurait pour essence, ainsi que le prétend BERGSON, de porter par lui-même une date.

L'attribution au passé et la datation du souvenir ne résultent pas d'une intuition directe, mais d'opérations complexes qui l'intègrent à une « conscience », à un système mental différents de la conscience actuelle. II.

Le souvenir proprement dit. Cette dernière remarque nous conduit à la véritable définition du souvenir.

Celui-ci suppose l'image, mais il est bien plus complexe que l'image. A.

— a Se souvenir, écrit M.

PRADINES (Traité de Psych.

générale, I, p.

513), c'est se sentir apte à reconnaître.

n L'image pure — c'est ce qu'il y a de vrai dans la théorie de BERGSON - est quelque chose de désincarné; elle peut être du domaine du rêve ou de l'imaginaire.

C'est pourquoi elle est intemporelle, sans date.

Au contraire, il n'y a pas souvenir proprement dit, tant qu'il n'y a pas reconnaissance, attribution au passé.

Aussi l'image du rêve, contrairement à la thèse de BERGSON, n'est-elle pas un souvenir; nous la vivons comme quelque chose de présent, nous y sommes dupes du passé.

Le souvenir se situe à un niveau mental bien supérieur; car il suppose « la véritable mémoire, la mémoire humaine », laquelle est « une opération intellectuelle qui a inventé le passé et même le temps n (P.

JANET, L'intelligence avant le langage, p.

139).

Il est solidaire de cette construction de l'intelligence qu'est le temps et suppose la prise de conscience du passé en tant que passé. B.

— D'autre part, l'image se rapporte à un monde autre que le monde réel, le monde du rêve ou de l'imaginaire.

Le souvenir, au contraire, en tant qu'écho du passé, se rattache à un réel qui n'est plus, mais qui a été et que, moins encore que le présent, nous ne pouvons modifier.

Nous retrouvons ici une différence de niveau : celle qui distingue la « fonction du réel » de la « pensée de rêve ». C.

— Cette différence de niveau est aussi celle qui sépare la pensée socialisée et, à ce titre, présentant quelque objectivité, du subjectivisme égocentrique, voire autistique, de cette « pensée de rêve ». D.

— N'oublions pas enfin que l'activité intellectuelle intervient souvent, sinon toujours, soit dans la fixation du souvenir (acte de mémoration), soit dans son évocation (acte de remémoration), évocation qui est d'ailleurs, dans bien des cas, une reconstruction plutôt qu'un -simple rappel, à tel point que le souvenir n'est jamais identique à l'image première. Conclusion.

On peut conclure par cette formule de H.

DELACROIX : « Le souvenir est un acte de l'esprit, la signature de l'esprit : l'esprit qui construit le temps en le continuant et en l'évoquant à la fois...

Le souvenir n'est pas l'image, mais un jugement sur l'image dans le temps » (Nouveau Traité de DUMAS, t.

V, p.

327 et 338).. »

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