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Qu'est-ce qu'un souvenir quand nous n'y pensons pas ?

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« Nous pouvons volontairement nous remémorer un fait passé ou bien, accidentellement, une situation évoque en nous un souvenir ; il nous semble que dans l'un et l'autre cas nos souvenirs soient à notre disposition, prêts à s'actualiser dans notre conscience si la situation s'y prête.

Doit-on demander avec les phrénologues du XIXe siècle et avec les scientifiques du XXIe siècle : où logent nos souvenirs ? La philosophie peut-elle s'appuyer sur une théorie des localisations cérébrales pour répondre à ce paradoxe : comment se conserve l'immatériel ? I-Le souvenir n'est pas une substance matérielle. L'être de la pensée c'est son apparaître, elle est en tant qu'elle apparaît, or nos souvenirs sont également des pensées.

Il faut logiquement en conclure que l'être du souvenir c'est son apparaître, il n'est qu'en tant que pensé, aussi la question posée devient caduque : un souvenir quand nous n'y pensons pas, n'existe pas. Le souvenir est immatériel, il n'est pas réductible aux connexions cérébrales qui l'accompagnent et qui n'en sont qu'un signe ou un effet, il ne se conserve pas quelque part dans le cerveau, en attendant d'être réactualisé. Demander ce que le souvenir est quand il n'est pas pensé c'est adopter une conception matérialiste et indéfendable, qui identifie le souvenir à un engramme matériel et assimile la pensée à un simple fonctionnement mécanique. Conséquemment il faut défendre avec les tenants d'une conception actualiste pure que nous ne nous souvenons pas à proprement parler, en réalité chaque souvenir est une recréation qui exige l'activité du sujet ; le souvenir est le passé recrée au moment de son évocation, il n'est pas le passé qui ressurgit, le sujet est actif et non passif dans cette théorie radicale de la mémoire. II-Un souvenir n'est pas une invention. Or la position à laquelle nous avons abouti est indéfendable, un souvenir n'est pas inventé, il y a bien quelque chose qui se conserve.

Pourtant nous ne devons pas faire de concessions aux tenants des localisations cérébrales, il est certain que la destruction de certaines parties du cerveau provoque des agnosies et des incapacités intellectuelles et motrices mais il faut refuser de réduire la pensée, ici les souvenirs, à des particules matérialisées.

Qu'un examen par IRM nous montre que telle région du cerveau est sollicitée lorsque nous nous efforçons de retrouver un souvenir n'implique pas que le souvenir y habite. Il faut donc tout autant tenir contre la thèse du souvenir-invention, il suffit pour annihiler cette vue de regarder ce qui se passe en nous lorsque nous nous souvenons.

Il y a parfois une passivité fondamentale du sujet à l'égard du souvenir, le souvenir s'empare de nous et nous domine, cela sans que nous le voulions (cf.

la madeleine de Proust).

Nous ne pouvons donc soutenir que nous créons nous même nos souvenirs, il arrive que nous soyons dominés par eux, par le passé, qui certes prend dans le présent une couleur différente (nous sommes émus, nostalgiques…), mais n'est pas crée par nous, ce n'est pas un « faux » passé que nous inventons. La solution serait alors de dire que le passé n'a pas d'existence tant que nous n'y pensons pas, mais qu'il reste coprésent au présent, enfoui dans l'inconscient et prêt à survenir à l'occasion.

Le souvenir en tant qu'enfoui se situerait « dans » notre inconscient.

Il ne se « perd » pas, mais n'est pas non plus une trace matérielle, l'inconscient n'étant pas une région localisable mais un pli du psychisme au cœur même de notre conscience. III-Le problème de la pluralité des « Je ». Lorsqu'un souvenir s'empare de moi, c'est toute ma vision actuelle de l'existence, de la situation, qui peuvent changer, soit que je devienne nostalgique ou alors lucide (cf.

les films d'Hitchcock La maison du docteur Edwardes, Pas de printemps pour Marnie, Vertigo,… où les personnages recouvrent la mémoire et par là même une stabilité psychique).

A la limite je deviens, au moins l'espace d'un instant, un autre que celui que j'étais.

Je me deviens moi-même.

Faire l'épreuve du souvenir ce serait être à la limite du dédoublement. C'est une des leçons à tirer du livre d'Ellenberger Le Mystère de la mémoire, tout se passe comme si Je devenais un autre Je, que ce soit dans la veille lorsqu'un souvenir s'empare de moi, ou dans le rêve, « Je » ne cesse de changer.

L'auteur remarque fort justement que nous passons sans arrêt d'une idée à un souvenir, à un sentiment, à une image, etc..

et que nous avons toujours l'impression de contrôler ces passages, ces sauts ; si nous y réfléchissons nous voyons des liens logiques, des associations entre nos représentations.

Or manifestement nous faisons comme si nous décidions de passer d'une représentation à l'autre, en réalité nous sommes bien souvent passifs et il faut une grande concentration pour maîtriser le flux de ses idées. Le souvenir, quand nous n'y pensons pas, c'est une modalité de notre moi non actualisée, non présente, c'est une coloration en puissance de notre moi, un de nos « Je » en suspens.

Il ne faut pas détacher le sujet de ses représentations, le « Je » psychique n'existe qu'à travers telle idée, tel souvenir, telle parole, telle image.

Nos souvenirs enfouis sont autant de « Je » virtuels, il n'y a pas un Je unique qui choisi parmi des tiroirs de souvenirs, mais une multitude de Je qui selon la situation prennent le contrôle de notre conscience, l'anarchie corrélative de la pluralité des Je est la plus manifeste dans le rêve. Conclusion : Il faut se garder d'isoler les souvenirs comme des contenus psychiques autonomes, ils sont nôtres en cela qu'ils sont autant de Je virtuels, que l'on peut devenir.

Le souvenir n'est pas localisable et n'est pas inventé, il est un autre moi-même, un Je suspendu ; toutefois il nous faut admettre que cette position n'est pas pleinement satisfaisante, le problème est déplacé et rejoint celui de l'unité du sujet et de son inconscient : que sont mes Je en. »

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