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Qu'est-ce qu'un postulat en mathématique ?

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« Les postulats des propositions indémontrables que le mathématicien « demande » (postulare) à son auditeur d'accorder.

L'étymologie du mot est ici bien révélatrice.

Le mathématicien semble faire appel à la bonne volonté de l'auditeur.

Ainsi Euclide, pour démontrer sa vingt-neuvième proposition, demande qu'on veuille bien lui accorder que par un point pris hors d'une droite dans un plan on ne peut mener qu'une parallèle à cette droite.

Le postulat est comme un théorème, dont on déduira d'importantes conséquences, mais c'est un théorème qui n'est pas lui-même démontré ! D'Alembert voyait dans les postulats un « scandale » et Blanche écrit que dans la chaîne des propositions euclidiennes «le postulat des parallèles survenait comme un maillon étranger au système, comme un expédient destiné à combler une lacune dans l'enchaînement logique». Longtemps on a vu dans les postulats de simples faits d'expérience.

Pour les empiristes la géométrie n'est qu'une description de l'espace réel tel qu'il est donné à l'intuition sensible.

Les postulats d'Euclide ne seraient que des constatations, des procès-verbaux d'expérience qui ne visent qu'à caractériser l'espace tel qu'il est : à trois dimensions, homogène, isotrope '.

Par exemple Euclide postule implicitement qu'on peut déplacer une figure sans la déformer.

N'est-ce pas là une constatation expérimentale ? Les idéalistes répondaient que points, droites, circonférences ne sont pourtant pas des choses concrètes; ce sont des essences idéales.

Nous savons aujourd'hui par exemple qu'il n'existe pas de solide rigoureusement indéformable dans la nature.

La valeur de la géométrie euclidienne ne saurait donc être d'ordre empirique.

Pour Kant la structure de l'espace — bien qu'elle soit donnée à l'intuition sensible — constitue un cadre inné de notre perception, antérieur à l'expérience des choses étendues, condition a priori de toute expérience possible, une «forme a priori de la sensibilité».

L'espace euclidien ferait partie de la structure même de notre esprit.

Et nous ne pourrions pas imaginer un espace différent.

Ainsi l'espace euclidien (et les postulats qui expriment ses propriétés) retrouverait un caractère de nécessité, d'évidence intuitive. Mais ces conceptions ont été bouleversées par l'invention de géométries non euclidiennes. Les savants alexandrins, arabes, européens essayèrent à maintes reprises et sans succès de démontrer le fameux « postulat » des parallèles.

Au XVIIIe siècle le Pr Saccheri tenta de démontrer par l'absurde l'illustre proposition euclidienne.

S'il était possible de déduire cette proposition des autres postulats et des définitions d'Euclide, on ne manquerait pas, en effet, en partant d'une proposition en contradiction avec le postulat des parallèles d'aboutir à quelque théorème qui serait en contradiction avec les autres principes de départ de la géométrie euclidienne.

Le postulat des parallèles se trouverait ainsi démontré par l'absurde.

Au XIXe siècle, deux savants, un Russe, Lobatchevski, et un Hongrois, Bolyai, poussèrent leurs recherches dans cette direction.

Lobatchevski suppose que par un point on peut mener plusieurs parallèles à une droite donnée, une « infinité de non-sécantes ».

Or, de cette hypothèse non euclidienne il déduit une série de théorèmes «entre lesquels il est impossible de relever aucune contradiction et il construit une géométrie dont l'impeccable logique ne le cède en rien à celle de la géométrie euclidienne » ' ! Dans cette géométrie les théorèmes — tout en constituant un ensemble non contradictoire — sont très différents de ceux d'Euclide.

Par exemple la somme des angles d'un triangle est plus petite que deux droits (et d'autant plus petite que le triangle a une plus grande surface).

Dans la géométrie de Lobatchevski, l'espace présente une « courbure négative ». En 1851, à son tour Riemann part d'une supposition non euclidienne.

Dans la géométrie «riemannienne» on considère que par un point pris hors d'une droite on ne peut tracer aucune parallèle à cette droite.

Riemann rejette également le premier principe d'Euclide (par deux points on ne peut faire passer qu'une droite).

Riemann déduit lui aussi de ses points de départ une géométrie cohérente, différente de celle d'Euclide et de celle de Lobatchevski.

Par exemple dans la géométrie riemannienne, la somme des angles du triangle est supérieure à deux droits.

On peut se donner une image concrète de la géométrie de Riemann en considérant des figures géométriques tracées sur une sphère (la « droite » serait le plus court chemin d'un point à un autre sur la sphère, c'est-à-dire un arc de grand cercle; on remarque que si deux points sont diamétralement opposés sur la sphère on peut faire passer par eux une infinité de grands cercles.

De même il ne saurait y avoir de grands cercles parallèles sur la sphère).

Dans la géométrie de Riemann l'espace présente une « courbure positive ». On peut donc aboutir à des propositions géométriques non contradictoires en partant d'un postulat différent du postulat d'Euclide sur les parallèles.

Le postulat euclidien perd son caractère de «nécessité».

D'autres sont concevables et mathématiquement féconds (ce qui réfute l'opinion kantienne qui voyait dans la structure de l'espace euclidien une forme a priori universelle et nécessaire de l'esprit humain).

La géométrie euclidienne qu'on avait prise jusqu'au XIXe siècle pour un absolu apparaît comme un cas très particulier de géométrie, la géométrie d'un espace à courbure nulle.

Le progrès des mathématiques ne consiste pas ici à nier les «vérités» mathématiques d'hier, mais à les situer comme un simple cas possible dans un ensemble plus vaste.

La généralisation a consisté, ici encore, à transformer une constante (courbure nulle d'Euclide) en variable. Qu'en résulte-t-il quant à la nature des postulats ? Les postulats apparaissent désormais comme des «définitions déguisées» (Poincaré).

Les postulats d'Euclide définissent un certain type d'espace géométrique, un certain type d'opérations géométriques possibles.

C'est sans doute le caractère opératoire des postulats que Poincaré voulait signifier quand il disait que le mathématicien « fait de la géométrie avec l'espace comme il en fait avec de la craie ». Les postulats euclidiens sont les règles opératoires qui s'appliquent à l'espace tel qu'il apparaît à la perception banale, à l'échelle moyenne de perception ou plutôt d'opération.

Les postulats euclidiens représentent la prise de conscience du «mode d'emploi» de l'espace à l'échelle de l'arpenteur.

Comme l'avait fort bien dit Milhaud, les postulats euclidiens peuvent s'entendre ainsi; quand on maniera des droites on saura qu'on peut les prolonger suivant leur direction : quand on aura deux points on saura qu'on peut les joindre par une droite et par une seule, etc.

Les postulats des géométries non euclidiennes constituent des schémas opératoires différents, d'abord étrangers à toute opération physique concrète mais qui pourront se révéler des modèles féconds dans le travail du physicien moderne, à des échelles d'observation et d'opération nouvelles.

(La théorie de la relativité généralisée d'Einstein se traduit très bien dans le schéma riemannien.). »

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