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Qu'est-ce qu'un Etat de droit ?

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Un État de droit est celui qui non seulement limite le pouvoir par la loi, ce qui par conséquent l'oblige, mais encore qui traite les hommes comme des sujets de droit et non comme des individus privés; ce qui l'intéresse autrement dit chez les hommes, ce sont toutes les catégories qui les unissent comme citoyens en puissance ou en acte (écolier, contribuable, électeur), et non pas les opinions ou les choix qui les singularisent au risque de les diviser comme individus. La neutralité de l'Etat est par conséquent la condition de sa reconnaissance. Neutre, l'État ne doit pas l'être seulement vis-à-vis du pouvoir, il doit encore affirmer son indépendance à l'égard de la morale et des Églises, des convictions et des opinions, si l'enthousiasme qu'elles suscitent est susceptible de dresser les individus les uns contre les autres.

« Un État de droit est celui qui non seulement limite le pouvoir par la loi, ce qui par conséquent l'oblige, mais encore qui traite les hommes comme des sujets de droit et non comme des individus privés; ce qui l'intéresse autrement dit chez les hommes, ce sont toutes les catégories qui les unissent comme citoyens en puissance ou en acte (écolier, contribuable, électeur), et non pas les opinions ou les choix qui les singularisent au risque de les diviser comme individus.

La neutralité de l'Etat est par conséquent la condition de sa reconnaissance.

Neutre, l'État ne doit pas l'être seulement vis-à-vis du pouvoir, il doit encore affirmer son indépendance à l'égard de la morale et des Églises, des convictions et des opinions, si l'enthousiasme qu'elles suscitent est susceptible de dresser les individus les uns contre les autres. Et cela s'applique d'abord au pouvoir, qui en changeant de forme change de statut.

Dans un État de droit en effet, il ne saurait être prétexte à satisfaire des ambitions personnelles, mais l'occasion de servir la collectivité.

L'image n'en est pas nouvelle.

Si Cincinatus, appelé à sauver Rome des plus grands périls, et retournant, sa tâche accomplie, aux joies simples de la vie familiale n'a pas cessé, chez Rousseau, Washington ou Robespierre, de nourrir le modèle de l'intégrité politique et morale, c'est que la leçon qu'on en tirait était claire : le pouvoir n'est pas une chose que l'on possède, comme le disait Cicéron, mais une fonction que l'on assume (Dignitas), et qui n'a pour avantage que l'honneur d'avoir su servir l'intérêt général.

En ce sens, le pouvoir implique plus de devoirs que de droits, y compris celui d'être impopulaire si les circonstances le commandent.

Ce n'est qu'à ce prix qu'on peut jouir d'une certaine autorité, car comment pourrait-on demander aux autres d'observer leurs devoirs si on ne respecte pas les siens? Si l'État est au service du droit cela signifie inversement que les individus ne pourront exiger des gouvernants que ce qui est explicitement attaché à leur charge, à savoir l'ordre, la justice et la prospérité; l'ordre, en ce qu'il apparaît comme la coexistence des pouvoirs particuliers, la justice en ce qu'elle vise à attribuer à chacun ce qui lui revient, et la prospérité en ce qu'on attend du pouvoir les institutions qui la rende possible.

On voit dès lors qu'on ne saurait demander aux gouvernants, aux fonctionnaires et aux citoyens, plus que ce qu'exige l'intérêt public ; et celui-ci n'exige pas des gouvernants qu'ils soient vertueux, non plus qu'il n'exige des citoyens quels le deviennent.

Comme le disait Diderot à juste titre : « l'affaire du droit n'est pas de surveiller la vertu du citoyen, de régler sa conduite, ou encore de s'assurer qu'il est juste » car le droit renvoie aux rapports publics entre les citoyens, et n'a que faire de la morale qui concerne le domaine privé de leurs rapports. De ce point de vue ni la Cité grecque ni la Cité romaine ne furent des États au sens propre du terme, dans la mesure où leurs institutions n'avaient pas opéré une distinction très nette entre la sphère publique et la sphère privée.

La religion comme les coutumes ancestrales pouvaient ainsi rivaliser avec le pouvoir pour contraindre les individus à respecter leurs exigences respectives.

Non seulement ils pouvaient être inquiétés s'ils professaient des opinions de nature à menacer la religion, mais encore emprisonnés si leur conduite se risquait à défier le conformisme ambiant.

Dans ce type de société, en effet, le droit n'avait pas pour but comme aujourd'hui de suivre l'évolution des mœurs; il s'employait plutôt à en freiner le cours, car ce que nous prenons pour un progrès, était alors plus volontiers perçu comme un signe de régression.

C ertes on concevait bien que la vertu ne pouvait régner partout, mais du moins attendait-on des gouvernants qu'ils fussent assez irréprochables pour s'autoriser à conduire les citoyens dans la voie de l'amélioration morale. Pourtant comme le remarque Spinoza, il est vain de vouloir réformer les individus, et plus encore d'exiger d'eux une vertu qui n'existe que dans les rêves des moralistes.

Par leur insistance à demander l'impossible, ceux-ci blessent les consciences plus qu'ils ne les réforment.

A ussi est-il moins vertueux, mais assurément plus adroit de prendre les individus tels qu'ils sont et non tels qu'ils devraient être.

Si on convient que les hommes sont soumis à des passions et continuellement exposés à y céder, on ne peut raisonnablement exiger des gouvernants une vertu qu'on n'est pas soi-même assuré de posséder.

C 'est pourquoi la politique ne peut dépendre des bons sentiments aussi louables soient-ils.

Pour Spinoza, en conséquence, l'intérêt général exigera seulement qu'on préserve l'État des effets des passions humaines en créant des institutions qui dissuaderont les individus d'en faire un mauvais usage.

Peu importeront alors les motivations des hommes pourvu qu'ils s'acquittent bien de leur tâche, ce qui ne signifie pas qu'ils doivent être immoraux, mais que la morale n'est pas nécessaire au salut de ]'État.

Et ce qui est vrai pour les gouvernants vaudra aussi pour les gouvernés.

Il importe peu à l'État que subjectivement les individus soient rebelles ou bienveillants à l'égard des finances publiques si l'impôt qu'ils lui doivent est effectivement acquitté.

C e qui intéresse l'État, c'est le contribuable comme sujet de droit, et non la pureté de ses intentions comme sujet moral. Pousser la logique de cette différenciation jusqu'à son terme implique une séparation tout aussi nette de l'Église et de l'État.

L'expérience comme la raison montrent en effet que l'État ne saurait confondre ses intérêts avec ceux de l'Église sous peine de voir son existence menacée dans ses fondements mêmes. L'Etat étant une puissance souveraine, il ne peut ni accepter que l'Église détienne le pouvoir de dire le droit, ni surtout qu'elle le fasse à partir d'une lecture partisane des Écritures dont on sait qu'elle a toujours engendré le fanatisme et les dissensions.

C'est pourquoi l'Etat ne peut tolérer qu'on s'autorise d'une croyance pour imposer ses convictions, proscrire le libre usage de sa raison, ou prescrire l'adoption de tel ou tel comportement.

Et c'est en vain qu'on invoquerait l'autorité du caractère sacré des croyances pour justifier de telles pratiques, car une croyance n'est sacrée que pour celui qui la professe, mais elle ne saurait engager celui qui ne la partage pas à lui reconnaître ce caractère.

Pour l'Etat, aucune croyance n'est sacrée; ce qui est sacré c'est la personne de celui qui croit, et non la croyance elle-même.

On doit le respect à des personnes comme sujets de droit, c'est-à-dire qu'on doit s'abstenir de toute violence à leur égard, non pas parce que leurs croyances seraient respectables ou sacrées, mais parce qu'elles disposent du droit de les professer, fussent-elles absurdes. En outre, s'il advenait que l'État favorise une croyance au détriment des autres, celles-ci seraient en droit de réclamer le privilège qu'il leur refuse.

C 'est pourquoi comme le remarque Hegel l'État doit s'émanciper de ce rôle équivoque de gardien des dogmes au nom de la paix civile dont il est le garant.

Pour le bien de l'Église comme de l'État leur séparation est donc une nécessité non seulement parce qu'elle permet à l'État de dire le droit à l'abri des querelles religieuses, mais aussi parce que sa neutralité est la garantie de l'indépendance et de la coexistence des Églises.

En France, cette neutralité prend le nom de laïcité. Ce qui est vrai pour les opinions religieuses vaudrait également pour les opinions politiques.

C'est parce que l'État est tenu par un devoir de réserve que l'École ou les hôpitaux n'instituent pas des régimes différents selon que l'on est riche ou pauvre, proche ou éloigné de la coloration politique du pouvoir.

Ce qui signifie que les fonctionnaires se perçoivent comme les agents d'un Etat neutre tout aussi distinct de la société civile et de ses dissensions, qu'il est distinct du pouvoir politique et de ses ambitions.

En ce sens, plus l'État est indifférent en matière politique, plus cette indifférence favorise la liberté d'expression. Pendant longtemps, on fut persuadé du contraire, fort de l'idée que l'État devait à l'ordre public la condamnation sans appel de toutes les opinions qu'il pouvait juger séditieuses.

Mais pour Spinoza, la paix civile ne vaut rien si elle doit tout à la servitude.

En outre, on manifeste une méconnaissance profonde de la nature humaine si on s'imagine que la répression viendra à bout des opinions qui se nourrissent toujours de l'acharnement qu'on déploie à vouloir les combattre.

Aussi Spinoza juge-t-il plus sage de les laisser s'exprimer; placées sur un plan d'égalité elles se neutralisent par leur diversité, voire s'enrichissent de leurs différences sans nuire à l'ordre public si elles n'en appellent pas à la haine et la subversion.

Or cela est rendu possible parce que l'État est lui-même dégagé de toute opinion particulière; en les tolérant toutes, il satisfait tout le monde sans heurter personne.

Garant des libertés individuelles, l'État est encore l'instrument de leur libération.

Il ne suffit pas en effet d'en proclamer le droit, si on n'affranchit pas les individus des chaînes qui en interdisent l'usage.

Et c'est à juste titre que Durkheim peut affirmer que plus l'État est fort, plus l'individu est respecté, car plus l'État étend sur la société un espace public en place des particularismes locaux, plus il émancipe les individus des contrôles sociaux qui entravent leur épanouissement.

En dépouillant les autorités traditionnelles de leurs pouvoirs, ils les prépare à devenir responsables; en les éduquant, ils les rend conscients des potentialités dont ils sont porteurs; en instituant une législation du travail, il les libère de l'arbitraire patronal. On voit que l'État n'est pas l'ennemi de l'individu.

Bien au contraire, il en garantit les droits comme il en favorise l'épanouissement.

Pourtant ces droits ne sont pas absolus, et ne sauraient l'être si le pouvoir politique juge nécessaire de les suspendre dans l'intérêt de la communauté.

Il est des cas, autrement dit, où les raisons de l'État doivent prendre le pas sur les raisons des citoyens à faire valoir les leurs.

Mais si cela est vrai on peut comprendre que la Raison d'État, c'est-à-dire l'invocation de l'intérêt supérieur de l'État, soit une épreuve cruciale pour l'État de droit en ce qu'elle l'interroge sur son aptitude à ne pas trahir les principes qui le constituent.. »

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