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qu'est-ce que la science des moeurs ?

Extrait du document

« I.

— Les sociologues de l'école française contemporaine, et en particulier Durkheim et Lévy-Bruhl, réduisent la morale à une science positive et à une technique des moeurs.

Pour eux, le moraliste ne peut que constater des faits, analyser les événements humains et rechercher des rapports constants.

« Les sentiments, les idées, les coutumes, les moeurs doivent être considérés comme des choses et étudiés comme tels » (Durkheim). Les morales philosophiques, remarque M.

Lévy-bruhl, partent des théories les plus diverses pour aboutir à des préceptes analogues ; du reste, ces morales reposent sur le postulat d'une nature humaine identique à elle-même dans tous les temps et dans tous les pays, et ce postulat n'est, pour Durkheim, qu'un « concept logique » sans valeur objective.

On en conclut que « la morale théorique », telle qu'elle est conçue habituellement, paraît incapable de se soutenir, et que par suite il faut lui substituer la « physique des moeurs » (Lévy-Bruhl), c'est-à-dire une étude objective et purement expérimentale. II.

— Le moraliste doit donc commencer par constater les faits moraux, « les observer, les décrire, les classer et rechercher les lois qui les expliquent » (Durkheim).

Il étudiera, en particulier, leur développement historique, leur évolution et déterminera les éléments communs à tous les temps et à tous les pays ; en un mot, la morale sera un simple prolongement de la sociologie. Mais les positivistes ne s'arrêtent pas là ; ils ont un but pratique en cultivant cette « branche de la sociologie » qu'ils nomment « la science des moeurs ».

S'ils étudient l'histoire des événements moraux et sociaux, c'est afin d'en diriger le mouvement et d'en tirer une règle idéale : la vraie morale, pour eux, consiste dans « la détermination des moyens à prendre pour bien diriger l'évolution morale ».

Ainsi entendue, la morale n'est pas et ne peut pas être une science, c'est un art, et « l'expression : morale scientifique équivaut à l'expression : art moral rationnel » (A. Bayet).

En somme, la morale pratique est une technique tirant de la sociologie les préceptes de la conduite humaine. III.—Dans cette conception nouvelle de la morale, on peut se demander ce que deviennent les notions traditionnelles de bien, d'obligation, de devoir, etc.

Ces notions prennent ici une nouvelle signification ; c'est par rapport à la société qu'on va les définir : le bien, c'est ce qui est conforme à l'utilité publique; le devoir, c'est l'obligation de se soumettre aux « impératifs collectifs » du groupe dont on fait partie.

« La thèse sociologique consiste à placer au-dessus des consciences individuelles, faillibles et sans autorité, une conscience collective, seule capable de déterminer le véritable bien et de dicter des arrêts obligatoires » (A.

Bauer, Rev.

philos., juin 1912).

Comme le dit nettement Durkheim, « tout ce qui est obligatoire est d'origine sociale...

la morale n'est rien si elle n'est pas une discipline sociale ». IV.

— Telle est, dans ses grandes lignes, la conception sociologique de la morale, « science des moeurs » et « art rationnel ». 1° Cette conception réalise sans doute un très grand progrès sur les conceptions précédentes de la morale dite scientifique.

Mais on peut se demander si la morale doit se contenter d'être seulement une science ou une technique tirée de la science.

Il ne s'agit pas uniquement, en effet, de connaître les origines de nos croyances morales ; l'essentiel est d'en savoir la valeur réelle.

Sans doute les faits moraux se rattachent à des conditions sociales définies, mais cela ne supprime pas leur caractère idéal et leur origine psychologique. La notion de bien, par exemple, ne peut être conçue que comme universelle en droit, et si dans la réalité, on remarque des variations assez sensibles dans la manière dont ce concept est appliqué, il n'en reste pas moins vrai que le concept lui-même est semblable dans tous les temps et dans tous les pays, et que le principe universel de la morale est qu'il faut « faire le bien et éviter le mal ». 2° D'autre part, vouloir fonder la morale sur une étude positive des faits, c'est entreprendre une tâche impossible. Comme le fait remarquer Belot : « aucun donné, comme tel, ne peut être un principe suffisant du jugement moral ». C'est aussi l'opinion de H.

Poincaré, qui écrit : « les principes de la science ne sont et ne peuvent être qu'à l'indicatif.

Or pour qu'une conclusion soit à l'impératif, il faut qu'une des prémisses au moins du raisonnement soit à l'impératif».

C'est dire que la simple constatation d'un fait, même d'un fait social, ne suffit pas à elle seule à fonder un droit.

Lévy-bruhl lui-même semble s'en rendre compte; il reconnaît que la morale réduite à une pure sociologie serait exclusivement conservatrice, et que « la science des moeurs ne détruit pas les systèmes de morale ». V.

— Et cependant, il faut ajouter que si la morale ne doit pas être réduite à une science positive, celle-ci peut lui rendre de grands services.

L'amélioration sociale et politique, par exemple, ne peut manquer d'avoir sa répercussion sur la moralité. D'autre part, la sociologie fournit une introduction excellente à la morale; en nous faisant connaître les moeurs, et aussi l'idéal, des générations passées, elle nous indique ce qui a été réalisé, ce qui est réalisable; elle maintient la morale en contact avec les faits et nous donne des moyens pratiques pour réaliser le bien conçu et voulu par la conscience. Mais, encore une fois, il ne s'agit pas de conclure à une identité entre la sociologie et la morale.

La première ne considère, dans les actes humains, que le point de vue extérieur; la morale s'attache, au contraire, au motif intérieur de ces actes, à leur point de vue subjectif.. »

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