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Qu'est-ce que la maîtrise de soi ?

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« Introduction.

— Autrefois, alors que l'automobile n'avait pas encore accaparé nos routes, des gravures donnaient aux enfants, comme exemple de courage, le spectacle d'un homme se précipitant sur la bride d'un cheval emballé pour le maîtriser.

Aujourd'hui, ce verbe évoque plutôt les efforts déployés dans la lutte contre la violence des forces de la nature ou de l'homme : les pompiers maîtrisent les incendies ; la police, les mouvements séditieux... Ces exemples nous donnent bien une idée de ce qu'il faut entendre par « maîtrise de soi », mais une idée incomplète. A.

Sans doute, la maîtrise de soi se manifeste surtout dans la répression de mouvements de violence dont nous pourrions être tentés : principalement ceux que suscitent la colère, la passion, les émotions déréglantes... Il y a aussi — s'opposant à ces attitudes agressives — les mouvements d'évasion, tant intérieurs qu'extérieurs, que provoque l'imminence d'un grand danger : menaces de sévices physiques ou de révélations déshonorantes ; cataclysmes naturels ou accidents tragiques...

Qui n'est pas maître de soi prend alors une fuite éperdue, ou bien, transi de peur, il est paralysé ou encore il tremble, s'agite en gestes inconsidérés...

La maîtrise de soi, au contraire, réprimant les réactions d'un aveugle vouloir-vivre, permet de faire face au danger et de s'en garantir de la manière la plus efficace. B.

Mais cette maîtrise ne se réduit pas à une capacité de répression ou d'inhibition des mouvements inopportuns.

Elle comporte aussi, on risque de l'oublier, une possibilité d'impulsion dans le sens de ce qu'il convient d'obtenir. Il y a d'abord les exigences des occupations quotidiennes dont parle le poète : La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d'amour. Faute d'amour, il faudra une véritable maîtrise de soi, laquelle d'ailleurs n'est pas exclue mais plutôt supposée par l'amour. Il arrive même que les besoins de l'action conseillent le déclenchement de ces forces que la maîtrise de soi consiste d'ordinaire à contenir.

C'est encore être maître de soi — peut-être même avons-nous là le plus haut degré de cette vertu — que de pouvoir, « à bon escient et de propos délibéré » se laisser aller à un mouvement de colère ou d'indignation, pourvu toutefois que l'on conserve la possibilité de l'arrêter quand il le faut. Conclusion.

— La maîtrise de soi consiste donc essentiellement à gouverner sa vie émotionnelle : non pour la neutraliser, mais pour la régler.

Alors, au lieu de faire obstacle aux conduites que la raison demande, elle contribue au contraire à les promouvoir. """"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""" Position de la question.

Tous les moralistes ont préconisé la maîtrise de soi comme un aspect essentiel de la moralité personnelle.

Nous avons ici à déterminer en ce quoi consiste exactement cette maîtrise de soi et à quelles conditions elle peut être réalisée. I.

Le « moi profond ». A.

— Bergson a donné le nom de « moi profond » à cette partie de notre « moi » qui est toute spontanéité, qui est subjectivité pure et qui n'est pas soumise aux nécessités de l'action pratique.

De l'aveu même de BERGSON (Données immédiates, p.

98), ce «moi profond» est «confus, infiniment mobile et inexprimable ».

Il est caractérisé par une « absurdité fondamentale » (Ibid., p.

101) en ce sens qu'il ne se prête pas à la logique de l'intelligence.

— La psychanalyse, elle aussi, nous a montré que, sous le « moi » proprement dit, il existe un « soi » (ou, comme a dit Freud, un «ça ») formé de toutes les forces inconscientes, de tous les instincts qui sont le fond de l'être humain. B.

— Il faut se hâter d'ajouter que ce moi « profond » ou inconscient n'est pas notre vrai moi.

Il ne présente aucun des caractères de la personnalité véritable.

Il manque de cohérence et d'équilibre; il s'impose à nous de façon impulsive plutôt que nous ne le gouvernons vraiment ; il est fait de forces obscures qui s'opposent à la lucidité de la pensée consciente : « C'est là, a écrit G.

BELOT, qu'on rencontre, au lieu de la liberté, l'automatisme; au lieu du vouloir, des impulsions aveugles ; au lieu de l'harmonie et du consensus, les incohérences, les contradictions, les obscures batailles de la vie intérieure».

Comment soutenir que nous serions véritablement maître de nous-même si nous nous abandonnions à ces forces instinctives et inconscientes ? Nous apercevons ainsi une première condition de la maîtrise de soi : c'est que nous sachions dominer ces forces impulsives, les soumettre à la loi de la raison et à la discipline de notre volonté, être, en un mot, une personne au lieu de rester un être tout d'instincts.

L'homme qui est vraiment maître de soi, est celui qui est capable de commander à ces impulsions, celles des instincts physiques comme aussi celles de l'émotivité irréfléchie. II.

«L'homme des masses». A.

— L'homme vit en société, et il y a toute une partie de lui-même qu'il tient de ses attaches sociales.

Trop souvent même, il se borne à refléter les idées, préjugés, sentiments, manières d'agir, etc., qu'il a reçus ainsi de son milieu, et alors il en est aussi esclave qu'il peut l'être, par ailleurs, de ses instincts et des forces inconscientes du moi profond ».

Il en est souvent ainsi dans les sociétés primitives où la personnalité individuelle est peu développée et où «tout le monde admet ce que personne n'a réellement pensé ».

Mais le même résultat risque de se produire dans nos sociétés modernes où l'homme devient de plus en plus «l'homme des masses », où la propagande sous toutes ses formes (journal, publicité, radio, télé, etc.) met en danger son sens critique, où enfin, par suite de la multiplication des groupes sociaux qui l'enserrent et de la « mécanisation sociale » (comme a dit le sociologue mexicain L.

MENDIETA Y NUNEZ, Théorie des groupements sociaux, p.

193) qui en résulte, l'individu est atteint d'une véritable « dépersonnalisation », devient incapable d'agir et de juger par lui-même, bref ne s'appartient plus.

Ajoutons-y ces "mouvements irréfléchis " des foules, ces entraînements collectifs, dont l'historien DAUNOU disait déjà en 1829 que, grâce à eux, «les prestiges passent pour des réalités, les déviations pour des découvertes et les pas rétrogrades pour des marches triomphales ». B.

— Là est peut-être le plus grand danger qui menace la maîtrise de soi chez l'homme moderne.

Il ne pourra y parer qu'en veillant soigneusement à conserver son autonomie et son esprit critique ; en résistant à ces entraînements irréfléchis des masses ; et, tout en satisfaisant aux obligations de la vie sociale, en se refusant énergiquement à tout ce qui menace de l'asservir et de le réduire au rôle de rouage dans cet immense mécanisme. Conclusion.

L'homme doit être maître de soi parce qu'il doit être une personne, et non l'esclave de ses impulsions ou le simple reflet de son milieu social. Mais il ne peut l'être qu'à condition de faire prédominer en lui la raison et la pensée claire sur toutes les impulsions plus ou moins troubles, d'où qu'elles viennent.. »

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