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Quels sont les principaux fruits de l'étude de l'Histoire ?

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« L'Histoire est une discipline constituée en science depuis bien peu de temps.

Qu'est en effet le siècle qui nous sépare des RANKE et des MOMMSEN comparé à la vie déjà longue des mathématiques ou de la physique? Aussi ne faut-il pas s'étonner si, de nos jours, bien que les problèmes posés par l'étude de l'Histoire soient débattus avec ardeur, ils n'aient pas encore eu le temps d'être résolus : méthode de l'Histoire, objectivité historique et ses limites, utilité pratique de l'Histoire, philosophie de l'Histoire, autant de problèmes qui se posent au logicien, au psychologue, au métaphysicien plus encore qu'à l'historien. Délaissant ces problèmes, nous en aborderons un autre : quels fruits peut apporter l'étude de l'Histoire ? Il n'est pas ici question de la valeur de la connaissance de l'Histoire; mais de la valeur de son étude; non de sa valeur pratique, de sa valeur pédagogique.

La distinction de ces deux points de vue n'est pas subtile à l'excès; ne voyons-nous pas, par exemple, les langues classiques anciennes figurer à la meilleure place de notre enseignement secondaire à cause des précieuses qualités d'esprit que leur étude développe, alors que leur utilité pratique dans la vie est assez faible ? Après réflexion sur la valeur de l'étude de l'Histoire en tant que formation de l'esprit, il nous semble pouvoir distinguer trois fruits principaux à en retirer : l'Histoire peut développer chez celui qui l'étudié le sens du fait singulier et concret, le sens du relatif et le sens du temps Ce sera là, croyons-nous, la marque caractéristique de l'esprit de l'historien. L'Histoire est une science qui étudie des faits singuliers et concrets.

Un fait historique est absolument unique en son genre, il ne se répétera jamais.

Sans doute objectera-t-on qu'il n'y a de science que du général, et que si l'Histoire veut mériter le nom de science... C'est vrai; aussi bien l'Histoire ne se borne-t-elle pas à la collection de faits isolés; elle s'occupe à les interpréter, à en expliquer les origines et les conséquences, à les replacer dans un ensemble; elle fait des synthèses parfois fort vastes.

Il m'en reste pas moins vrai qu'à la base il y a le fait singulier et que toute synthèse échouera qui oublie cela. Toute science, il est vrai, se base sur des faits singuliers, chaque expérience de physique ou de chimie est un fait singulier, mais ces faits ne sont pas étudiés en tant que singuliers; on en abstrait ce qu'il y a de général et l'expérience physique ou chimique peut être recommencée aussi souvent que l'on veut.

En histoire, les expériences ne se recommencent pas; sans doute, des circonstances analogues amèneront-elles des événements analogues, mais, de ces événements analogues, il sera impossible d'abstraire un caractère général en oubliant ce qu'ils ont de singulier.

Dans le domaine des sciences mathématiques ou physiques, il est possible d'échafauder des théories hors de toute expérience directe, ou encore de déduire certains faits à partir des lois connues, ou même de les déduire d'hypothèses nouvelles sans rapports avec l'expérience.

C'est ainsi que sont nées les géométries non euclidiennes, aujourd'hui si utiles aux astronomes.

Rien de tel en Histoire, les faits y échappent à toute déduction rationnelle, à toute hypothèse tant soit peu détachée de l'expérience.

Les philosophes n'hésitent pas, afin d'envisager un problème sous tous les angles possibles, à supposer des conditions totalement différentes de celles de la réalité afin de voir ce qui en découlerait.

Ce procédé de pensée est inadmissible en Histoire.

Celle-ci ne connaît pas de « futuribles », l'historien n'a pas à connaître des « si ».

Est Histoire ce qui est, non ce qui aurait pu être.

Évidemment, « si » Alexandre avait vécu vingt ans de plus, « si » Napoléon n'avait pas existé, «si» Hitler..., le cours de l'Histoire aurait été différent de ce qu'il est, mais l'historien n'a pas à s'en occuper.

Il pourrait facilement prendre pour mot d'ordre la phrase de l'Évangile : « Est est, non non.

» Cette habitude qu'a l'historien ou le familier de l'Histoire de considérer des faite qui s'imposent à lui et contre quoi échouent tous les raisonnements, lui donne une précieuse qualité : la fidélité au réel vu en face et accepté.

Devant un événement, il ne cherche pas à discuter, à raisonner, à ruser, il l'accepte tel quel et en tient compte, sacrifiant sa théorie démentie par le fait plutôt que de nier celui-ci. Cette attitude d'esprit a été fort bien exprimée par BERDIAEV : « On ne discute pas contre une éruption volcanique.

» Bien sûr, l'Histoire n'est pas seule à enseigner cette fidélité au réel, mais il nous suffit de savoir qu'elle l'enseigne. L'Histoire, avons-nous dit, donne à qui la pratique le sens du fait singulier, mais aussi le sens du relatif.

Vue de très haut, l'histoire universelle apparaît comme un gigantesque tourbillon de civilisations, d'empires, d'Etats, qui naissent, croissent, disparaissent lentement ou brusquement, se dévorent mutuellement, éblouissent par leur splendeur avant de tomber dans le néant.

Que de villes jadis prospères et belles dont il ne subsiste que de vagues restes ensevelis sous les sables ! Que de peuples qui, jadis, dominèrent le monde et dont aujourd'hui le nom seul est à peine connu des spécialistes ! Les grandeurs humaines semblent bien petites à l'historien qui les contemple avec le recul du temps et bien .éphémères les plus durables puissances.

Que restera-t-il dans mille ans des plus grandes puissances actuelles ? Le souvenir sans doute, mais peut-être pas beaucoup plus.

L'historien sait que les civilisations sont mortelles et que point n'est besoin pour les faire disparaître de catastrophes inouïes; le seul rythme de la vie du monde y suffit.

Il sait que tout sur notre terre est fragile, transitoire, condamné à périr avant même que d'exister.

Il sait que le monde est déjà vieux, que beaucoup de choses déjà ont été pensées ou dites, que nos contemporains s'imaginent découvrir.

Il sait que les plus redoutables tyrans tombent, que les flots d'invasion les plus irrésistibles Unissent toujours par s'étaler, que les révolutionnaires les plus intrépides s'assagissent avec les ans, que les plus inconciliables idéologies s'usent en se frottant l'une contre l'autre et finissent par se concilier.

Il sait surtout que la vie est plus forte que tout et a raison de tout. Plus que quiconque, l'historien regarde les hommes avec sérénité, il ne s'en laisse pas imposer par eux, et volontiers il s'écrierait avec l'Ecclésiaste : « Vanité des vanités et tout est vanité, » Cette vue de l'histoire peut sembler pessimiste, elle est peut-être seulement réaliste.

La formidable diversité des civilisations dans le temps et dans l'espace enseigne à l'historien que rien n'est absolu et que.

par conséquent, il faut à l'homme une attitude de saine humilité.

L'Histoire est une école d'humilité, de prudence, de largeur d'esprit, de tolérance : si peu de choses ici-bas méritent un engagement total de notre part ! A côté de ce sens du relatif qu'elle donne et en relations avec lui, l'Histoire apporte aussi le sens du temps.

Tous les phénomènes historiques se placent et se déroulent dans le temps.

Le temps est véritablement la dimension de l'Histoire.

Les siècles, les millénaires même, se déroulent sous les yeux de l'historien; pour lui, le passé garde ses vraies dimensions, alors que, pour le profane, il semble s'aplatir, perdre tout relief.

Il nous souvient de l'étonnement d'un jeune homme, grand admirateur de la civilisation médiévale, lorsque nous lui fîmes réaliser qu'il a coulé plus de temps entre la mort de saint Louis et celle de Jeanne d'Arc qu'entre la prise de la Bastille et aujourd'hui.

Il ne manquait certes pas de connaissances historiques, mais n'avait pas réalisé cette présence de temps dans l'Histoire. Habitué à voir les événements se dérouler ainsi de façon temporelle, l'historien est plus apte qu'un autre à considérer le temps comme une des dimensions de toute vie, comme une dimension nouvelle qui doit modifier l'aspect de toutes choses.

Il sait que la vie de l'homme comme celle des Etats a besoin du temps pour se réaliser, que le temps est nécessaire, que, suivant le proverbe, il n'épargnera pas ce que l'on aura fait sans lui.

L'Histoire apparaît ainsi comme une école de patience et de sagesse.

Qui l'a étudiée et méditée sait qu'il est vain de vouloir aller trop vite, doubler les étapes, que les plus grands génies ont eu besoin de beaucoup d'années pour réaliser leurs oeuvres.

Il sait aussi que le monde change avec le temps, qu'il n'est pas de situation acquise que le temps ne vienne modifier, de problème dont les données se changent avec le temps.

L'Histoire n'est sans doute pas la seule science capable de nous donner ce sens du temps : la géologie, par exemple, le peut aussi, comme l'a fort bien noté TERMIER.

Mais aucune science ne peut, aussi bien que l'Histoire, nous apprendre l'importance du temps dans la vie de l'homme.. »

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