Quelle différence y a-t-il entre un mathématicien qui raisonne et une machine qui calcule
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Quelle différence y a-t-il entre un mathématicien qui raisonne et une machine qui calcule ?
Introduction.
— De plus en plus, la machine prend la relève de l'homme.
Elle ne le remplace pas seulement pour l'exécution de tâches
matérielles ; elle se substitue encore à lui pour des opérations mentales qu'elle effectue mieux que lui et plus rapidement.
Depuis
longtemps, le comptable dispose d'une machine à calculer qui additionne, soustrait, multiplie, divise sans jamais se tromper.
Mais depuis
la dernière guerre mondiale il s'est produit dans cette branche du machinisme des développements spectaculaires.
Tout le monde connaît au moins de nom le radar qui, grâce à une onde réfléchie, détecte le navire ou l'avion ennemi, le suit dans ses
déplacements et fournit au guetteur toutes les indications utiles : position dans l'espace, direction, vitesse...
Ensuite, élaborant ces
informations, une calculatrice électronique détermine, bien plus rapidement que ne pourrait le faire un artilleur entraîné, le point à viser,
pointe le canon et déclenche le coup.
Certes il y a là de quoi s'émerveiller.
Mais s'ensuit-il que l'homme est complètement remplacé, et n'y a-t-il pas de différence entre le
mathématicien qui raisonne et la machine qui calcule ?
Nous serions d'abord tentés de chercher la différence dans l'opposition de ces deux verbes : si la machine effectue des calculs, dirionsnous alors, elle est incapable de raisonner.
Mais l'opposition n'est qu'apparente.
Le raisonnement, en effet, est une sorte de calcul, aussi
les logisticiens parlent-ils du calcul des propositions ; le mathématicien raisonne en calculant, et dans le langage courant, « calculer » les
suites d'une décision implique d'ordinaire de simples déductions sans recours aux chiffres.
Bien plus, la machine peut, moyennant les
montages appropriés, effectuer des raisonnements aussi bien que des calculs.
Aussi préciserons-nous ainsi la question : la machine à calculer ou à raisonner obtient les mêmes résultats que l'homme, bien plus elle
les obtient plus rapidement et sans les erreurs qui échappent au calculateur ; mais procède-t-elle comme l'homme ?
Le bon sens nous fait immédiatement répondre par la négative ; encore faut-il justifier cette négation.
Différente de l'homme en origine et en nature, la machine ne peut pas, dans ses calculs et ses raisonnements, procéder comme lui.
a) En un certain sens, l'homme s'est fait tout seul ; l'oeuf microscopique détaché de sa mère et que son père féconda a produit, par une
longue série de multiplications et de différenciations, les divers organes du corps et en particulier le cerveau, organe de la pensée.
Au contraire, la machine a été construite par l'homme ; c'est à l'homme qu'elle doit tous les agencements grâce auxquels elle peut
effectuer des calculs plus rapidement et plus sûrement que lui.
b) Cette construction se réalise à partir de la matière brute.
Le constructeur choisit d'ordinaire des métaux résistants ; mais une machine à
calculer pourrait tout aussi bien être construite en bois.
Les machines électroniques sont plus complexes en fait de matériaux : il leur faut
en particulier de bons conducteurs électriques et de bons isolants ; mais nous restons toujours dans le domaine de la physique.
Le corps humain, au contraire, relève de la physiologie : il est fait de matière vivante, et c'est précisément ce germe de vie, reçu de
l'ascendance, qui anime chez l'être humain toute l'activité, non seulement physiologique, mais encore psychique : c'est un être vivant qui
calcule et raisonne.
A la vie, que possèdent les plantes, s'ajoute chez l'animal, la conscience, et chez l'animal supérieur qu'est l'homme, la conscience
réfléchie.
Inconscientes dans la machine, les opérations de calcul et de raisonnement sont conscientes chez l'homme.
Ces machines ne savent pas qu'elles calculent ou raisonnent ; elles ignorent l'arithmétique et la logique tout comme l'animal, et elles ne
connaissent pas plus le sens des chiffres qu'elles impriment que le crayon du vendeur ne connaît le sens des signes tracés par celui qui
l'utilise sur la fiche destinée à la caisse.
Sans doute, chez l'homme qui calcule ou même chez celui qui raisonne, une partie du travail est mécanique, et par suite plus ou moins
inconscient : ainsi j'utilise la table de multiplication sans effectuer mentalement les calculs élémentaires qu'elle formule.
Du moins je
n'ignore pas ce que je fais, en sorte que, si on me le demande, je pourrai répondre sans hésiter : je calcule.
D'ailleurs la difficulté même
du calcul m'oblige souvent à en prendre une conscience réfléchie : je suis attentif aux opérations effectuées, afin de m'assurer de leur
enchaînement ; je reviens en arrière, parfois en vue d'un contrôle, parfois aussi pour jouir d'une vue d'ensemble sur le chemin parcouru.
En effet, l'activité calculatrice de l'homme s'intègre dans un psychisme complexe dont l'étude fait l'objet de la psychologie, tandis que la
machine calculatrice se contente d'effectuer les opérations matérielles du calcul : celles-ci relèvent de la seule physique.
Aucune tendance, aucun vouloir, rien d'affectif dans la machine.
Elle n'éprouve pas le moindre besoin ou le moindre désir de calculer.
Après avoir effectué un long calcul, elle n'est pas plus fière d'elle-même que le marteau-pilon qui vient d'aplatir un gros bloc de fer.
Il n'y
a d'ailleurs en elle aucun désir, aucun vouloir, aucun regret, pour la bonne raison qu'elle n'a aucune idée des choses à désirer, à vouloir
ou à regretter.
Au contraire, l'homme qui calcule ou raisonne a toute une vie psychique fort complexe dont le calcul ou le raisonnement ne constitue
qu'une petite partie.
Toute son activité a pour ressort un vouloir-vivre fondamental auquel s'ajoute, avec la montée de la conscience,
l'aspiration à jouir et à dominer.
Ce vouloir-vivre et cette aspiration tendent à asservir les facultés de calcul et de raisonnement.
Sans
doute, le mathématicien peut en venir à trouver son plaisir dans l'exercice même de ce pouvoir et dans la conscience de savoir et de
comprendre.
Mais il reste homme, et si l'homme calcule et raisonne, c'est surtout pour déterminer les moyens de satisfaire ses tendances
qui parfois s'exaspèrent en passions.
De là, dans son activité mentale et jusque dans ses calculs, des gauchissements et des erreurs
auxquels n'est pas exposée la machine qui n'aspire à rien et ne sent rien.
Devrons-nous donc lui attribuer la primauté ? II ne saurait en être question.
En effet, à parler strictement, la machine à calculer ou à raisonner ne calcule ni ne raisonne : de soi elle est inactive.
Ce n'est qu'un
instrument incapable de calculer et de raisonner sans l'homme qui l'utilise.
Non seulement c'est l'homme qui a conçu et construit ce genre de machines, mais encore il reste indispensable à son fonctionnement.
Il
doit la mettre en marche, lui poser les problèmes à résoudre, lire les résultats auxquels elle aboutit...
A elle seule, elle est réduite à une
incapacité totale.
Conclusion.
— On attribue à la machine le travail effectué par l'homme qui la conduit : la charrue laboure, disons-nous, la locomotive
remorque une rame de quarante wagons, la rotative imprime les journaux...
Mais ces machines ne font rien par elles-mêmes : grâce à
elles, l'homme obtient un rendement bien plus élevé que lorsqu'il travaillait avec la pelle, la brouette ou la presse de Gutenberg ; mais
c'est lui qui laboure, remorque les trains et imprime.
De même les machines à calculer ou à raisonner améliorent les résultats du travail
mental de l'homme ; mais il n'est de mental qu'en l'homme ; le mental est totalement étranger aux opérations des machines.
Voilà
essentiellement ce qui différencie ces opérations des raisonnements et des calculs effectuées par le mathématicien..
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