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Que signifie "perdre la raison" ?

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« [Introduction] D'un individu apparemment comme tout le monde qui, brutalement, se transforme en meurtrier, on dira volontiers qu'il a « perdu la raison », désignant ainsi un manque qui serait responsable de son comportement peu compréhensible.

Mais comment un être humain peut-il perdre la raison, alors que l'on admet généralement que l'homme est par définition l'être que singularise précisément la raison ? Cela signifie-t-il une sortie de l'humanité ? Ou, plus modestement, une défaillance d'humanité ? [I.

La perte de la relation] La raison elle-même n'est pas facile à définir, parce qu'elle se modifie historiquement, et qu'elle dépend du contexte où l'on essaie de la cerner.

D'un individu qui, au xiie siècle, aurait prétendu que la terre tourne autour du soleil, ne risquait-on pas de dire qu'il avait perdu la raison pour affirmer de telles absurdités ? Il est en conséquence prudent de ne retenir, pour caractériser la raison de la façon la plus générale possible, que des capacités assez vagues — mais déjà impliquées par la conception qu'en avaient les grecs.

Pour la mentalité grecque, le logos désigne d'abord l'action de rassembler, de relier l'un avec l'autre divers éléments.

On pourra alors les comparer, les apprécier les uns par rapport aux autres, les juger et les ordonner.

Mais le logos signale aussi le refus de la « démesure » (l'hubris), qui rassemble les attitudes paraissant non compatibles avec l'humanité — soit qu'elles soient excessives (rivaliser avec les dieux), soit qu'elles soient à l'inverse indignes (tomber dans l'animalité, en ne tenant plus compte de l'exigence de mesure ou de ce qui, pour Aristote, est le « juste milieu »).

Enfin, le logos est aussi le langage (qui établit bien des relations), la capacité de communiquer avec l'autre et le souci du discours cohérent ou logique. Perdre la raison consisterait ainsi à réagir ou à se comporter selon des modes indifférents à cette série de qualités. Si l'on s'intéresse d'abord à ce que suggère la notion de mise en relation, on constate que perdre la raison signifie tomber dans l'incohérence, dans l'absurdité et dans l'absence de logique (ce qui peut concerner des gestes, des mots et des phrases, ou le comportement). [II.

La perte de la mesure] Sans doute peut-on penser que l'on évoque ainsi ce qui est ordinairement nommé « folie ».

Le « fou » n'est-il pas, selon ce qu'en retient l'image publique, celui qui gesticule, qui hurle ou chuchote de manière incompréhensible, qui fait alterner des phases de mutisme obstiné avec des périodes de discours haletant, dont la conduite apparaît peu contrôlable parce qu'on ne parvient pas à deviner ce qui la détermine ? A ceci près qu'une telle description, outre qu'elle est synthétique et mélange des symptômes qui se manifestent dans des maladies différentes, correspond aussi bien à l'évocation de celui que l'on nomme, dans d'autres cultures, un sorcier ou un shaman...

Ce qui nous rappelle que le repérage de la folie est loin d'obéir à des critères universels, et que sa définition est éminemment variable, tant au cours de notre histoire (comme l'a montré Michel Foucault) qu'à l'intérieur d'ensembles culturels différents.

Alors que, pour nous, le malade mental semble défavorisé, il est au contraire perçu dans certaines sociétés comme bénéficiant de la faveur des esprits (on lui réservera en conséquence de hautes fonctions : sorcier, chef de clan...). Cette variabilité du déraisonnable est le complément d'une normalité qui se définit elle-même relativement à chaque culture.

La conduite normale est liée à des attentes et des valeurs sociales, dont la transgression est sanctionnée par le « constat » d'une perte de la raison.

Dans la mesure où le normal correspond à un profil statistique, perdre la raison signifie dès lors qu'un individu excède, par sa conduite, ses gestes, ses paroles, la cadre prévu.

On retrouve ainsi la démesure des Grecs, connotée presque mathématiquement, mais qui peut se manifester dans des contextes particuliers : celui qui, sans prévenir, a une réaction démesurée ou hors mesure par rapport à une situation banale, semble, au moins momentanément, perdre la raison.. »

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