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Que reprocher à la technocratie ?

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« Ce que vous savez La technocratie a mauvaise réputation.

Toutefois, un préjugé n'a pas valeur de preuve, et les critiques adressées aux différentes formes de pouvoir qui s'articulent autour de la dénonciation de la technocratie sont parfois suspectes, pour ne pas dire franchement démagogiques.

Il faudra donc prendre du recul par rapport aux discours purement idéologiques et ne pas se contenter d'aligner les poncifs. Théoriquement, la technocratie est le gouvernement des experts.

On pourrait donc penser à première vue qu'il s'agit d'un idéal politique parfaitement adapté à une vision moderne et rationnelle de la société. Mais, de façon analogue à ce qui s'est passé pour l'aristocratie, le mot « technocratie » en est venu à désigner la caste de ceux qui sont à même de prendre des décisions importantes.

Cette caste étant relativement fermée – par définition, tout le monde ne peut être considéré comme expert – on peut se demander si la technocratie ne constitue pas une menace pour la démocratie. De plus, la notion d'expert est recevable dans le domaine technique, mais il n'est pas sûr qu'on puisse la transposer sans danger dans le domaine politique.

Par exemple, placer à la tête du gouvernement un expert en sciences économiques ne garantit pas le progrès économique de la nation.

Cependant, un ministre ignorant de son domaine est manifestement chose à ne pas souhaiter. Ce qu'il faut comprendre La première difficulté est d'analyser avec suffisamment de précision le concept de technocratie.

Si celui-ci reste vague, on pourra tout dire et son contraire, ce qui n'est évidemment pas heureux.

C'est pourquoi nous avons parlé d'experts, terme qui a l'avantage de faire saisir immédiatement le paradoxe contenu dans le sujet, puisque l'expertise renvoie à la compétence, et que nulle qualité n'est plus désirable que cette dernière. On pourra ainsi comparer et distinguer à la fois la technocratie et le despotisme éclairé, qui peut en sembler l'ancêtre.

La différence est que, en ce qui concerne le despotisme éclairé, les conseillers du prince sont des philosophes et non des techniciens.

Cela implique que la raison censée éclairer le pouvoir est une raison universelle, qui défend des principes.

En revanche, le technocrate se méfie de toute idée générale, et sa supériorité prétendue tient à son aptitude à donner la solution de problèmes particuliers.

A la limite, on peut dire que le technocrate se flatte de n'avoir aucun projet politique. Ce que l'on reproche essentiellement à la technocratie, c'est son caractère inhumain.

On retrouve ici le débat traditionnel au sujet de la technique.

Les partisans de la technique allèguent souvent que c'est l'homme qui en est le créateur et par conséquent le maître : la technique augmente notre puissance, et n'est donc pas à craindre pourvu que l'on sache en faire un usage raisonnable.

A cela, les « adversaires » de la technique, ou plutôt ceux qui craignent son développement excessif, avancent que l'homme n'est plus qu'un rouage d'une activité qui le dépasse, et qu'il se trouve rabaissé au rang de moyen d'une fin qui reste imprécise.

Il est en effet impossible au citoyen ordinaire de maîtriser la complexité des mécanismes économiques et sociaux qui pèsent sur la vie politique, et il n'apparaît pas très satisfaisant de s'en remettre à la compétence de quelques experts. La technocratie désignant également une certaine forme de pouvoir, il faudrait en analyser le fonctionnement. Tout pouvoir a besoin de se justifier, et génère ainsi ses propres mensonges ou ses propres illusions. L'illusion caractéristique du pouvoir technocratique, c'est de croire que l'on puisse maîtriser tous les paramètres intervenant dans un processus humain donné.

Sans entrer dans les détails, remarquons ainsi que la psychologie intervient dans les rapports économiques — la confiance est essentielle à la force d'une monnaie – sans que l'on puisse déterminer avec précision dans quelle mesure. Quant au mensonge technocratique par excellence, c'est de faire croire que la solution préconisée s'impose d'ellemême comme absolument nécessaire, ce qui revient à dire que toute autre proposition relève de l'incompétence ou de la démagogie.

Cette stratégie de communication vise à désarmer toute opposition, car qui irait contredire la parole de ceux qui savent, sans courir le risque de mettre en évidence son ignorance ? Elle repose sur un mensonge, dans la mesure où le propre d'un problème pratique est d'admettre plusieurs solutions – certes pas nécessairement équivalentes – sans quoi il n'y aurait pas vraiment de problème. On pourrait également voir un mensonge dans l'affectation d'impartialité qui caractérise le pouvoir technocratique. Le technocrate se présente comme aussi indifférent aux choix politiques généraux qu'un plombier, par exemple, est indifférent au sort du robinet particulier qu'il entreprend de réparer.

Or, il est évidemment membre de la société, et a ses intérêts propres, dont ses intérêts de caste, qu'il peut évidemment être très tenté de défendre.

Il risque également de négliger les revendications du peuple, dont il s'est coupé par sa réussite et son intégration dans les sphères dirigeantes. Quelle stratégie adopter ? C'est un sujet qui demande implicitement qu'on n'hésite pas à choisir son camp (d'ailleurs nous l'avons fait) et sans doute que beaucoup seront tentés, comme nous, de se poser en adversaires de la technocratie.

Mais pour bien mener sa critique, il faut absolument éviter la caricature, et commencer par remarquer qu'a priori la technocratie devrait être une forme idéale d'exercice du pouvoir.

On pourra insister sur son opposition à toutes les idéologies, qui tendent à déformer la vision du réel au gré des désirs conscients ou non de ceux qui y adhèrent.

La compétence du technocrate est d'abord fondée sur son impartialité prétendue. C'est à ce moment que l'on pourra renverser l'argument, en dénonçant les mensonges du pouvoir technocratique. Cela pourra être l'occasion de faire remarquer que si le pouvoir technocratique fait peur en raison de son apparence. »

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