Que m'est-il permis d'espérer ?
Extrait du document
«
Les mortels
Dire que l'homme est mortel, ce n'est pas seulement se référer à un événement biologique commun à tous les êtres
vivants.
L'homme ne peut se savoir mortel sans se poser par là même la question du sens de son existence.
Dès
l'origine de la philosophie, chez les présocratiques, les, hommes se pensent comme « les mortels » face aux dieux,
qui sont « les immortels ».
La philosophie n'est ni seulement théologie ni seulement anthropologie, mais méditation
du partage de l'humain et du divin.
De la conscience d'être mortel naît l'interrogation métaphysique, que cette
interrogation soit reconnue ou non comme authentique, qu'il faille finalement dissoudre une angoisse reconnue sans
objet, ou bien justifier le désir d'immortalité.
Lucrèce et les matérialistes se proposent d'effacer les fantômes nés de
la pensée de la mort et de la crainte des dieux.
Tout au contraire, pour Pascal, la fuite de la pensée de la mort dans
le divertissement, détourne les hommes de connaître la vérité religieuse de leur destin.
Même quand Spinoza
proteste que la philosophie n'est pas méditation de la mort, mais méditation de la vie, il entend par là connaissance
de toute chose sub specie aeternitatis, c'est-à-dire dans l'unicité de la substance divine.
Dieu
Un des plus anciens poètes-philosophes, Xénophane (vie siècle avant notre ère) remarquait : « Les Éthiopiens
disent que leurs dieux sont camus et noirs ; les Thraces qu'ils ont les yeux bleus et les cheveux roux.
» Il ajoutait
que, si les chevaux élevaient des statues à leurs dieux, ils leur donneraient l'aspect de chevaux et les boeufs
l'aspect de boeufs.
Cette critique radicale de la mythologie d'Homère, qui attribuait aux dieux les comportements et
les passions des hommes, conclut-elle à un athéisme au sens actuel du terme ? Xénophane s'élevait d'une image
particulière du divin à l'universalité du concept, quand il parlait d'un « dieu unique » qui, disait-il, n'est « pareil aux
hommes ni par l'aspect ni par la pensée ».
Il ne va donc pas de soi que la question de Dieu et de son existence se pose seulement pour la foi religieuse.
Cette
question a été au centre de la réflexion philosophique non seulement depuis l'Antiquité et le Moyen Age chrétien, juif
et musulman, mais aussi pour le rationalisme classique et moderne.
Lui refuser d'autre signification que religieuse est
déjà prendre position sur les rapports de la raison philosophique et de la foi.
Un Pascal les oppose radicalement, de
même qu'il oppose au « Dieu des philosophes » le Dieu sensible au coeur, « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ».
En quelque sorte symétriquement, positivistes et matérialistes établissent eux aussi une rupture et réduisent la
question philosophique de Dieu à celle du mythe et de la croyance religieuse.
Cependant, de Platon à Hegel, nombre de philosophes ont affirmé la continuité de la foi et de la raison, considérées
comme deux expressions d'une même vérité selon des formes et à des niveaux de connaissance différents.
La foi est
alors conçue comme parallèle à la raison, ou encore comme expression apparemment irrationnelle d'une raison
supérieure divine que l'esprit humain ne peut prétendre comprendre en sa totalité.
Hegel verra dans la philosophie «
la vérité de la religion » comme manifestation l'une et l'autre de l'esprit absolu.
L'histoire
Cependant, l'immortalité désirée n'est pas seulement promise par la religion, mais aussi par l'histoire.
Sous le nom de
« gloire », c'était une certaine immortalité qui était attribuée aux héros, aux grands hommes, et même à la cité
grecque tout entière.
Chez un historien comme Polybe (IIe siècle avant notre ère), une philosophie de l'histoire
s'ébauche dans une interrogation sur la pérennité de l'Empire romain.
Mais c'est avec la notion chrétienne de la
providence et sa traduction en termes rationnels que commencent les grandes philosophies du progrès.
« La raison
finit toujours par avoir raison », prophétisait Voltaire.
Rien n'est réellement irrationnel pour un Hegel qui identifie
philosophie de l'histoire et plan divin.
Pour Auguste Comte, chacun s'immortalise par sa contribution au progrès
d'ensemble de l'humanité, d'une humanité « composée de plus de morts que de vivants ».
L'humanité
se
compose de plus de
morts que de vivants.
Les "morts" sont les grands hommes qui ont contribué au
progrès de l'humanité.
L'humanité, ce sont les "êtres
passés, futurs et présents qui concourent librement à
perfectionner l'ordre universel"
Mais la croyance au progrès n'a-t-elle pas été, comme disait Cournot, la religion de ceux qui n'en avait pas ? Il se
pourrait que l'eschatologie élaborée par le siècle des Lumières ne pût résister à la critique de ses présupposés.
Les
analyses d'un Nietzsche ou d'un Heidegger sont suffisamment lucides pour ne pas être sommairement taxées
d'irrationalisme.
C'est peut-être au contraire une philosophie positiviste étroitement dépendante de l'évolution des
sciences et des techniques qui laisse le champ le plus large à l'irrationnel.
Pour Kant, le progrès n'était pas de l'ordre
du fait, mais du devoir.
Il suffisait que le progrès ne fût pas impossible pour que nous eussions le devoir d'y
travailler.
« Être rationnel est vouloir être rationnel » (Husserl).
La tâche de la pensée est infinie, à la fois toujours
la même et toujours autre..
»
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