Puis-je me connaître sans agir ?
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QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE
• Remarquer que l'énoncé ne postule nullement que l'on ne peut se connaître qu'en agissant.
Autrement dit le problème n'est pas de savoir s'il s'agit d'une condition suffisante mais d'une condition nécessaire.
• Qu'est-ce qui peut amener à se poser cette question ? (Imaginer les résultats possibles d'une connaissance de soi qui n'impliquerait
pas nécessairement ce qui est en jeu ici.)
• Sur quelle (s) conception (s) de la connaissance et de l'être humain peut reposer implicitement cette interrogation ?
La formulation de cet énoncé suscite étonnement, car traditionnellement (depuis Socrate du moins) l'agir est pensé comme la finalité de
la connaissance de soi – jamais il n'est thématise comme une possible condition de celle-ci.
L'adage delphique (“ connais-toi toimême ”) tout comme les examens de conscience chrétiens ont une finalité pratique, un statut moral, mais pas de fonction épistémique.
Or c'est de cela qu'il semble s'agir ici.
Outre que cela présuppose l'existence d'un soi, s'interroger sur les conditions nécessaires à la connaissance de soi, pour peut-être en
exclure l'agir, exige de déterminer la signification de la connaissance de soi : la connaissance de soi est produite par le mouvement de
réflexivité de la conscience sur elle-même.
Mais comment penser que cet examen de la pensée repliée sur elle-même ne soit pas un
acte – toute pensée supposant une part d'activité (Aristote) ?
Afin de maintenir la tension de l'énoncé, il faut penser la possibilité d'une distinction entre deux types d'acte : l'agir intérieur dont la
finalité est immanente et l'agir extérieur dont l'efficacité s'extériorise.
La connaissance de soi doit être pensée comme le principe à
partir duquel peut prendre sens la distinction entre une agir extériorisé et un agir purement intérieur de la pensée.
Ne pouvant dès lors
penser une connaissance de soi qui ne soit pas acte, peut-on la penser sans qu'elle n'implique un acte pratique extérieur ? Se
demander si je peux me connaître sans agir requiert de savoir comment j'accède à moi-même – car il faut bien que j'accède à moimême pour me faire objet de ma connaissance.
I.
Fonction épistémologique de l'ego
La fonction discriminante (intérieur / extérieur) du principe auquel doit accéder la connaissance de soi se conçoit avec la notion de
cogito.
La régression causale en vue de la saisie des conditions de possibilité de la connaissance de soi conduit à faire du cogito le
principe de la connaissance de soi.
Principe de la connaissance de soi car le cogito (tant chez Augustin que Descartes) assure la défaite du scepticisme : on ne saurait dès
lors réduire l'identité à une compilation de fragments constituant illusoirement un soi qui n'est pas (Hume) – penser la connaissance de
soi exige la référence à un soi.
Le cogito fonctionne condition de fondation de la métaphysique.
Le cogito est le principe de toute
science possible et, partant, de la connaissance de soi.
Lorsque Descartes accède dans la seconde méditation à la certitude de l'ego ( sum, existo), aucun agir pratique extériorisé n'a été
nécessaire à son obtention.
Il n'a été question que de feinte de l'esprit, d'expérience de pensée (“ supposons que je sois… ”) – plus
exactement de méditation.
La méditation permettant l'accès au principe de la connaissance de soi est inefficace, sans efficience
pratique extérieure : connaître le principe de la possibilité de la connaissance de soi (l'ego) ne suppose pas d'agir ; on peut ainsi se
connaître sans agir pour agir et (se) connaître.
II.
L'ego comme acte pur
Ainsi, accéder à l'ego comme au principe de la connaissance de soi peut se passer de tout agir puisqu'il est pure intériorité.
L'absence
d'agir efficient extérieur et pratique ne congédie pas la nécessité de la pensée réflexive.
La certitude dont jouit la saisie interne de l'ego
est une certitude en-deçà de l'agir et condition même de l'agir.
Le statut de la certitude est celui d'un acte intérieur fondamental
conditionnant la possibilité même d'agir.
Se connaître n'exige ici aucun acte (ne pas devoir agir – extérieurement – pour se connaître), mais est l'acte fondamental au principe
de tout acte extérieur et de toute connaissance de soi dérivée.
Mais l'accès à ce principe autarcique et absolu qu'est l'ego, ego dont on se demande s'il suppose l'agir, est-il accès à quelque chose que
l'on connaît ? La saisie de l'ego, en tant que condition de possibilité de la connaissance de soi (car l'ego seul assure la pérennité d'une
substance d'identité qui soit à connaître) n'est-il pas plutôt acte pur d'un se connaître qui ne connaît plus rien puisqu'il ne se saisit que
comme pur acte, et doit ne pas agir extérieurement (sens dérivé de l'agir) pour s'assurer de sa certitude (Derrida) ?
III.
Rationalité et connaissance de soi
La saisir de la substance pérenne du cogito (ego) ne peut se satisfaire de son accès dans la fulgurance de l'acte primordial et primitif
conditionnant la possibilité de toute connaissance de soi.
La substance pour être substance, c'est-à-dire pérenne et sous-jacente, doit
être rationalisée.
Ainsi, c'est en se faisant agir soi-même dans l'auto-positionnement de soi comme extérieur, c'est-à-dire en se faisant l'objet de soi
dans l'acte d'extériorisation de soi consécutif à la saisie de soi dans l'acte primordial que l'on peut se connaître (Foucault et Derrida).
Pour se connaître il faut s'agir soi-même, se poser à l'extérieur de l'intériorité pure de l'ego.
La connaissance de soi, qui procède de l'acte pur de la saisie de soi primitive (l'ego comme acte), exige son effectuation extérieur.
De
la condition du soi qu'est saisie immédiate et intérieure du cogito (seule possibilité d'éviter la fragmentation du soi en une multiplicité
d'instants et donc l'inexistence du soi – Hume) peut se tirer la connaissance de soi par l'agir extérieur.
La connaissance de soi
n'intervient ainsi que dans l'après-coup (Freud) de l'acte se saisissant comme objectif et pérenne.
La connaissance de soi est un acte
procédant d'un acte.
Se connaître est toujours déjà agir ; et alors s'abolit la dimension causale d'un acte qui serait la condition de
possibilité de la connaissance de soi : la connaissance de soi est un acte.
On ne peut pas ne pas agir pour se connaître.
Conclusion
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Penser la connaissance de soi réclame la détermination des conditions d'accès au soi.
L'accès au soi se fait dans un acte pur et
intérieur, sans agir au sens pratique.
Si l'acte fondamental permettant l'accès au soi est la condition de toute connaissance de soi, il n'est cependant pas une
connaissance (de soi).
Le soi doit pour cela se rationaliser.
Le soi se rationalise en devenant l'objet de sa propre pensée dans la
réflexion.
Objectivé, le soi s'est fait extérieur à sa propre intériorité, s'est posé en acte dans l'extérieur : la connaissance de soi est un
acte d'extériorisation procédant de l'acte saisissant le soi.
Tout n'est qu'agir dans la connaissance de soi..
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