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Pourquoi le règne du droit a-t-il plus de difficulté à s'instaurer entre les nations qu'entre les individus

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« Pourquoi le règne du droit a-t-il plus de difficulté à s'instaurer entre les nations qu'entre les individus ? Introduction.

— Il y a bien encore, surtout dans nos grandes villes, un monde interlope vivant en marge des lois et dans lequel se commettent de temps en temps des meurtres appelés règlements de compte par la presse.

Dans son immense majorité toutefois, dans sa presque unanimité, la population des pays civilisés a renoncé à se faire justice elle-même : il y a des lois qui fixent les droits de c hacun et des tribunaux pour dirimer les litiges qui surviennent : c'est le droit qui règne. C e règne est bien plus difficile à instaurer entre les nations.

Faute de s'entendre sur les droits de chacun ou par suite de la violation, réelle ou prétendue, des obligations émanant d'un traité, il y a toujours dans le monde quelques pays en guerre. A ussi, les nations dépensent-elles une très importante partie de leur revenu pour augmenter leur force : elles en sont encore au stade primitif ou la force faisait le droit.

P ourquoi cette différence ? I.

— PAR DÉFAUT DE POUVOIR SUPRANATIONAL A .

Les citoyens des nations c ivilisées se soumettent au droit parce que ce droit existe, et il exis te parce qu'il y a un parlement dont l'autorité législative est admise par tous.

N ormalement, les projets de loi ont en vue l'intérêt général ; aussi arrive-t-il assez souvent qu'ils fassent l'unanimité des membres du corps législatif ; du moins obtiennent-ils d'ordinaire une majorité confortable.

Ensuite l'administration, le corps de police veillent à l'observation de ces lois et défèrent les violateurs aux tribunaux.

C eux-ci prononcent les peines prévues, ensuite l e s organis mes de répression assurent l'exécution de c es sentences .

A insi le simple particulier se trouve encadré : formé au respect du droit, en particulier des droits des autres, il est assuré en même temps que les siens seront défendus.

C 'est bien le règne du droit, et un règne qui, pour la plupart, est exempt de toute contrainte : il repose sur le consentement général et non sur la force qui n'intervient que dans des cas assez rares. B.

Il s'en faut de beaucoup qu'il en soit de même dans les rapports entre nations. Sans doute, il y a bien un droit international, mais il n'existe pas encore d'autorité internationale ou plutôt supranationale disposant, à l'égard des nations particulières, des trois pouvoirs — législatif, exécutif et judiciaire — dont disposent les gouvernements à l'intérieur de leurs frontières .

C e sont en effet les gouvernements nationaux réunis en congrès plus ou moins étendus, qui c oncluent des accords dans lesquels chacun cherche avant tout son intérêt personnel et non l'intérêt du genre humain, accords qui constituent les éléments du droit international. Les accords relevant du droit international privé — statut des étrangers, des services qui, comme les chemins de fer, l'aviation, le téléphone, s'imbriquent dans divers pays...

— ne donnent guère lieu à de graves c onflits.

Là du moins le droit est respecté.

M ais il n'en va pas de même du droit international public qui règle les rapports entre les États eux-mêmes, et, en particulier, détermine les frontières.

On le comprend sans peine. Bien des fois, en effet, spécialement à la fin d'une guerre, le vaincu ou le plus faible ne donne son accord qu'à contrecoeur ; il quitte la table où il vient de donner sa signature avec la résolution de prendre sa revanche, c'est-à-dire de violer le droit qu'il a reconnu à son adversaire, dès que les circonstances le lui permettront : une signature imposée par la force, estime-t-il, ne saurait l'engager. En effet, s'il est un jour effectivement le plus fort, qui l'empêchera de reprendre par les armes c e que les armes lui ont ravi ? Pour as surer le respect de la signature donnée, il faudrait une armée jouant dans les rapports entre nations le rôle que joue la gendarmerie dans une bagarre.

Il y a bien, sans doute, la ' force internationale » de l'O .N .U.

M ais, le terme le dit, cette force, c omme l'O .N.U.

elle-même, es t internationale, et non supranationale. Reste alors à se demander pourquoi l'institution d'une autorité supranationale s'avère si difficile ? II.

— A CAUSE DU CARACTÈRE ABSOLU ATTRIBUÉ A L'ÉTAT S'inspirant du droit romain fondé, en ce qui concernait les rapports avec les Barbares , sur la force seule, les légistes commencèrent par lutter contre les P apes qui prétendaient, dans les pays de chrétienté, tenir de leur mission religieus e une autorité éminente leur permettant de déposer les souverains infidèles à leurs obligations et de délier leurs sujets de leur devoir d'obéiss ance.

Une fois complètement laïcisée et rendue indépendante du contrôle que l'Église exerçait sur elle, ne craignant plus, par suite de la déchristianisation des élites, les sanctions religieuses auxquelles elle était jadis exposée, l'autorité royale s'adjugea un pouvoir absolu dont les légis tes s'évertuèrent à établir les fondements. Les « rois très chrétiens », il est vrai, se reconnaissaient sous la dépendance de Dieu dont ils prétendaient tenir plus ou moins direc tement leur mission. M ais Dieu était bien lointain, et on ne le voyait pas intervenir dans les débats politiques.

A us si, formules de style mises à part, le souverain réalisait la signification étymologique de ce mot : il était au-dessus de tous les autres et n'avait personne au-dessus de lui. A vec la disparition de la monarchie très chrétienne et l'avènement d'une démocratie qui, par réaction contre le passé et c ontre ce qui en subsistait dans l'opinion ou dans les faits, se montra plus antireligieuse que strictement laïque ou neutre, la référence à Dieu s'éclipsa : même dans les principes, le droit n'eut alors d'autre fondement que la volonté du nouveau souverain, le peuple, ou plutôt les législateurs qui étaient c ensés le représenter. I l s'en fallait en effet, ou plus exactement il s'en faut que que les membres du parlement représentent le peuple tout entier.

D'ordinaire même ils n'en représentent qu'une majorité relative, c'est-à-dire, en fait, une minorité.

D 'ailleurs, la majorité elle-même est une question de nombre, c'es t-à-dire, en somme, de force, et non de raison ou de droit. Le dernier mot, dans la politique nationale, appartenant à la force du nombre et non au droit, il n'est pas étonnant qu'il soit difficile d'instaurer le droit entre les nations. M ais pourquoi ne suffit-il pas de se référer au droit et faut-il, en définitive, en appeler à la force ? III.

— A CAUSE DE LA MÉCONNAISSANCE DU DROIT NATUREL Le droit naturel déc oule, comme les mots le disent, de la nature même des choses, et non de la décision des hommes comme le droit positif. Il y eut bien au XV IIe siècle et il y a encore de nos jours de grands théoriciens du droit naturel : pour eux, c'est sur lui que le droit positif doit se fonder pour être légitime.

C ons tamment d'ailleurs les citoyens les plus respec tueux du pouvoir établi combattent certaines lois, invoquant, non la force du nombre ou les intérêts particuliers, mais des principes s'imposant aux législateurs comme à tous les hommes, c'est-à-dire, en d'autres termes , le droit naturel.

Les parlementaires qui discutent ces lois ne procèdent pas autrement, et ceux-là même qui ont à les appliquer — administrateurs, juges — s'inspirent du droit naturel pour les interpréter.

M algré cet ensemble de faits, il semble bien que la majorité des juristes prétend s'en tenir au droit positif et refuse de se référer à une instance supérieure. B.

D'ailleurs la reconnaissance d'un droit naturel ne supprime pas toutes les difficultés .

Bien plus, pratiquement, il n'en supprime aucune.

En effet, il reste à déterminer les stipulations de ce droit.

Elles ne sont pas formulées dans un document analogue au C ode Napoléon ou à une Déclaration des droits de l'homme.

A vrai dire, les exigences du droit naturel se découvrent peu à peu, toutefois plus rapidement de nos jours, à cause de l'ac célération dont nous sommes les témoins.

Le droit naturel n'est encore qu'ébauché, et certains de ses principes que nous jugeons indiscutables n'ont pas encore pénétré les esprits de bien des peuples .

C omment d è s l o r s fonder une organisation juridique solide sur ce droit en devenir et qu'un si grand nombre d'ailleurs ne reconnaissent pas ? Conclusion.

— Il n'es t donc pas difficile d'expliquer pourquoi le règne du droit éprouve tant de difficulté à s'instaurer entre les nations.

L'éducation de l'humanité est bien plus longue que c elle de l'individu : songeons qu'il a fallu des centaines de millénaires pour qu'elle atteigne l'âge de la pierre polie. D'autre part, la connaissance et la maîtrise de l'homme s ont bien en retard sur la connaissance et la maîtrise de la matière.

Néanmoins, dans ce domaine comme dans les autres, nous sommes les témoins d'une accélération qui nous permet d'espérer qu'il faudra beauc oup moins d'un millénaire pour aboutir à l'instauration du droit dans les rapports entre les nations.. »

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