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Peut-on subordonner les droits de l'homme à la raison d'État ?

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« Introduction Les hommes d'Etat font parfois appel à la raison d'Etat afin de justifier des « entorses aux droits de l'homme ».

On prétend alors que la survie de l'Etat ou de la nation est en jeu, et qu'il faut donc restreindre les libertés civiles et autres droits proclamés par les Déclarations successives des droits de l'homme (1789, 1948, etc.). Bien que la morale semble condamner derechef de tels actes, le politique tend à répondre que si les droits de l'homme doivent, en général, être respectés, certaines crises justifient de passer outre.

Il semble donc qu'on puisse, en pratique, subordonner les droits de l'homme à la raison d'Etat.

Mais peut-on le faire en droit ? Et quelles sont les implications de ce rapport de la théorie à la pratique, ou du fait au droit ? Première partie - En cas de crise, affirme l'article « Raison d'Etat » de l'Encyclopédie de Diderot & d'Alembert, l'intérêt de l'Etat justifie des actes contraires à la loi et à la morale.

En effet, si le contrat social établit la supériorité du tout sur la partie, alors on peut, dans certains cas, sacrifier celle-ci à celui-là, et le souverain « gémira de la nécessité qui l'oblige de sacrifier quelques-uns des membres pour le salut réel de toute la société.

» - Pourtant, la Déclaration de 1789 stipule expressément que ces droits sont « naturels, inaliénables et sacrés », et que l'objectif d'une telle Déclaration réside, entre autres, dans la possibilité de comparer « à chaque instant » « les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif (…) avec le but de toute institution politique.

» Dès lors, les droits de l'homme sont au fondement de toute légitimité étatique : un Etat qui ne les respecte pas agit dès lors endehors du droit international (« Etat voyou »).

De telles dictatures se placent sur le terrain du fait et de la violence, rejetant explicitement le droit (ironie de Pinochet vis-à-vis des condamnations onusiennes).

Aussi, les droits de l'homme, en droit, ne peuvent être subordonnés à la raison d'Etat. Seconde partie - Toutefois, historiquement, nombres d'Etats ont subordonnés les droits de l'homme à la raison d'Etat, et ceci de manière légale.

Le droit positif s'oppose ainsi au droit naturel, et on modifie de manière ad hoc la législation afin que, bien que les droits de l'homme puissent former le préambule de la Constitution (et donc fonder le droit positif), des cas d'exception justifient, de manière légale, les violations des droits de l'homme (exemple : arrestations arbitraires de Guantanamo).

Le pouvoir exécutif décrète alors un « état d'exception » qui lui permet, légalement, d'opérer endehors de toute légalité (cf.

Giorgio Agamben, L'Etat d'exception, 2003).

Il se justifie en affirmant, par exemple, que respecter les droits de l'homme nuirait à l'efficacité de la lutte anti-terroriste.

Ainsi, on subordonne alors, en droit (positif), les droits (naturels) de l'homme à la raison d'Etat. - Bien que ces violations des droits de l'homme soient entérinées par la loi, les citoyens se doivent de dénoncer un tel « état d'exception » (cf.

Antigone de Sophocle, les « lois naturelles et non écrites »).

En effet, une démocratie qui accepte de suspendre l'état de droit lorsqu'il s'agit d'une catégorie déterminée de personnes (fût-elles « terroristes ») se met immanquablement en danger elle-même, puisqu'elle perd ce qui précisément la caractérisait : le respect de l' « état de droit » et donc des droits de l'homme (cf.

Jacques Derrida, Etat voyou, 2003). - C'est ce paradoxe que souligne Zola lors de l'Affaire Dreyfus.

Sacrifier un Juif innocent sur l'autel de la Patrie, ce n'est pas causer du tort uniquement à un individu transformée en bouc émissaire, mais renier les droits de l'homme. A travers l'injustice exercée envers un seul, c'est l'humanité entière qui est affectée.

S'il s'agit effectivement de l'intérêt du Tout, alors la morale utilitariste implicitement mise en œuvre par les Encyclopédistes se révèle inopérante : les cas d'erreurs judiciaires montrent que ce n'est pas simplement la victime directe qui pâtit du nonrespect des droits de l'homme, mais l'ensemble du système judiciaire, politique et social.

On peut bien enterrer le bouc émissaire, la mauvaise conscience exerce ses effets de « retour du refoulé » (qui ne sont pas exclusivement psychiques, mais aussi sociaux et politiques).

Cf.

les regrets du général Massu suite à l'usage de la torture en Algérie et les travaux de Pierre Vidal-Naquet. Conclusion Ainsi, il faut distinguer d'un côté les dictatures qui subordonnent, de fait, les droits de l'homme à la raison d'Etat, mais qui par-là même se placent en-dehors de l'ordre juridique internationale et sur le terrain de la violence, des démocraties qui suspendent, en droit (positif), les droits de l'homme, en déclarant un « état d'exception ».

Or, si dans ce dernier cas, les droits de l'homme sont légalement enfreints, il n'en demeure pas moins que chaque citoyen a le droit et le devoir de protester contre cet abus qui met en péril l'état de droit et la démocratie.

Se taire, c'est risquer de devenir la victime, à son tour, d'un pouvoir devenu oppressif, à force d'avoir perdu tout contre-pouvoir (le dernier n'étant autre que le peuple souverain lui-même). Nonobstant les arguties juridiques (justification de la torture par certains responsables américains dans le cadre de la lutte anti-terroriste), il est clair que la raison d'Etat ne saurait légitimement primer sur les droits de l'homme.. »

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