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Peut-on reprocher à quelqu'un d'avoir mauvais goût?

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« C 'est une question délicate, car reprocher à quelqu'un d'avoir mauvais goût, c'est émettre véritablement un jugement de valeur sur cette personne, chose en réalité très mal perçue.

Les critiques envers le mauvais goût serait plus fondées que celui-ci touche toute une époque ou un pays, dans ce cas, faire une critique serait un acte qui pourrait permettre à la société de réfléchir sur elle-même.

A voir mauvais goût est souvent intentionnel, cela permet d e s e démarquer des autres individus et d'acquérir une singularité bénéfique à la construction de soi. On dit habituellement que quelqu'un "a du gout", comme si le gout était une donnée naturelle, une capacité innée à apprécier les choses à leur juste valeur. Il semble ainsi que le sens commun le goût ne peut être affaire de culture ou d'apprentissage.

C 'est pourquoi on considère traditionnellement que " des goûts et des couleurs, on ne discute pas ".

Le goût ne serait aucunement affaire de raison, de discussion, d'éducation voire d'initiation, il renverrait à ce qu'il y a de plus individuel et de plus subjectif en chacun.

Pourtant, nous pouvons remarquer que le goût peut différer d'une culture à une autre.

Bourdieu, dans " La Distinction ", montre ainsi comment les critères du goût diffèrent d'une classe sociale à une autre.

L'exemple de la mode montre, en outre, la volatilité et la relativité des "gouts".

C e qui est "à la mode" aujourd'hui sera démodé et de "mauvais gout" demain ! Il faudrait se demander si cela ne peut pas nous conduire à penser une dimension culturelle du goût.

Dans ces conditions, ne peut-il pas relever d'une éducation ? Remarquez toutefois que l'idée d'une éducation du goût conduit alors sans doute à la reconnaissance de critères universels.

M ais n'est-ce pas encore avancer que des goûts sont plus hauts que des autres ? Ou que tout le monde devrait avoir les mêmes jugements en matière de gout ? Du coup, être cultivé, c'est aussi être capable de comprendre la constitution de notre propre goût et sa formation, comme le fait Kant dans sa C ritique de la faculté de juger. 1) La définition du goût. Le goût, en effet, désigne, d'une part, un « don » personnel, d'autre part un phénomène collectif, l'orientation d'une société ou d'un milieu vers certaines formes d'art nettement déterminées ; c'est la faculté d'éliminer, de choisir, de créer des associations heureuses, qui naît d'une certaine intuition de la qualité, de la « saveur » des choses, parallèle en somme à celle qui s'exerce sur le plan sensoriel et gastronomique.

A u sens de phénomène collectif, le goût n'a pas ce caractère subjectif : il est parfois une adhésion aux préférences et aux choix de personnalités marquantes d'un milieu, plus souvent le contrecoup d'événements historiques, d'une découverte ou d'une création dans le domaine de la culture ou même de la technique.

Le goût d'une époque est fréquemment une réaction contre celui de l'époque précédente.

Les différentes étapes de l'histoire du goût ne sont pas les phases successives d'une évolution continue, mais recèlent en elles-mêmes leur point de départ et leur terme.

C elui-ci est marqué d'abord par la création d'un style, plus ou moins éphémère et, parallèlement, par l'apparition de modes, de « manies », d'engouements, qui s'épuisent par leur excès même.

On comprend que dans la définition même du goût, il n' y a pas uniquement des prérogatives subjectives, mais le goût est façonné par l'entourage proche ou par la société.

J e ne serais pas entièrement responsable de mes goûts.

A ussi dans cette perspective, on peut difficilement reprocher à quelqu'un d'avoir mauvais goût, car ça serait lui reprocher son milieu social, ce dont il n'est pas responsable.

M ais d'un point de vue subjectif, avoir mauvais goût n'est pas non plus une faute morale. C ritiquer les goûts de quelqu'un devant est très souvent considéré comme insultant car par définition un individu est libre d'aimer ce qu'il veut. 2) Le mauvais goût et l'individu. Si le milieu et les conditions de vie d'un individu contribuent à former le goût, ils peuvent aussi le déformer, voire le dépraver, entraînant des aveuglements qui annihilent cette faculté sélective, essentielle au libre exercice du goût.

« Le goût dépravé dans les arts, écrit V oltaire, c'est se plaire à des sujets qui révoltent les esprits bien faits, préférer le burlesque au noble, le précieux et l'affecté au beau simple et naturel.

C 'est une maladie de l'esprit.

» Même un œil exercé peut ne plus « voir » ce qu'il a constamment sous les yeux.

Les uns récusent, instinctivement, ce qui « ne leur rappelle rien ».

Les autres tiennent pour admirable tel objet qu'ils associent, à tort, à une œuvre belle.

Ces derniers ont fait les beaux jours des fabricants de buffets Henri II, ils font aujourd'hui ceux des marchands de Louis XV en série.

Les uns adoptent d'emblée le jugement des gens qu'ils estiment, les autres établissent leur choix par un antagonisme inavoué envers un individu, un groupe, un milieu qu'ils rejettent.

Il est bien évident que la véritable indépendance du jugement et du choix doit pouvoir faire abstraction des tendances qui sont celles du milieu, de la société contemporaine, sans opposition systématique, mais sans soumission aux contraintes ou aux préjugés et, le plus souvent, à contre-courant, puisque les options communes ne sont en général que le résultat d'un renoncement facile à l'élaboration d'une analyse personnelle.

P ar là, on comprend aisément que le goût pour certaines choses jugées laides n'est pas de l'entière responsabilité de l'individu.

Il construit sa réaction face à la société, mais il n'est pas à l'origine de celle-ci. 3) Un exemple de mauvais goût : le kitsch. Le mot « kitsch » tirerait son origine d'un verbe allemand verkitschen qui veut dire brader ; apparu vers 1870 dans la Bavière de l'hyperromantique et maniériste du roi Louis II ; où le terme est utilisé pour qualifier les reproductions d'art à bon marché.

Kitsch veut dire aussi : « vendre en dessous du prix » ou de kitschen « rénover, revendre du vieux », d'abord « ramasser des déchets dans la rue » Le mot a ensuite resurgi dans le vocabulaire suivant les besoins du temps .

Il ne faut donc pas qualifier de kitsch un objet ou un bâtiment si l'idée et surtout le contexte qui a vu émerger cette notion n'existaient pas.

Jean Duvignaud définit ce phénomène dans Baroque et kitsch : « Kitsch, mot qui apparaît à la fin du siècle dernier, en Europe centrale quand l'industrialisation esquisse une redistribution des bénéfices de la production.

Les salariés achètent quelques bribes d'une culture à laquelle jusque-là ils n'avaient aucune participation.

Les amateurs éclairés font la grimace : ces gens se pavanent dans la pacotille, dans un ersatz de grand art, et se laissent séduire par une musique dégradée, une peinture pervertie et les facilités commerciales du tape-à-l'œil, le kitsch n'est-il que cela ? » A ussi, des bâtiments, des peintures, des sculptures peuvent être kitsch.

Le kitsch c'est la surcharge décorative, l'accumulation de symboles, la reproduction en un matériau moins noble ou inadapté d'un objet, la copie de styles artistiques incongrus pour une époque.

A insi la peinture pompier et académique, L'A rt Nouveau, les œuvres architecturales de Gaudi ne sont à proprement parlé pas belles mais kitsch.

Mais Gaudi reste un artiste qui a produit des œuvres d'art, on ne peut dire le contraire.

Le kitsch ; c'est sortir de son contexte des éléments culturels pour les insérer dans un autre milieu totalement différent ; ou s'en servir à des fins opposées ou étrangères à leur destination d'origine.

Comme le dit Gilles Dorfles dans Le kitsch, un catalogue raisonné du mauvais goût : « Le kitsch recourt en priorité à des éléments irrationnels, fantasmagoriques, ou s'il on veut au subconscient ou au préconscient.

» Les gens du peuple aiment particulièrement ce qui brille, ce qui se remarque, ce qui est exagéré, et désirent retrouver cette chaleur et cette sorte de beauté dans leurs habitations.

C 'est en A llemagne que l'on retrouve beaucoup de villages fleuris à l'excès, des maisons à colombages qui paraissent neuves, des coquetteries souvent kitsch, qu'on qualifie d' Heimat, notion assez floue qui désigne un patriotisme assez « fleur bleue » très présent dans les campagnes germanophones et alpestres.

L'industrie émergeante et la reproduction des œuvres d'art à bon marché a favorisé la diffusion de ce kitsch ; que ce soit par le biais du mobilier, des tableaux, des bibelots, des cartes postales ; a fait entrer le kitsch dans les demeures de la petite bourgeoisie de Bavière durant une période de croissance économique après la victoire des allemands à Sedan, et la création de l'Empire allemand.

C 'est donc ce mixte d'imaginaire baroque, de romantisme et de civilisation industrielle qui a donné naissance au kitsch.

On comprend que l'on veuille critiquer ce genre d'art, car en vérité il remplace l'art véritable et le corrompt. Conclusion. Le goût, mixte d'influence sociale et de choix subjectif est difficilement reprochable à un individu car on toucherait par-là à son individualité et à s a personnalité.

La dépravation du goût en matière artistique peut être dommageable quand il s'étend à toute la société, quand il ruine l'art véritable.

On peut seulement reprocher quelque chose au mauvais goût dans ce contexte et non à un simple individu isolé.. »

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