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Peut-on porter un jugement vrai sur le bon ou le mauvais goût ?

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« On a tendance à assimiler le jugement de goût à un jugement purement personnel.

En somme il serait tout relatif et subjectif, on ne pourrait ainsi prononcer un jugement qui soit objectif sur le bon et mauvais goût.

On ne pourrait reprocher à quelqu'un son mauvais goût, ni son manque de goût dans cette perspective 1) La relativité du jugement de goût. Selon Kant dans la Critique de la faculté de Juger, l'essentiel est sans doute un déchiffrage de l'énigme du goût : tout en affirmant qu'il ne faut pas en disputer, chacun gardant le sien sans prétendre à l'assentiment d'autrui, c'est un fait que les hommes ne se résignent pas à déserter ce domaine de la communication, puisqu'on peut les voir se contester incessamment la valeur de leur goût, comme s'ils croyaient au fond qu'un accord devrait être possible.

Cette apparente contradiction a sa raison profonde : il est bien vrai que le jugement de goût ne saurait prétendre à la même objectivité que le jugement logique dans la connaissance, car il ne se fonde pas comme lui sur des concepts, il est esthétique et il se rapporte à un sentiment, comme tel inaliénable en connaissance, celui d'une satisfaction éprouvée dans l'appréhension d'une forme ; s'il prétend néanmoins exiger comme nécessaire un assentiment universel, c'est que ce sentiment n'est pas subjectif au même titre que celui de l'agréable, suscité par la seule sensation.

Il doit être éprouvé par tous parce qu'il est désintéressé, indifférent à l'existence de la chose, qui est simplement contemplée, sans devenir l'objet d'aucune connaissance ni d'aucun désir, et qu'il est la conscience d'une espèce d'appropriation de la nature à l'homme se manifestant dans le jeu libre et harmonieux de l'imagination et de l'entendement, qui sont les conditions universelles de la faculté de juger.

Le principe de cette harmonisation des facultés en nous et de l'appropriation de la nature hors de nous à notre faculté de juger est le suprasensible qui fonde la liberté et l'unité des fonctions théoriques et pratiques de la raison.

La faculté de juger s'y rapporte comme à une norme indéterminée, celle d'un sens commun à tous, sur lequel elle règle sa réflexion et qui lui permet, lorsqu'elle décide de ce qui rend le sentiment universellement communicable, d'exiger l'assentiment de tous comme une sorte de devoir. 2) Un jugement sûr sur le goût ? Le temps a passé depuis que la fondation de l'Académie française au 17 e siècle instaurait la dictature de l'académisme, pourtant, la suspicion où est tenue, aujourd'hui plus que jamais, l'idée de beauté, a sans doute là son origine.

D'autant que l'académisme est une hydre à cent têtes, tout discours sur le beau est spontanément normatif, et il n'en peut être autrement.

Premièrement, parce qu'il porte sur une valeur et que toute valeur appelle un faire : il est difficile de porter, et encore plus d'expliciter pour le justifier, un jugement de goût, sans inviter à refaire ce qui a été fait, ou du moins à poursuivre le même effort.

Deuxièmement parce que le beau comme valeur est la norme de l'objet beau ; les qualités ou les structures qu'on décèle en cet objet apparaissent en effet constituantes et comme appelées par lui, de la même façon que la santé est requise, organisée et défendue par l'organisme vivant.

Troisièmement, enfin, le discours sur le beau est dogmatique aussi parce qu'il est un discours, il promeut la norme à la généralité du verbe.

À quoi il faut ajouter que le dogmatisme trouve aisément des complices.

D'une part, chez les artistes eux-mêmes, au moins lorsqu'ils ne se recommandent pas d'une vocation particulière et ne revendiquent pas les privilèges d'une inspiration singulière ; tant qu'ils se pensent comme artisans voués à l'anonymat du faire, même si leur promotion exige un chef-d'œuvre, ils s'accommodent d'obéir à des règles et de pratiquer des recettes qui leur garantissent de trouver à moindres frais une audience.

D'autre part, le public accepte volontiers les valeurs sûres qui répondent à son attente et lui épargnent un effort de jugement ; il est prêt à dire beau ce qui lui est facile.

N'est-ce pas ainsi que toujours il a jugé de la musique ? Et si l'harmonie est une dimension souvent évoquée de la beauté, n'est-ce point parce qu'elle désigne d'abord l'agrément que l'oreille ou l'œil trouve à ce que l'éducation les a formés à percevoir ? Ainsi se constituent les styles, entendez les manières que conspirent à perpétuer des créateurs dociles à un enseignement, et des consommateurs asservis à leurs habitudes.

Pas de style sans une doctrine du beau qui, si impérieuse soit-elle, paraît à la fois économique et rassurante ; ainsi, la culture du goût autorise et justifie l'impersonnalité.

Pourtant, de cette conception autoritaire du beau, il est trop facile aujourd'hui de dénoncer l'étroitesse et de railler les champions.

Car, en fait, elle n'a jamais vraiment régné ; Boileau n'a pris figure de pédant d'académie que lorsqu'il a été confisqué par les pédants du collège, qui ont oublié sa liberté de mœurs et d'esprit, sa fantaisie et son ironie.

Au reste, le dogmatisme de l'âge classique oublie le platonisme et se fonde sur une philosophie au moins implicite qui est fort conciliante.

La règle d'or, c'est que le beau doit plaire ; et, pour un esprit bien né, et surtout bien élevé, le plaisant est aussi le convenable.

Aussi, le temps de l'académie est bien loin, et la possibilité de porter un jugement définitif sur le bon et le mauvais goût est révolu. 3) Du mauvais goût au bon goût. A l'époque des Lumières, le style gothique était jugé barbare et de mauvais goût.

Le Moyen Âge n'était que le siècle de l'ignorance. On disait souvent «Tout ce qui n'est pas dans le goût antique, s'appelle barbare ou gothique.

» On pensait donc que ce style a été introduit par les barbares qui seraient venus du nord de l'Empire romain.

La théorie selon laquelle le gothique est d'origine nordique remonte à Vasari (1550).

Aussi en 1697, le poète J.

Evelyn dans Account of architecte and architecture écrivait «Les édifices gothiques sont lourds, sombres et mélancoliques, sans aucune juste proportion comparé au véritable style des anciens.

On confond aussi à cette époque le style sarrasin et le style gothique.

» Les édifices gothiques sont jugés sans simplicité rationnelle.

Pour les critiques du XVII et du XVIII e siècle, le style gothique s'est éloigné de la nature, il n'emploie pas les règles de la symétrie issues de Vitruve.

C'est le romantisme qui va opérer ce renversement de pensée.

Le gothique sera désormais jugé comme plus conforme à la nature que le style classique.

Aussi d'un style jugé barbare, le style gothique est devenu un style que les plus grands intellectuels du temps ont apprécié. Goethe, Hegel ont fait du style gothique, le style artistique à suivre.

L'histoire de l'art connaît ces permanentes fluctuations entre le bon et la mauvais goût.

De même, le style rococo qu'on juge surchargé et kitsch était de bon goût à l'époque de son apparition. Conclusion. On ne peut porter un jugement vrai sur le bon et le mauvais goût, comme l'a bien remarqué Kant, les jugements de goût ne peuvent réclamer la même exactitude que les jugements scientifiques.

L'art évolue avec le temps, ce qui était de bon goût à une époque ne l'est plus à une autre.

Ceux qui dictaient les jugements de goût ne sont pas éternels, et le public change.

Au final, il n' y a pas de vérité à donner sur les goûts artistiques.

Un artiste comme Marcel Duchamp exposant un bidet comme une œuvre d'art a fait preuve de mauvais goût mais il a fait avancer l'histoire de l'art, et il est encore reconnu comme artiste digne de ce nom.. »

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