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Peut-on réaliser ses aspirations profondes ?

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Peut-on réaliser ses aspirations profondes ?

« D'une part, la finitude marque le caractère fini de l'existence humaine, c'est-à-dire à la fois son imperfection dans le cours de celle-ci, et la perspective de la mort qui vient y mettre un terme.

D'autre part, le désir est essentiellement caractérisé comme manque, c'est-àdire qu'il se nourrit de son insatisfaction, ce qui le distingue du besoin.

Il semble donc contradictoire d'affirmer que la finitude puisse combler les aspirations de l'homme, puisque c'est précisément l'imperfection de la vie humaine qui explique cette insatisfaction primordiale de ses désirs : si l'homme était tout-puissant, alors il pourrait aisément combler ses moindres désirs.

Mais la contradiction n'est-elle pas plutôt dans l'idée même de combler les aspirations humaines, qui, si elle était réalisée, conduirait à une existence morne et ennuyeuse, privée de toute aspiration à l'infini ? Dès lors, ne serait-ce pas précisément en raison du caractère fini de l'existence que l'homme désirerait encore vivre ; plus encore, qu'il désirerait encore désirer ? Première partie - L'étymologie du mot « désir » indique le caractère essentiel de manque qui le constitue : desiderare, en latin, signifie en effet « regretter une étoile disparue ».

Dès lors, le désir ne peut être comblé, contrairement aux besoins naturels.

Le serait-il, qu'il serait aussitôt remplacé par un autre désir (c'est d'ailleurs le ressort de la société de consommation) : « Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui, le besoin ; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin » (Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, IV, §57, p.396, PUF, 1966). - Qu'est-ce qui pourrait alors « combler les aspirations de l'homme », puisque celles-ci sont illimitées ? En outre, la finitude, au double sens du terme, semble être précisément ce qui empêche à l'homme de combler ses aspirations : la volonté d'un être tout puissant ne trouverait aucun obstacle l'empêchant de se réaliser, tandis que la mort coupe court aux projets qui nous animent.

L'immortalité, ou le « désir d'éternité » (F.

Alquié), ne constituent-ils pas d'ailleurs l'aspiration la plus fondamentale de l'homme ? Seconde partie - Pourtant, si c'est bien le gouffre entre la finitude humaine et l'infini qui explique l'insatisfaction essentielle caractérisant l'existence, on peut avancer l'hypothèse paradoxale selon laquelle ce serait précisément cette finitude qui comblerait l'aspiration la plus profonde de l'homme, c'est-à-dire le fait lui-même de désirer, et en particulier de désirer la vie plutôt que la mort. - En effet, Schopenhauer montre bien que l'alternative à l'enchaînement des désirs et de leurs réalisations sans cesse incomplète n'est autre que l'ennui mortifère.

Le système pénitentiaire de Philadelphie aménage ainsi l'ennui comme punition, conduisant les détenus au suicide : il n'y a pas d'autre alternative entre l'insatisfaction du désir et l'ennui mortifère – à part la voie qu'il nous propose, qui serait d'anéantir la volonté, ne plus rien vouloir du tout (op.cit.).

On ne pourrait ainsi, selon lui, combler les aspirations humaines qu'en les effaçant, soit par la mort, soit par l'extinction de la volonté. - Mais on peut douter de la légitimité de la solution schopenhaurienne, qui consiste à « combler » le désir en l'anéantissant.

Contre lui, on rappellera ce mot de Nietzsche, selon lequel « la volonté préfère encore vouloir le rien que ne rien vouloir » du tout.

Anéantir la volonté, comme le veut Schopenhauer, n'est pas possible : l'homme préfère encore basculer dans le nihilisme, dont Schopenhauer représente précisément l'un des multiples symptômes. - La finitude n'est donc pas simplement, ni essentiellement, ce qui met l'homme en échec et creuse le manque du désir, la mort se heurtant infailliblement aux aspirations humaines.

Au contraire, c'est précisément ce hiatus entre la finitude humaine et les aspirations infinies de l'homme qui comble l'aspiration ultime de l'homme : c'est parce que l'existence est finie que l'homme désire encore, qu'il veut encore vouloir.

Le désir, comme le montre Deleuze (par exemple dans L'Anti-Œdipe) n'est pas simplement un manque : il est essentiellement producteur, il est désir producteur de réalité (l'utopie, cette aspiration à l'infini, par exemple, n'est pas simplement un vain rêve impossible à réaliser, mais avant tout une énergie productrice de nouvelles possibilités de vie, de nouveaux modes d'existence – ce que Kant appelle un horizon régulateur).

C'est précisément parce que les désirs ne peuvent jamais être entièrement satisfaits que le désir est une force productrice. Conclusion Nous aboutissons ainsi à ce paradoxe : si les aspirations de l'homme sont infinies, ou visent l'infini, c'est précisément parce qu'elles ne peuvent pas être entièrement réalisées, en raison de la finitude de l'existence humaine, qu'elles trouvent leurs valeurs.

Un désir satisfait, une aspiration comblée, perdent aussitôt toute consistance : aussi y a-t-il contradiction à parler d'une telle chose.

Mais en outre, croire que c'est en évitant de se heurter à la réalité, refuser de vouloir au simple motif qu'il n'y a d'autre alternative qu'entre l'enchaînement des désirs et de leurs insatisfactions et l'ennui, ce n'est pas seulement basculer dans le nihilisme schopenhauerien : c'est, comme le montre Nietzsche, aspirer au néant plutôt qu'à l'infini (« la volonté préfère vouloir le rien plutôt que ne rien vouloir »). La finitude, dès lors, ne peut combler les aspirations de l'homme qu'à condition de surmonter ce nihilisme, affirmant la valeur de la vie et de la volonté, faisant du désir d'abord et avant tout une puissance productrice et positive avant que d'être un manque négatif.. »

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