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Peut-on penser la différence ?

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« Le problème que pose la pensée de la différence tient à la manière même que nous avons de penser.

En effet, tout processus rationnel, qui vise à penser un objet, consiste à le ramener aux catégories du connu ; en d'autres termes, penser la différence revient à la transposer dans les termes de l'identité, car si ce qui est différent nous est inconnu, le même nous est connu.

Or, par une telle réduction de la différence au même, nous perdons ce qui fonde le caractère différentiel de la différence, sa qualité propre de différence.

Mais, si nous renonçons à une telle réduction, nous nous condamnons à ne pas penser la différence, au motif de sa radicale hétérogénéité. Comment dès lors appréhender la différence ? Nous allons voir avec Platon, Hegel et Derrida dans quelle mesure la différence se laisse penser et en quoi l'affirmation de son pure caractère différentiel risque de la laisser échapper. I – Platon et le caractère différentiel du sensible La pensée platonicienne se définit d'emblée par le refus de la différence.

En effet, ce que Platon rejette sous l'espèce du monde sensible est moins la matérialité elle-même – et pour cause, la connaissance des Idées a pour but un réinvestissement du sensible – que son caractère différentiel. De ce point de vue, Platon critique directement la doctrine héraclitéenne selon laquelle tout coule ou tout passe comme l'énonce la célèbre formule : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

» En effet, ce qu'Héraclite désigne, c'est la mobilité du devenir, son caractère différentiel, entièrement assujetti à la dimension de l'Autre.

Le fleuve dans lequel je me baigne aujourd'hui est radicalement autre que celui d'hier, signifiant par-là l'enchaînement à l'infini d'une irréductible altérité.

Si le même peut se penser sous la figure de l'identité, la différence renvoie donc à l'Autre.

Mais, dès lors, c'est la possibilité de toute connaissance qui s'effondre, puisque connaître et, partant, penser, c'est ramener à l'identique, au même, c'est-à-dire réduire l'inconnu au connu.

Penser au fil du devenir revient en définitive à nier tout effort de penser ; on se condamne alors à voir resurgir la différence, dans sa radicale altérité. Sur cette base, la théorie platonicienne des Idées entreprend une réduction, une assimilation du différent à des principes identiques, c'est-àdire stables et soustrait au devenir lui-même.

Prenons l'exemple de l'Hippias majeur, où, en dialoguant avec Hippias, Socrate tente de déterminer l'essence du Beau.

En guise de réponse à la question : « Qu'est-ce que le Beau ? », Hippias répond : « Le beau, c'est une belle jeune fille ».

Or, disant cela, Hippias ne précise pas en quoi une belle jeune fille sera dite belle en toutes circonstances, à toute époque et par toute personne.

Ce qu'il échoue à fonder, c'est donc son identité, comprise à la fois comme sa définition et comme permanence.

Hippias, par l'exemple sensible qu'il donne, ne parvient pas à saisir le principe qui permet de penser la beauté d'une chose, le Beau en soi qui fait que toute chose est belle.

Ainsi, il se condamne à reconnaître la relativité de son critère : par rapport à une déesse, la plus belle des jeunes filles est manifestement laide.

Hippias peut donc bien montrer des réalités qu'il tient pour belles, mais il ne sait pas en quoi elles sont belles ni d'où elles tiennent cette beauté qui les distingue. L'échec d'Hippias dénote donc l'impossibilité de toute connaissance, tant que celle-ci n'est pas ressaisi par un principe d'identité, en l'occurrence le Beau en soi, qui fonde l'identité entre les diverses beautés sensibles ainsi que leur permanence dans le temps et dans l'espace.

Est beau ce qui reste beau et non ce qui change, s'altère, au gré des circonstances et des opinions.

Cependant, la recherche platonicienne des Idées semble elle-même peiner à déterminer positivement l'essence du Beau, en sorte que celle-ci s'énonce sous la forme « Est beau le Beau en soi » ou « Sont belles les choses qui participent de l'Idée de Beau », c'est-à-dire sont dites belles les choses belles.

On s'en rend compte aisément, une telle détermination frise la tautologie ; elle se fonde sur le principe d'identité, de la forme A=A, au détriment intégral de la différence.. »

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