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PEUT-ON PENSER CONTRE L'EXPÉRIENCE ?

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« • Problématique: La pensée scientifique se réfère toujours l'expérience comme critère de vérité.

Pourtant, la loi de la chute des corps est contraire l'expérience ordinaire, du fait de la résistance de l'air: elle est une abstraction.

L'expérience scientifique est le résultat d'une théorie. • Conception de l'introduction. — Il s'agit, rappelons-le, de présenter la question et de sensibiliser le lecteur à l'intérêt qu'elle peut présenter.

Inter-venant au terme du travail préparatoire, la conception, puis la rédaction de l'introduction, doivent s'efforcer de « focaliser » le sujet, par exemple à partir de l'énoncé de son enjeu philosophique. — Démarche proposée. On peut rappeler certains lieux communs sur la valeur de l'expérience, et en signaler l'ambiguïté.

En regard de ces lieux communs, l'idée d'une pensée qui se ferait contre l'expérience apparaît avec toute sa force paradoxale, mais aussi avec son caractère problématique.

Si l'on ne s'appuie pas sur l'expérience, et que l'on prétend même se donner la possibilité de penser contre elle, quels critères, quels points de re-père va-t-on retenir ? La possibilité même d'une telle pensée estelle seulement envisageable ? • Rédaction proposée. « Crois-en mon expérience »...

« Je le dis à partir de mon expérience »...

« Tu ne peux pas savoir, puisque tu n'en as pas l'expérience », etc.

L'abondance des lieux communs sur le caractère référentiel de l'expérience ne peut masquer tout à fait une ambiguïté, qui s'attache à la notion même d'expérience.

S'agit-il du vécu, réduit à lui-même, ou de la somme des interprétations stratifiées au cours de ['existence ? Dans un cas comme dans l'autre, et même si celui qui « a de l'expérience » essaie de l'interpréter, ne se contente pas de la recevoir passivement, la pensée semble s'en tenir aux limites assignées par l'expérience, donc aux données particulières qui les déterminent.

En voulant penser contre l'expérience, on entend se défaire de telles limites.

Mais quels points de repère choisir alors ? N'y a-t-il pas dans cette volonté un projet très difficile à accomplir, voire impossible ? Peut-on penser contre l'expérience ? I) On ne peut penser contre l'expérience (la thèse des empiristes) L'empirisme affirme qu'il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans les sens, cad que l'expérience est la source de toutes nos connaissances.

Toutes nos idées ne sont jamais, comme dit Hume, que des « copies de nos impressions sensibles ».

Non seulement l'expérience est la source de nos idées mais encore elle explique l'association de ces idées entre elles, cad le fonctionnement de notre esprit.

Qu'il s'agisse d'association par ressemblance (deux idées s'appellent l'une l'autre quand leurs objets ont été donnés de nombreuses fois soit l'un à côté de l'autre, soit l'un après l'autre).

C'est toujours dans des expériences antérieures et répétées que se trouve la raison de ces associations. Une autre solution consiste à affirmer que toutes les connaissances de l'homme, y compris les principes de la raison dérivent de l'expérience. C'est ainsi que pour Locke, il n'existe ni connaissance ni principe inné.

Dans « Essai sur l'entendement humain », critiquant l'innéisme de Descartes, Locke avance la thèse de la « table rase » : l'esprit de l'être humain, avant toute expérience et éducation (celui du nouveau-né par exemple), est comme une tablette de cire, vierge de toute écriture.

Nos idées simples viennent de la sensation et de la réflexion.

Les idées complexes et en particulier les catégories de substance, de mode et de relation sont le produit de la combinaison des idées simples.

Pour Hume aussi les principes de la raison ne sont pas innés mais acquis par l'expérience. Comme philosophie générale, l'empirisme affirme avec Locke que nos idées ne sont pas, comme le pensait Descartes, innées, mais qu'elles proviennent de l'expérience.

On peut décomposer la philosophie empiriste de la connaissance en trois moments. 1. L'origine des idées.

L'esprit, dit Locke, est d'abord une page blanche, une « table rase » (tabula rasa).

« Comment vient-il à recevoir des idées ? Par quels moyens en acquiert-il cette prodigieuse quantité que l'imagination de l'homme, toujours agissante et sans borne, lui présente avec une variété presque infinie ? D'où puise-t-il tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds d'un mot : de l'expérience.

C'est le fondement de toutes nos connaissances, c'est de là qu'elles tirent leur première origine.

» (« Essais sur l'entendement humain »).

L'expérience est donc d'abord pour l'empirisme une réponse à la question de l'origine des idées.

Ainsi, un certain nombre d'idées naissent dans l'âme des « observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles » (idem).

C'est le cas d'idées comme « dur », « mou », « blanc », « jaune »...

Locke les appelle des « idées de sensations » : nous nous les représentons que parce que nous avons eu l'expérience sensible du mou, du blanc, du jaune....

Pour un empiriste, un aveugle de naissance ne saurait avoir aucune idée des couleurs.

Les autres idées viennent non de l'expérience externe, mais de l'expérience interne ; cad des observations que nous faisons sur « les opérations intérieures de notre âme ».

Telles sont les idées de « joie », de « peine », de « plaisir », de « douleur »...

Ce sont des idées de réflexions.

Dans les deux cas, les idées sont, comme dit Hume, des « copies » des impressions sensibles. 2. La composition des idées .

En faisant naître les idées de l'expérience sensible, comment pourrions-nous rendre compte de l'infinité des idées que l'esprit peut concevoir, alors que est toujours limitée ? Je peux me représenter une montagne d'or, ou un centaure : comment est-ce possible ? La réponse est : grâce à la possibilité de combiner ou d'associer les idées, que Locke comme Hume attribut à l'imagination.

L'empirisme distingue entre les « idées simples », cad inanalysables en éléments et immédiatement dérivées d'expériences sensibles élémentaires (telles les idées de « rouge », « chaud »...) et les « idées composées », qui, elles, sot des résultats d'une combinaisons d'idées simples. 3. La signification des mots.

L'expérience comme contrôle.

L'expérience n'est pas seulement une origine ; elle est aussi ce à quoi il faut retourner pour éprouver la valeur de nos pensées ou plus exactement de notre langage.

Les mots dépendent des données sensibles particulières, aussi généraux et abstraits soient-ils.

De quoi suffit-il donc pour savoir si un mot possède un contenu réel de signification ou si ce n'est qu'un mot creux ? Il suffit que le mot représente effectivement une idée.

Pour établir la signification d'un mot, il suffit de rechercher de quelle(s) impression(s) sensible(s) dérive l'idée dont il est supposé être le signe. L'expérience est bien alors, non seulement un point de départ, mais aussi un point d'arrivée, de retour.

Ainsi l'empirisme ne fait-il pas seulement de l'expérience l'origine de notre connaissance, mais aussi ce qui la justifie.

En ce sens, il ne répond pas seulement à la question de fait que demeure la question de l'origine ; mais il pose dans toute son ampleur la question de droit. Dans « Essais philosophiques sur l'entendement humain », Hume affirme que les « idées » ne sont d'abord que des copies affaiblies des « impressions » d'origine externe et qu'elles sont ensuite liées suivant les lois mécaniques de l'association.

Ainsi, par exemple, nous observons qu'un phénomène donné est suivi d'un autre phénomène donné.

Rien ne nous permet d'affirmer qu'il existe entre eux une relation causale nécessaire sinon l'habitude que nous avons acquise, sous l'influence d'une association souvent répétée, de nous attendre à les voir se suivre.

Le principe de causalité est donc acquis par expérience.

Il en est de même pour les autres principes. La pensée empiriste anglaise distinguera avec insistance vérités logiques et propositions induites de l'expérience.

Hume analyse ainsi ce qui sépare relations d'idées et relations de faits : si l'opération « 2+2=4 » n'exige nul recours à l'expérience, l'affirmation « le soleil se lèvera demain » ne peut être proférée que parce que j'ai l'expérience quotidienne de la levée du soleil.

La proposition contraire n'est ici nullement contradictoire sur le plan logique, comme le serait « 2+2+5 ».

C'est un recours aux faits, non le jeu d'une opération purement rationnelle, qui établit la vérité.

Qu'en est-il alors de son universalité ? Comment prouver qu'il n'y aura pas un matin où le jour ne se lèvera pas ? Questions qui ont pour effet de fragiliser la valeur rationnelle des propositions scientifiques.

A côté des sciences de pure raison, les plus nombreuses sont relatives à des faits.

Celles-ci, parce qu'elles ne relèvent pas de la pure logique, ne peuvent pas être démontrées : « Le contraire d'un fait quelconque est toujours possible, car il n'implique pas contradiction et l'esprit le conçoit aussi facilement et aussi directement que s'il concordait pleinement avec la réalité.

» Hume montre donc que l'induction ne conduit pas à une opération intuitive : le moyen terme sous-entendu (cela se passera toujours comme cela s'est passé) n'est pas une évidence logique.

Il faut que l'esprit induisant que « le pain m'ayant nourri hier il me nourrira demain » fasse un saut ne relevant pas de la logique.

Or l'induction est indispensable dès qu'on a affaire à des relations de faits.

Aussi les vérités empiriques ne sont-elles nullement nécessaires : outre qu'il peut y avoir des inférences fausses, parce ce qu'on n'a pas encore rencontré le contreexemple qui les démentira, il n'existe aucun moyen de démontrer absolument, par la pure logique, que la conclusion d'une induction est nécessairement vraie.

Du point de vue de la logique, elle ne lest pas.

Si l'on s'en tenait là, il faudrait en conclure que les sciences de faits, même si elles sont provisoirement acceptables, demeurent en partie incertaines.

Elles reposent, au mieux, sur de hautes probabilités. . « Il semble évident que, si toutes les scènes de la nature changeaient continuellement de telle manière qu'il n'y ait aucune ressemblance entre deux événements, et qu'au contraire tout objet soit entièrement nouveau, sans aucune analogie à tout ce qu'on avait vu auparavant, nous n'aurions jamais atteint, dans ce cas, la moindre idée de nécessité ou de connexion entre ces objets.

Nous pourrions dire, dans une telle hypothèse, qu'un objet ou un événement en a suivi un autre, mais non que l'un a été produit par l'autre.

La relation de cause à effet serait nécessairement absolument inconnue aux hommes.

Dès lors, ce serait la fin de toute inférence et de tout raisonnement sur les opérations de la nature; la mémoire et les sens resteraient les seuls canaux qui pourraient livrer accès dans l'esprit à la connaissance d'une existence réelle.

Notre idée de nécessité et de causalité naît donc entièrement de l'observation d'une uniformité dans les opérations de la nature où des objets semblables sont constamment conjoints les uns aux autres, et l'esprit déterminé par accoutumance à inférer l'un de l'apparition de l'autre.

Ces deux circonstances forment le tout de la nécessité que nous attribuons à la matière.

En dehors de la constante conjonction d'objets semblables et de l'inférence, qui en résulte, d'un objet à l'autre, nous n'avons aucune notion d'aucune nécessité ou connexion.

» « Supposez qu'un homme, pourtant doué des plus puissantes facultés de réflexion, soit soudain transporté dans ce monde ; il observerait immédiatement, certes, une continuelle succession d'objets, un événement en suivant un autre ; mais il serait incapable de découvrir autre chose.

Il serait d'abord incapable, par aucun raisonnement, d'atteindre l'idée de cause et d'effet, car les pouvoirs particuliers qui accomplissent toutes les opérations naturelles n'apparaissent jamais aux sens ; et il n'est pas raisonnable de conclure, uniquement parce qu'un événement en précède un autre dans un seul cas, que l'un est la cause et l'autre l'effet.

Leur conjonction peut être arbitraire et accidentelle.

Il n'y a pas de raison d'inférer l'existence de l'un de l'apparition de l'autre.

En un mot, un tel homme, sans plus d'expérience, ne ferait jamais de conjecture ni de raisonnement sur aucune question de fait ; il ne serait certain de rien d'autre que de ce qui est immédiatement présent à sa mémoire et à ses sens.

» Ces théories de Locke et Hume, qui affirment que la raison humaine tire ses principes de l'expérience, sont deux formes de ce qu'on appelle l'empirisme. II) L'expérience est trompeuse.

On peut et on doit penser contre l'expérience sensible. Bachelard considérait l'expérience immédiate comme le premier obstacle à la connaissance scientifique.

Les informations fournies par les sens, le vécu sont source d'erreurs.

Ainsi, par exemple, de ce que cette pierre tombe plus vite que ce morceau de liège, j'en viendrai à établir une distinction entre «lord» et «léger» et à conclure que la vitesse de la chute des corps est liée à leur masse.

Or les scientifiques ont établi que, dans le vide, tous les corps tombent à la même vitesse.

La formule scientifique par Galilée de la loi de la chute des corps e= ½ gt2 contredit les données communes de la perception. L'épistémologie de Bachelard réactualise l'idée essentielle du platonisme : la science se constitue par ce geste intellectuel qui récuse l'expérience.

Pour Bachelard (comme pour Platon) le savoir scientifique commence par une rupture avec l'expérience ; par se méfier des synthèses spontanées de la perception.

Car l'expérience première est un obstacle et non une donnée.

C'est même le premier obstacle que la science doit surmonter pour se construire.

C'est que la science est ennuyeuse : le réel auquel elle a affaire est filtré, classé, ordonné selon des relations intelligibles, quantifié, prêt à la mesure.

Au contraire, l'expérience première, spontanée, parle à l'imaginaire.

L' « observation première se présente comme un libre d'images : elle est pittoresque, concrète, vivante, facile.

Il n'y a qu'à la décrire et s'émerveiller ».

Devant elle, nous sommes au spectacle.

Entre l'expérience spontanée du feu par exemple et la connaissance des lois de la combustion, quel écart ! D'un côté un univers qualitatif et affectif : le feu qui crépite dans l'âtre, le bien-être, les couleurs, la fascination, le feu qui « chante » et qui « danse » ; de l'autre un processus physico-chimique dépouillé de toute poésie, une simple modification quantitative des éléments. La première leçon de l'épistémologie de Bachelard est donc bien platonicienne : l'anti-empirisme.

L'expérience est d'abord du domaine du préscientifique.

L'esprit scientifique doit se constituer contre elle, contre la nature et ses enseignements immédiats.

L'empirisme est la pente la plus naturelle et la plus paresseuse de l'esprit ; son axe et celui de la science sont inverses l'un de l'autre.

Cela suppose bien, chez Platon, une conversion intellectuelle, un détournement des habitudes spontanées de l'âme, une pédagogie de la rupture : « L'esprit scientifique ne se forme qu'en se réformant ».

La connaissance objective mérite une psychanalyse au cours de laquelle l'esprit scientifique pourra se constituer en inhibant et en refoulant les pulsions expansives de l'observation spontanée. Pour parvenir à l'esprit scientifique, il est donc indispensable d'éliminer de la connaissance les projections psychologiques spontanées et inconscientes, d'opérer ; comme le dit Bachelard une « psychanalyse de la connaissance ». Cette psychanalyse est bien difficile, peut-être jamais achevée.

Elle est en tout cas l'oeuvre des siècles et nous ne devons jamais oublier que la science est une aventure récente.

Il y a des ho sur terre depuis plusieurs centaines de milliers d'années et la physique scientifique date de XVII ième, la chimie du XVIII ième, la biologie du siècle dernier. En effet, la connaissance spontanée du réel est antiscientifique.

C'est une connaissance « non psychanalysée » où nous projetons nos rêves et nos passions.

C'est ainsi que la « physique » d'Aristote est encore toute mêlée de psychologie. La cosmologie céleste fait appel à la psychologie de l'âme bienheureuse, la physique terrestre d'Aristote s'éclaire par la psychologie de l'âme inquiète.

Aristote distingue deux sortes de corps, les lourds et les légers.

Les corps légers (la fumée) vont spontanément vers le haut alors que les graves (une pierre) se meuvent d'eux-mêmes vers le bas.

Le haut et le bas représentent respectivement le « lieu naturel » des corps légers et des graves.

Les corps inertes sont donc involontairement assimilés à des hommes qui s'efforcent de retrouver leur « chez-soi ».

L'accélération de la pesanteur s'explique par le fait que le pierre « désire le bas » et presse son mouvement comme les chevaux qui, dit-on, vont plus vite lorsqu'ils « sentent l'écurie » .

En langage psychanalytique, on pourrait dire qu'Aristote projette sur sa dynamique un « complexe du home », autrement dit qu'il prête aux corps inertes un goût particulier pour leur domicile pour leur domicile d'élection. « Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis » dit Eluard.

Mais précisément je vois spontanément le monde comme je suis, et il faut tout un travail pour le voir comme il est ; ce travail est le travail de la science.

L'idéal est de parvenir à poser des relations objectives qui ne soient plus le reflet de mes dispositions subjectives.

Pour la science, le ciel cesse d'être un sujet grammatical, une substance dont le bleu serait l'attribut : le bleu du ciel n'est que l'effet de l'inégale diffusion des rayons du spectre solaire. Ce qui complique la tâche de l'activité scientifique et de l'éducation scientifique, c'est que je ne projette pas seulement sur le monde mes sentiments personnels mais encore toutes les dispositions que je tiens de la tradition sociale. « L'esprit naïf n'est pas jeune, il est même très vieux » (Bachelard) Nous projetons spontanément sur le monde tout ce que qu'on nous a enseigné.

C'est ainsi que les gens du moyen-age voyaient des diables cornus à tous les détours de chemins. Aujourd'hui nous projetons sur le ciel une culture pseudoscientifique mal assimilée : nous voyons des « OVNI ». Comment parvenir à l'objectivité scientifique ? Si nous n'avons aucune vraie culture scientifique, nous serons tentés de répondre ; il suffit d'éliminer ce qui vient de nos passions, de la tradition, de l'imagination.

Il faut revenir à une perception originelle des choses, laisser parler les faits tels qu'ils sont.

Mais, c'est précisément la perception spontanée, originelle qui est chargée de subjectivité, tandis que la réalité scientifique, objective, doit être péniblement construite à partir d'un travail fort complexe.

Ce qui est immédiatement perçu est subjectif ; ce qui est objectif est au contraire « médiat », construit par détours et artifices.

L'erreur est première, la vérité est toujours seconde disait Bachelard. III) Dialectique entre expérience et théorie. »

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