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Peut-on parler d'une idéologie scientifique ?

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« Cette question est à double tranchant, parle-t-on d'une idéologie propre à la science, ou d'une idéologie qui posséderait des caractères scientifiques dans ses méthodes, ses objets, sa façon de travailler ? La science est-elle à l'abri de l'idéologie, constitue-t-elle une sphère indépendante de la pensée, est-elle si différente des autres modes de connaissances que possèdent l'homme, a-t-elle des méthodes et des visées si différentes ? Ou bien n'est-elle pas simplement une idéologie à part entière ? 1) L'idéologie de la science selon Kuhn : la paradigme scientifique. S'il est vrai que la science, comme le dit Kuhn dans son livre Structure des révolutions scientifiques, se caractérise moins comme une activité d'acquisition de croyances que de changement de croyances, alors tous les paradigmes sont destinés à être remplacés un jour.

Reste à déterminer leur schéma général d'évolution, c'est-à-dire, précisément, la « structure » des révolutions scientifiques.

Le constat dont découlent tous les autres réside dans le fait que les communautés scientifiques sont toujours, à des degrés divers, traversées par une « tension essentielle » (pour reprendre le titre d'un article fondateur de 1959), autant intellectuelle que sociale, entre des groupes aux croyances et aux intérêts opposés, certains s'inscrivant dans la fidélité aux traditions héritées, tandis que d'autres luttent pour l'imposition de nouveaux paradigmes.

Cette tension peut devenir une véritable lutte.

Elle donne alors au développement des sciences une dimension agonistique qui le rend peu conforme aux préceptes de la justification rationnelle.

En effet, pour l'emporter, l'arsenal des « preuves scientifiques » est généralement insuffisant, puisque les preuves des uns ne sont généralement pas probantes pour les autres, qui n'adhèrent pas au même paradigme.

Kuhn remet ainsi profondément en question les vues traditionnelles sur la justification des hypothèses scientifiques.

Ce faisant, il ouvre la voie aux travaux les plus iconoclastes de la sociologie des sciences, sans jamais cependant y adhérer tout à fait.

En effet, il ne partage pas l'idée selon laquelle les changements de paradigmes seraient principalement imposés par de purs rapports de forces sociaux.

Cette tension entre tradition et innovation engendre les grandes étapes qui rythment le développement de toute science, que l'on peut schématiser de la façon suivante.

Lors d'une première phase, qui se produit une seule fois pour chaque science - phase instable mais qui peut durer plusieurs siècles -, de nombreuses conceptions sont en concurrence, sans qu'aucune parvienne à s'imposer : c'est la phase dite pré-paradigmatique ou pré-normale d'une science.

Lui succède une deuxième phase, appelée paradigmatique ou normale, où un paradigme unique finit par supplanter tous les autres.

Cette phase normale recèle en elle-même les racines de son propre renversement : en effet, un paradigme contient généralement des anomalies, c'est-à-dire des énigmes mal résolues.

Pendant un certain temps, ces anomalies ne provoquent pas nécessairement la chute du paradigme, soit parce que l'on peut toujours espérer les résoudre par une altération mineure du paradigme, soit parce que, en l'absence d'un autre paradigme crédible, il n'y a d'autre choix que de continuer à adhérer à l'ancien.

Mais elles finissent par devenir trop nombreuses ou trop profondes : certaines sont appelées découvertes scientifiques, incompatibles avec l'ancien paradigme.

La science entre alors dans une phase de crise.

De nouveaux paradigmes apparaissent, défendus généralement par de jeunes chercheurs.

Dans la concurrence qui s'installe, tous les moyens de persuasion sont utilisés, puisqu'il s'agit avant tout de provoquer des « conversions », conceptuelles et psychologiques aussi bien que professionnelles.

Un des paradigmes concurrents finit par s'imposer : c'est la réponse à la crise, une révolution scientifique, au cours de laquelle « le monde change d'aspect » aux yeux des chercheurs.

Enfin, le nouveau paradigme donne lieu à la publication de nouveaux manuels définissant l'allure d'une nouvelle science normale.

L'ancien paradigme s'éteint avec la mort de ceux qui y restent attachés.

Le cycle peut reprendre (à la deuxième phase) LA NOTION DE PARADIGME SELON KUHN L'histoire des sciences, pour Kuhn, n'est pas constituée par un progrès continu et cumulatif, mais par des sauts, par des crises qui voient des paradigmes se substituer soudainement à d'autres.

Un paradigme, c'est un modèle dominant, faits de principes théoriques, de pratiques communes, d'exemples fondateurs qui soudent une communauté de chercheurs, qui orientent leur recherche et sélectionnent les problèmes intéressants à leurs yeux.

Un paradigme n'est jamais totalement explicite.

C'est pourquoi, selon Kuhn, le questionnement scientifique n'est jamais neutre. Dans la postface à son livre La Structure des révolutions scientifiques (1 962), Kuhn cherche à classer les différentes significations du concept de paradigme : La notion de PARADIGME Explications Désigne une manière d'être et de penser propre à une communauté scientifique. (La communauté scientifique est une société comme les autres, avec ses circuits, ses relations, ses communautés d'intérêt et de discussion.) 1) Un même cursus de formation; dans les matières scientifiques, cette « initiation professionnelle est semblable, à un degré inégalé dans la plupart des autres disciplines » : même enseignement, même littérature technique, mêmes exemples, etc.). 2) Un ensemble d'objectifs communs, « qui englobent la formation de leurs successeurs ». 3) Des réseaux spécifiques de circulation d'informations : périodiques, conférences spécialisées, articles, correspondances officieuses ou officielles. Désigne la matrice disciplinaire de cette communauté. (Le paradigme représente « l'ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d'un groupe donné.

» C'est ici une communauté technique de pratiques, de gestes et de vocabulaire qui soude le groupe de chercheurs.) 1 ) Des généralisations symboliques : ce sont les éléments formalisables (symboles, concepts, principes, équations de base...) couramment utilisés. Certaines équations fonctionnent à la fois comme lois de la nature et comme définitions conceptuelles.

Par exemple, la formule newtonienne : la force est le produit de la masse par l'accélération, est à la fois une loi de la nature, et une définition de la force. 2) Des croyances en des métaphores, des analogies fonctionnant comme modèles heuristiques (qui aident à la découverte).

Par exemple, l'analogie entre le courant électrique et le modèle hydraulique ; entre des molécules de gaz et des boules de billard élastiques se heurtant au hasard... 3) Des valeurs générales : exactitude des calculs, cohérence interne, simplicité, «beauté» d'une démonstration, efficacité des théories...

Ces valeurs peuvent être communes à plusieurs groupes, mais leur application, leur hiérarchisation diffèrent souvent d'un cercle scientifique à un autre. Désigne au sens strict les exemples communs utilisés fréquemment et qui forment la pensée et la pratique du groupe. ( Les solutions exemplaires sont « les solutions concrètes de problèmes que les étudiants rencontrent durant leur carrière de recherche et qui leur montrent aussi, par l'exemple, comment ils doivent faire leur travail.

») Une partie de l'efficacité opérationnelle d'un groupe de chercheurs provient d'habitudes intellectuelles inconscientes. Ces exemples fonctionnent comme : 1 ) Outils d'initiation pédagogique : « en l'absence de tels exemples, les lois et les théories que [l'étudiant] a déjà apprises auraient peu de contenu empirique.

» 2) Outils d'initiation intellectuelle : l'exemple permet de « voir » les ressemblances mathématiques ou de structures, entre problèmes différents.

« Une fois que [l'étudiant] a vu la ressemblance et saisi l'analogie entre deux ou plusieurs problèmes distincts, il peut établir une relation entre les symboles et les rattacher à la nature d'une manière qui s'est déjà révélée efficace ». Le chercheur s'incorpore des règles méthodologiques à partir de ces exemples, sans même s'en rendre compte. 3) Outils d'initiation sociologique : « dans l'intervalle, [l'étudiant] a assimilé une manière de voir autorisée par le groupe et éprouvée par le temps ». 2) La place de l'idéologie scientifique selon Canguilhem dans le devenir de la science. Pour Canguilhem dans Idéologie et rationalité dans l'histoire des sciences de la vie L'objet du discours historique n'est pas le discours scientifique, mais son historicité en tant qu'elle représente l'effectuation d'un projet de savoir. L'histoire des sciences n'est pas une histoire des faits de science, mais celle de la normativité à l'œuvre dans la genèse de la science.

on peut dire que Canguilhem a mené trois grandes enquêtes.

La première concerne le système d'émergence des objets de la biologie : la vie comme animation, la vie comme mécanisme, la vie comme organisation et la vie comme information.

Les différentes versions du thème des générations spontanées, qui s'enracinent dans un mythe relatif à l'origine de la vie, offrent un bon exemple d'obstacle à son intelligence.

La deuxième enquête concerne le système d'apparition des principes constitutifs de la physiologie comme discipline scientifique.

D'un côté, il s'agit d'analyser les différents styles de la recherche : une science baroque au XVIIIe siècle, une science de type expérimental au XIXe siècle.

De l'autre, il s'agit de décrire les conditions de possibilité techniques et conceptuelles d'un savoir rationnel.

Enfin, il s'agit d'examiner les problèmes majeurs de la physiologie au XIXe siècle.

Quant à la troisième enquête, elle concerne le système de construction d'une médecine scientifique.

Des nécessités d'ordre pratique entraînent, en matière de médecine opératoire, la construction de modèles renvoyant eux-mêmes à ce que Canguilhem nomme des idéologies scientifiques.

Or ces dernières doivent être à la fois séparées et liées au présent de la science.

Séparées, parce que le mode de solution qu'elles peuvent offrir au problème de l'étiologie reste incomparable, dans son champ et dans ses concepts, avec la science pastorienne.

Liées au présent de la science, dans la mesure où elles constituent des étapes épistémologiquement nécessaires à sa constitution.

Mais Canguilhem montre qu'il fallait une révolution dans la chimie et le détour pastorien par la cristallographie pour que la chimiothérapie tienne la promesse de l'idéologie.

La science se caractérise par des moments, par des façons de travailler particulières, qui n'ont rien à voir avec l'idée d'une science pure, expérimentale, n'évoluant plus car elle aurait trouver la vérité. 3) Idéologie et science, ont-elles le même objet ? Des théories scientifiques valables peuvent s'intégrer dans des ensembles idéologiques.

Le raisonnement entendu parfois : « Telle théorie doit être fausse parce qu'elle fait partie de tel contexte idéologique », constitue une intrusion injustifiée de l'idéologie dans le domaine de la science Une approche idéologique peut jouer un rôle positif en préparant le terrain pour une approche scientifique.

La passion idéologique suscite un intérêt qui persiste parfois après l'apaisement des passions et peut déclencher des études de valeur scientifique.

Le concept d'erreur ne possède pas dans les sciences humaines la même profondeur qu'en sciences naturelles, cela précisément en raison de l'importance de la notion de perspective.

Or les contextes politiques autoritaires ont tendance à utiliser le terme d'« erreur » dans son acception scientifique, ce qui renvoie à leur conception réifiée du fait social (T.

Adorno et coll.).

L'idéologisation opère souvent à la faveur d'une sélection dirigée entre des conceptions théoriques de valeur comparable : ce « choix idéologique » ne saurait garantir la validité des théories sélectionnées, mais elles ne garantit pas non plus leur caractère erroné.

La Fausse Conscience), on se bornera à remarquer que l'identification scientifique vise à simplifier des réalités compliquées, afin de les mettre à la portée de la science ; l'identification idéologique « sur-simplifie » des réalités parfois simples, afin de gagner, en échange du confort intellectuel ainsi offert, l'adhésion des foules.

De plus, le mécanisme décrit par Émile Meyerson vise à faire connaître quelque chose en l'assimilant à quelque chose de déjà connu ; l'identification idéologique tend à faire détester quelque chose en l'assimilant à quelque chose de déjà détesté (Tito = Franco).

Mais les limites sont loin d'être précises, et il peut y avoir des formes de transition et des cas mixtes. Conclusion De ce point, on peut comprendre qu'il existe une idéologie scientifique dans la mesure où la science change de paradigme, que chaque paradigme représente une idéologie particulière, que chaque moment de l'histoire scientifique n'est pas neutre mais est dominé par des visés et des concepts particuliers, par des visions du monde.

Aussi, la science et l'idéologie semble faire route commune sur certains points, la science elle cherche la vérité, elle est une étude, une discipline, l'idéologie a une finalité immédiate sociale et politique.. »

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