Peut-on nier la réalité du monde ?
Extrait du document
«
[Rien ne nous prouve que le monde perçu par nos sens existe réellement.
Il pourrait tout aussi bien
n'être qu'un rêve ou qu'un phénomène hallucinatoire.]
Et si la vie n'était qu'un songe...
Nombre de philosophes, à la suite de Platon, ont appelé notre attention sur le fait qu'il n'existe aucun moyen
de savoir si l'instant que nous sommes en train de vivre appartient au rêve ou à la réalité.
Ce que nous
éprouvons dans nos rêves est souvent aussi fort et distinct que ce que nous éprouvons à l'état de veille, si
bien que ce monde que nous croyons réel pourrait n'être qu'un monde rêvé.
Le monde n'est peut-être qu'une fiction
Pour les empiristes, tout ce que nous savons du monde dérive de l'expérience que nous en avons grâce à nos
sens.
Mais le sceptique David Hume va plus loin: les impressions, si nettes soient-elles, qui sont en notre esprit
nous renseignent sur la nature de notre esprit, non sur la réalité du monde.
Rien ne prouve en effet que les
objets que nos sens nous font voir existent réellement en dehors de nous.
Berkeley, « Être, c'est être perçu »
George Berkeley (1685-1753), évêque de Cloyne, a proposé une théorie métaphysique provocante et originale
appelée l'« immatérialisme ».
Partant de l'empirisme, Berkeley considère toute notion abstraite comme une
illusion: seules existent les choses singulières; mais celles-ci ne sont connues par nous qu'en tant qu'images
reliées à d'autres images.
«Je dis que la table sur laquelle j'écris existe, c'est-à-dire que je la vois et la touche; et si je n'étais pas dans
mon bureau, je dirais que cette table existe, ce par quoi j'entendrais que, si j'étais dans mon bureau je pourrais
la percevoir; ou bien que quelque autre esprit la perçoit actuellement.
[ ..] L'esse (être) de ces choses-là,
c'est leur percipi (être perçu); et il n'est pas possible qu'elles aient une existence quelconque en dehors des
esprits ou des choses pensantes qui les perçoivent».
(Les Principes de la connaissance humaine, 1710, § 3.)
Berkeley : « Etre, c'est être perçu »
Cette formule de Berkeley peut sembler surprenante puisqu'elle consiste à n'accorder de réalité qu'à ce que
nous percevons.
Dire « Etre c'est être perçu », c'est affirmer que rien n'existe en dehors de l'esprit, que toute
réalité est un esprit qui perçoit.
Nous avons commencé par noter que la perception est cette activité de
l'esprit qui rassemble, qui collecte, or c'est justement la raison pour laquelle Berkeley ne va accorder de réalité
qu'à ce qui est perçu.
En effet, il est impossible de séparer, d'isoler une idée des sensations que nous
éprouvons.
Par exemple, on ne peut pas parvenir à se représenter l'étendue (ce qu'on se représente étendu
dans l'espace) dépourvue de couleur, de même nous ne pouvons pas nous représenter la matière
indépendamment d'une certaine forme, d'une certaine étendue, d'une certaine figure.
Tous les éléments qui
composent notre univers, que l'on pense à la couleur, la saveur, l'étendue, le mouvement…n'ont aucune
existence en dehors de la perception que nous en avons.
L'étendue n'est ni grande ni petite, le mouvement
n'est ni lent, ni rapide, ils ne sont donc rien ; de même je ne puis former l'idée d'un corps étendu qui est en
mouvement sans lui donner aussi une couleur.
Quand nous pensons que la matière ou l'étendue existent seules,
nous nous laissons abuser par les mots, par le langage.
Berkeley va répondre à un problème (le problème de
Molyneux), qui a suscité de nombreux débats, et qui consistait à se demander si un aveugle né, recouvrant
subitement la vue, pourrait discerner visuellement le cube et la sphère qu'il sait déjà discerner par le toucher.
Or, ceci serait possible si notre perception nous livrait l'étendue géométrique abstraite, mais une description
des processus de la vision montre qu'il n'en est rien, car nous éprouvons à tout instant l'incommunicabilité des
idées visuelles et des idées tactiles.
L'illusion selon laquelle il y aurait une idée commune à la vue et au
toucher, une idée abstraite d'étendue vient de l'emploi de mots.
Le langage nous fait croire, à tort, à
l'existence d'entités abstraites, mais il n'y a pas de réalité en dehors de la perception.
Mais alors, si la matière
comme substrat, comme réalité indépendante, est une pure illusion, qu'est-ce qui fait que les objets qui
tombent sous nos sens demeurent là, même quand nous fermons les yeux, même quand nous ne sommes plus
là ? Berkeley va alors faire appel à l'existence de Dieu, c'est-à-dire un esprit qui soutient le tout, et qui permet
de penser l'unité du monde.
Quoique d'apparence paradoxale, l'idée de Berkeley est d'après lui, une simple question de bon sens: notre
rapport aux choses est toujours un rapport de représentation.
Dire qu'une chose existe, c'est dire qu'on la
perçoit, ou que l'on pourrait la percevoir.
Le texte de Berkeley est exemplaire pour toute réflexion sur les rapports entre la conscience et le réel.
C'est le
problème de la distance infranchissable entre les deux qu'il cherche précisément à résoudre.
En effet, si l'on
pose, comme Descartes, que le corps et l'esprit sont deux réalités distinctes, on a ensuite beaucoup de mal à.
»
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