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Peut-on faire de sa vie un chef d'oeuvre ?

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« Que faut-il entendre par faire de sa vie un chef d'œuvre ? Dans un premier temps, il est difficile d'imaginer qu'une vie, qui est du domaine de l'expérience vécue puisse devenir l'objet de l'attention d'autrui et y trouve un plaisir esthétique.

On peut entendre aussi chef d'œuvre comme une sorte de monument qui subsisterait par-delà les siècles à l'instar de la vie d'Alexandre le Grand ou de Napoléon.

Ou d'un autre point de vue ,L'œuvre signifie alors non seulement ce que l'homme produit, mais ce qu'il fait et ce qu'il devient en faisant, parce que faire lui est essentiel.

La vie d'un artiste peut devenir un chef d'œuvre car elle est toute remplie de son œuvre, qu'elle lui est coextensive et consubstantielle au point de tomber parfois dans la vie. 1) Ce qu'est une œuvre d'art. Qu'est-ce qu'une œuvre ? La question semble d'abord naïve.

Entrez dans un musée ou une bibliothèque, montez sur l'Acropole : l'œuvre, c'est cet objet qui s'offre à vous, achevé, massif, durable ; même à l'état de ruine ou de fragment, cet objet est encore une œuvre, et la patine du temps, la sédimentation sur lui des regards et des lectures lui donnent - André Malraux l'a bien montré - une présence encore plus impérieuse, plus émouvante, plus vénérable.

Mais cette première question en appelle une autre : Qu'est-ce qui distingue le Parthénon d'une ruine quelconque ? Quand l'œuvre est-elle vraiment œuvre d'art ? Mais pourquoi se laisser surprendre par cette question ? L'œuvre d'art authentique, c'est celle qui est reconnue comme telle, et qui mérite à son créateur d'être reconnu comme artiste.

Reconnus, l'un et l'autre, par l'opinion générale, elle-même orientée par le jugement de ceux qu'Aristote appelait les experts, que la sociologie contemporaine désigne, dans le champ culturel, comme instance légitime de légitimation (P.

Bourdieu).

Il faudra du temps pour que ce jugement soit contesté en dehors même du champ culturel, et autrement que dans les disputes académiques auxquelles se complaisent les instances légitimantes.

On restera donc pour le moment dans l'optique de la tradition : cette œuvre, si le consensus la consacre et la porte à travers l'histoire, c'est qu'elle est exemplairement une œuvre ; à la limite, un chef-d'œuvre.

On comprend aisément, qu'un chef d'œuvre ne peut être qu'un objet, et non une vie en particulier, à moins que sa vie ne soit transposée en autobiographie, en un roman digne d'un intérêt esthétique. 2) L'œuvre d'art n'est pas qu'un objet. L'œuvre n'est pas nécessairement objet, comme la statue ou le monument.

Ne peut-elle aussi être événement ? Au vrai, l'œuvre a toujours été solidaire de l'événement : si elle s'accomplit comme objet esthétique, c'est dans l'événement de l'exécution, de la représentation, de la lecture, du regard ; sa vérité ne vient au jour que dans l'instant ou elle est jouée, où le sensible se recueille dans une conscience.

Et c'est bien pourquoi il faut souhaiter et vouloir que l'art sorte des musées et investisse l'ambiance de la vie quotidienne.

Mais si, dans l'épiphanie de l'œuvre, l'avènement de l'objet esthétique est événement, peut-on dire que l'événement soit œuvre ? Oui, dans la mesure où cet événement est opération, c'est-à-dire où ce qui advient le feu d'artifice, la danse, tout ce qui est happening - suppose un ouvrier, l'exécutant lui-même, le spectateur qui est acteur, parfois un maître d'œuvre.

Aussi le cas d'Artaud doit nous retenir.

Si l'on dit en effet que l'œuvre peut être événement, qu'elle peut être le fait de tous et s'accomplir dans la quotidienneté, faut-il pour autant renier et proscrire l'œuvre comme produit singulier, achevé et permanent (ouvert assurément sur les autres dans sa genèse et son histoire, mais sans s'abolir dans cette ouverture) : comme objet ou comme livre ? Artaud, ce poète dont les tenants de la non œuvre ont fait leur prophète, invite à en douter : le théâtre de la cruauté, inspiré par la volonté d'« en finir avec le chef-d'œuvre ».

La vie d'Antonin Artaud est si étroitement mêlée à son œuvre que l'on pourrait presque dire qu'il écrit son œuvre avec sa vie, qu'il suffit de lire ses écrits pour connaître l'essentiel de sa vie, non qu'il s'agisse d'une anecdotique autobiographie, car, Maurice Blanchot l'a souligné : « Ce qu'il dit, il le dit non par sa vie même (ce serait trop simple), mais par l'ébranlement de ce qui l'appelle hors de la vie ordinaire.

»Aussi, la vie même d'artiste deviennent parfois des œuvres à part entière, des expériences vécues uniques, comme celle de Artaud ou de Van Gogh, où leur vie sombrant dans la folie a donné naissance à des œuvres d'art uniques, comme si leurs œuvres avaient débordé sur toutes leur vie jusqu'à l'épuisement psychologique. 3) La vie du dandy comme œuvre d'art. Les artistes romantiques laissèrent peu à peu la place à un type nouveau d'individu qui est l'esthète.

L'esthète est un artiste infiniment plus raffiné, qui donne à l'art une place essentielle dans sa vie et dans sa conception du monde.

C'est bien plus qu'un praticien, au point qu'il peut se passer de toute pratique artistique, devenant lui-même pur « goûteur » des « choses de l'art ».

Le XIXe siècle a engendré des individus qui ne vivent que pour l'art et qui se sont coupés de la réalité.

Ils ont demandé dès lors à l'art d'être de plus en plus sophistiqué pour répondre à toutes leurs attentes qui sont restées dans le domaine de la rêverie.

Ce raffinement décadent de l'esthétisme, qui a trouvé son expression littéraire dans le personnage de Des Esseintes chez Huysmans (À rebours, 1884) n'a pas été sans influencer le mouvement même des arts.

En protégeant et en encourageant les recherches destinées à satisfaire les goûts les plus délicats et les plus blasés, l'esthétisme a favorisé l'éclosion des créations rares à la fin du siècle, notamment dans le domaine des arts du décor (mobilier, céramique, tissu, vitrail, etc.) .

Les principaux artisans de l'Art nouveau, Gallé notamment, que Montesquiou admirait, lui doivent beaucoup, de même que les plus ésotériques ou les plus précieux des peintres symbolistes.

Cette recherche continue d'un art toujours plus élaboré et original, a débouché sur le kitsch fin de siècle de l'éclectisme outrancier, sur un kitsch baroque et assez luxueux.

Le dandysme est une réponse à l'uniformité de la vie moderne en montrant l'éclat de ce qu'il reste d'héroïsme dans la décadence.

Il soulignera par là l'importance du maquillage chez la femme, de la toilette, et la volonté de rompre avec la monotonie au risque du mauvais goût.

Des dandys comme Oscar Wilde n'hésitent pas à mettre des costumes violets assez kitsch pour se faire remarquer tout en ne s'étonnant de rien.

Le refus de la médiocrité passera par la provocation et l'étrange.

Le dandysme sera une tentative désespérée de sauver les restes d'un passé glorieux où les aristocrates avaient une vie essentiellement faite de loisirs, de flâneries et de dîners mondains.

Baudelaire a une pensée résolument moderne et antiacadémique, mais il ne s'y abandonne pas totalement, car il reste en retrait par rapport à elle en voulant fonder une esthétique propre à son époque. Conclusion. On peut faire de sa vie un chef d'œuvre à l'instar des dandys, de certains artistes qui ont fait de leur vie une œuvre d'art au sens où leurs vies ont eu une signification bien supérieures à celle du commun des mortels, qu'elles ont été le modèle d'une génération d'artistes.

Il a fallu pour cela dépasser le concept traditionnel de l'œuvre d'art comme simple objet, comme artefact pour un concept plus large d'œuvre incluant la mise en scène d'une existence.. »

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