Peut on en toute rigueur parler des miracles de la technique ?
Extrait du document
«
Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met
au jour un projet dont nous sommes les héritiers.
Il s'agit de promouvoir une
nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs rapports, apte
à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ».
Descartes
n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du
machinisme, de la domination technicienne du monde.
Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie,
c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sa compréhension
antérieure.
Dans le « Discours de la méthode », Descartes polémique avec la
philosophie de son temps et des siècles passés : la scolastique, que l'on peut
définir comme une réappropriation chrétienne de la doctrine d'Aristote.
Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie
spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie pratique ».
La
philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait prédominer la
contemplation sur l'action, le voir sur l'agir.
Aristote et la tradition grecque
faisaient de la science une activité libre et désintéressée, n'ayant d'autre
but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté.
La vie active est
conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non seulement des
hommes, mais des dieux.
Descartes subvertit la tradition.
D'une part, il cherche des « connaissances
qui soient fort utiles à la vie », d'autre part la science cartésienne ne
contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de
connaissance.
Avec le cartésianisme, un idéal d'action, de maîtrise s'introduit au coeur même de l'activité de
connaître.
La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une « philosophie
pratique ».
« Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait
sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi
pour la conservation de la santé [...] »
La nature ne se contemple plus, elle se domine.
Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à l'homme
pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur ».
Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle de la
technique.
Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut s'appliquer
dans une technique.
La technique n'est plus un art, un savoir-faire, une routine, elle devient une science
appliquée.
D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos
artisans ».
Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres ».
Il n'est pas
indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.
On connaît comme on agit ou on
transforme, et dans un même but.
La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert à l'action de l'homme,
dans son propre intérêt.
Connaître et fabriquer vont de pair.
D'autre part, il s'agit « d'inventer une infinité d'artifices » pour jouir sans aucune peine de ce que fournit la nature.
La salut de l'homme provient de sa capacité à maîtriser et même dominer techniquement, artificiellement la nature.
Ce projet d'une science intéressée, qui doive nous rendre apte à dominer et exploiter techniquement une nature
désenchantée est encore le nôtre.
Or la formule de Descartes est aussi précise que glacée ; il faut nous rendre « comme maître et possesseur de la
nature ».
« Comme », car Dieu seul est véritablement maître & possesseur.
Cependant, l'homme est ici décrit
comme un sujet qui a tous les droits sur une nature qui lui appartient (« possesseur »), et qui peut en faire ce que
bon lui semble dans son propre intérêt (« maître »).
Pour qu'un tel projet soit possible, il faut avoir vidé la nature de toute forme de vie qui pourrait limiter l'action de
l'homme , et poser des bornes à ses désirs de domination & d'exploitation.
C'est ce qu'a fait la métaphysique
cartésienne, en établissant une différence radicale de nature entre corps & esprit.
Ce qui relève du corps n'est
qu'une matière inerte, régie par les lois de la mécanique.
De même en assimilant les animaux à des machines,
Descartes vide la notion de vie de tout contenu.
Précisons enfin que l'époque de Descartes est celle où Harvey
découvre la circulation sanguine, où le corps commence à être désacralisé, et les tabous touchant la dissection, à
tomber.
Car ce qu'il y a de tout à fait remarquable dans le texte, c'est que le projet de domination technicienne de la
nature ne concerne pas que la nature extérieure et l'exploitation des ressources naturelles.
La « philosophie
pratique » est utile « principalement aussi pour la conservation de la santé ».
Le corps humain lui aussi, dans ce
qu'il a de naturel, est objet de science, et même objet principal de la science.
« S'il est possible de trouver quelque
moyen qui rende les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine
qu'on doit le chercher.
»
La véritable libération des hommes ne viendrait pas selon Descartes de la politique, mais de la technique et de la
médecine.
Nous deviendrons « plus sages & plus habiles », nous vivrons mieux, en nous rendant « comme maîtres &
possesseurs de la nature ».
La science n'a pas d'autre but.
Le souhait de Descartes de se rendre «maîtres et possesseurs de la nature» s'est mille fois réalisé.
Grâce à la.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Peut-on en toute rigueur parler des "miracles" de la technique ?
- Peut-on, en toute rigueur, parler de culture technique?
- Peut-on parler de miracles de la technique ?
- Peut-on dire en toute rigueur qu'il existe une culture technique ?
- Sujet : Le travail technique est-il une transformation de l’homme ?