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Peut-on dire que « l'impossible, c'est le réel » ?

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« A première vue, il semble qu'on puisse tenir pour impossible ce qui ne s'accorde pas avec les conditions de possibilité d'une existence réelle ; définition quelque peu circulaire mais qui a le mérite d'opposer l'impossible au réel.

Dès lors, comment défendre l'idée d'après laquelle « l'impossible, c'est le réel » ? Partant de l'idée que l'impossible est précisément ce qui ne peut être réalisé, nous sommes condamnés à buter contre une affirmation paradoxale.

Nous verrons que c'est au prix d'une distinction entre la réalité et le réel que se dessinera la solution à ce qui semble donc pour l'instant contradictoire. I- L'impossible c'est l'irréel. Ce qui est impossible pourrait éventuellement exister dans un autre monde, ou si des conditions plus favorables étaient réunies, l'impossible n'est pas égal au non-être car il n'est pas impossible en soi.

On peut imaginer un monde où des vitesses dépasseraient celle de la lumière, où les montagnes n'auraient pas de vallée, et où la vue ne nous dévoilerait aucun horizon.

Or, un tel monde est irréel.

L'impossible est donc logiquement hors de la sphère de la réalité. Mais il y a de l'impossible provisoire qui n'est tel que pour un certain laps de temps, et qui deviendra prochainement possible voire réel.

L'impossible peut donc être virtuellement réel, il n'en demeure pas moins, en tant qu'impossible, effectivement irréel. Quoiqu'il soit irréel, nous entretenons un rapport à cet impossible, parce qu'il nourrit nos rêves, notre imagination, dont Bachelard a souligné la richesse et la nécessité.

L'imaginaire est un pouvoir proprement humain, qui consiste en une recombinaison originale d'images rencontrées, et qui permet à l'homme de se composer un monde.

Se nourrir d'impossible est vital, au sens où l'homme a toujours besoin de plus que ce dont il dispose, l'imaginaire n'est pas un caprice, un défaut, mais une dimension vitale de l'existence, qui permet à l'homme de se reposer, de gérer son ennui et de se libérer de la monotonie de son quotidien. L'enfant, qui, comme la psychanalyse le met en évidence, demeure pris dans l'imaginaire, ne sait pas très bien distinguer ce qui est possible de ce qui ne l'est pas.

L'imaginaire doit être ici entendu non seulement au sens de la production d'image et de fantaisies, mais comme croyance en notre pouvoir sur les choses et en la validité de notre manière spontanée de les concevoir. L'enfant fait l'épreuve des limites de son monde, de son corps et de l'autorité de ses parents, il dessine petit à petit les limites de ce qui est impossible et quitte le monde de l'imaginaire-roi pour celui de la réalité. II- La réalité et le réel. Si l'impossible égale l'irréel, le possible n'égale pas pour autant le réel mais s'accorde avec lui en cela qu'il peut en droit devenir réel, ce qui dépend des circonstances.

Il semble que nous nous engageons ainsi dans une impasse, rendant improbable la défense de la sentence d'après laquelle « l'impossible, c'est le réel ».

Or, on trouve dans la philosophie allemande, puis dans la psychanalyse, une distinction entre réalité et réel, laquelle pourrait nous mettre sur la voie d'une réponse possible. La réalité c'est le monde en chair et en os « leibhaft » qui se déroule devant nous, nos sens peuvent faire l'épreuve de sa présence, de sa solidité, nous pouvons le décrire, le toucher, le partager avec autrui.

La réalité c'est le donné de l'expérience commune, le sol mondain que tout le monde foule de ses pieds.

Elle est à la fois ce qu'il y a de plus indubitable et de plus commun, elle est à la fois impersonnelle et cependant je ne l'appréhende qu'à partir de mon point de vue singulier. Le réel en revanche ne désigne rien de substantiel ni d'attestable, il n'a pas de valeur empirique mais correspond à la véritable nature des choses, telle que je n'en peux avoir l'idée.

Le réel ce n'est donc pas le donné immédiat, le sol commun de l'expérience, mais le visage caché des choses, qui nous échappe parce que nous sommes obnubilés par notre pouvoir sur le monde, qui nous persuade que nous sommes maîtres de nous même et que nous savons ce que nous voulons. III- L'impossible, c'est le réel. Dans les années 1950, le psychanalyste Jacques Lacan développe une pensée en marge des courants conventionnels, et qu'il développe dans une topique articulant l'imaginaire, le symbolique et le réel.

Dans le Séminaire XI, consacré à l'écrivain Joyce, il déclare que l'impossible c'est le réel parce que ce dernier est l'irreprésentable.

Nos moyens de représentation manquent le réel, nous ne pouvons ni l'imaginer ni le symboliser.

Il se soustrait à notre pouvoir, il ne peut être appréhendé de quelque manière que ce soi. Tout juste pouvons nous le rencontrer parfois, mais seulement de manière involontaire, en nous y cognant.

Le réel enveloppe notamment la véritable nature de notre désir, tandis que notre imaginaire pense identifier ce dernier parmi tel ou tel objet dont on s'entiche et qui ne font qu'égarer notre désir réel, lequel est trop violent pour pouvoir se livrer au grand jour à la conscience.

Lacan a notamment loué Kant pour avoir montré, par l'intermédiaire de sa philosophie pratique et de l'impératif catégorique, que la morale la plus pure était en même temps impossible à tenir.

En effet, contrairement à ce que les critiques du formalisme kantien laissent trop souvent supposer, Kant assume parfaitement le caractère improbable de la morale qu'il propose.

Plutôt que d'accuser son formalisme, Lacan félicite donc sa perspicacité. L'impossible ne doit donc pas être thématisé simplement dans le cadre d'une pensée empirique de l'objet et de sa réalisation, il y a une dimension d'impossibilité constitutive de notre vie, loin que celle-ci ne consiste qu'en une réalisation transparente de possibles. Notre désir est polarisé par un réel qui se travesti sous diverses formes parce qu'il est impossible à avouer.

La perspective psychanalytique permet de se défaire de l'attitude naïve suivant laquelle nous sommes totalement conscients de nos désirs, notre rapport au monde, vectorialisé par le désir, est en fait fonction de notre imaginaire. Conclusion : Il est donc possible de soutenir que l'impossible c'est le réel, à condition de se défaire de la conception que le sens commun se fait du réel.

Il faut commencer par distinguer le réel de la réalité, c'est-à-dire le sens véritable de nos actes de l'apparence évidente et phénoménale qu'ils revêtent.

Tandis que la réalité est une matière pour l'imaginaire et le symbolique (qui consiste à découper le monde en mots et en objets), le réel en revanche échappe à notre conscience, sans que l'on s'en aperçoive.

L'impossible est donc ce qui vient qualifier le réel, au sens où ce réel, compris comme vérité du désir, sens profond de l'existence, ne se donne jamais à voir à la conscience.. »

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