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Peut-on dire que la réalité obéit à des lois mathématiques ?

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« [Introduction] Lorsque Galilée affirme que « les mathématiques sont le langage de la nature », il inaugure la version moderne des sciences, celle qui sera la plus productive, dont l'efficacité et les progrès semblent a priori sans limite.

Mais il met aussi au jour l'une des questions majeures de toute théorie de la connaissance : comment comprendre cet accord entre des lois mathématiques et les phénomènes de la nature ? En d'autres termes est-ce bien la réalité en elle-même qui obéit à des lois mathématiques ? ou n'est-ce que ce que nous percevons de la réalité ? [I.

Des mathématiques comme fondement aux mathématiques comme langage] En considérant dans Timée que l'univers sensible a été élaboré par un démiurge qui a utilisé des formes géométriques éternelles (les « solides de Platon) pour donner forme au chaos initial, Platon, fidèle à la tradition pythagoricienne, affirme que l'univers est mathématiquement structuré.

Cela l'autorise à situer les mathématiques, dont les « objets » et les relations sont indépendants du temps, juste avant la philosophie dans la hiérarchie des savoirs possibles, comme une sorte de propédeutique à l'étude des Idées.

Mais cela ne détermine aucunement, dans les conceptions préscientifiques de Platon, le principe affirmant que les événements du monde doivent obéir à des lois mathématiques.

Les mathématiques interviennent ici antérieurement au réel sensible, mais l'étude de ce dernier (qui n'a évidemment pas grand intérêt du point de vue platonicien) semble être possible sans que l'on envisage d'en transcrire les phénomènes sous forme mathématique. Cette manière de penser se prolonge - et se retrouve notamment dans la mentalité chrétienne aussi longtemps qu'une attitude proprement scientifique, ou expérimentale, n'est pas encore établie par rapport à la « réalité ».

En revanche, la mise au point de l'attitude expérimentale fait immédiatement intervenir une mathématisation de la loi découverte.

Les phénomènes étudiés sont quantifiés, leurs relations se calculent, les lois s'énoncent mathématiquement, et la mathématisation devient une garantie de scientificité. Cette mathématisation du réel pris en charge par les lois ne pose pas nécessairement problème aux philosophes chrétiens : si l'on admet que Dieu a créé aussi bien le monde que les mathématiques, il n'est pas surprenant que le premier obéisse aux secondes, puisque la totalité de ce qui existe participe d'une raison unique.

Et le rationalisme, dans sa version cartésienne par exemple, peut considérer que c'est bien la réalité ellemême qui nous est révélée par les lois. [II.

Justification du relativisme] Si, en revanche, on considère que les mathématiques, tant en ce qui concerne leurs notions qu'en ce qui concerne leurs « lois », résultent d'une activité rationnelle a priori effectuée par l'homme lui-même - c'est ce qu'affirme avec force Kant dans la préface à la Seconde Édition de la Critique de la raison pure -, leur accord avec le réel devient beaucoup plus problématique.

Or, les lois qui régissent les phénomènes n'en continuent pas moins à être mathématisables - et elles le sont même de plus en plus, d'un point de vue quantitatif, si l'on tient compte de la scientificité croissante du savoir au cours de la période qui sépare Descartes de Kant. Comment, dans ce contexte nouveau, rendre raison de cette mathématisation du réel ? La solution kantienne est simple : ce n'est pas le réel lui-même qui obéit aux lois mathématiques, c'est, plus modestement ou localement, la version que nous en avons.

En proposant de distinguer les noumènes et les phénomènes, Kant limite notre possibilité de connaître aux seconds, constitutifs d'un monde qui nous « apparaît » (c'est ce que signifie le verbe d'où vient le mot « phénomène ») et correspond à nos moyens de perception.

Le monde que nous connaissons est de la sorte un monde « pour nous », un monde de notre point de vue - mais rien ne peut garantir qu'il correspond à la réalité en soi. Notre raison prend en charge et organise nos perceptions phénoménales et, complémentairement, c'est elle qui élabore les mathématiques.

De la sorte, les mathématiques qu'elle construit sont fondées sur les principes également à l'oeuvre dans l'organisation de la connaissance.

L'accord entre les données expérimentales et la structuration mathématique résulte de la double activité de l'esprit, mais il suppose que, désormais, on opère une distinction entre la réalité et les vérités que nous construisons à son propos. Un tel relativisme peut donc considérer, non que le réel obéit à des lois mathématiques, mais que ces dernières sont la meilleure mise en forme possible du monde phénoménal. SUPPLEMENT: Quel peut-être désormais, dans la perspective axiomatique, le rapport entre mathématiques et réalité ? Les mathématiques modernes ont tendance à penser que ce rapport, quand il existe, est purement accidentel : on constate simplement que, parmi l'infinité des constructions mathématiques possibles, quelques-unes, en très petit nombre, expriment correctement certains aspects bien déterminés du réel physique, mais cette façon de voir exclut l'idée qu'il existerait un rapport global quelconque entre l'ensemble des mathématiques et la totalité du réel. Cette position prudente, conforme d'ailleurs aux données récentes de l'histoire des sciences, ne peut cependant satisfaire toutes les questions que l'on est en droit de se poser.

Une des plus importantes peut sans doute se formuler ainsi : Euclide a construit sa géométrie en se guidant sur les propriétés des corps solides telles que son intuition les lui livrait.

Mais il a aussi, du même coup, bâti un système conceptuel axiomatisable, sinon complètement axiomatisé.

D'où vient donc que les propriétés intuitives des corps solides constituent précisément un tel système ? Il va de soi que la réponse n'appartient pas au mathématicien, et pourtant, s'il n'en avait pas été ainsi, l'apparition d'une géométrie rationnelle, à une époque quelconque de l'histoire, eût été inconcevable. Plus profondément, c'est le problème des rapports entre raison et expérience, entre intelligence et sensibilité, c'est-. »

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