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Peut-on dire d'une civilisation qu'elle est supérieur à une autre ?

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« VOCABULAIRE: CIVILISATION: Dérivé du latin civis, « citoyen ».

Par opposition à l'état sauvage ou à la barbarie, résultat des efforts de l'homme pour discipliner ses pulsions et domestiquer son environnement.

En sociologie, ensemble des phénomènes sociaux, religieux, intellectuels, artistiques, scientifiques et techniques propres à une société donnée. « P eut-on dire » interroge sur la légitimité et tout d'abord sur la possibilité d'un jugement énonçant : telle civilisation est supérieure à telle autre.

A vonsnous les moyens de porter un tel jugement ? Le jugement dont il s'agit contient une comparaison.

Une comparaison a besoin de critères.

Exemples : plus grand, plus petit (le critère est la grandeur), plus fort, plus faible (le critère est la force, la puissance), etc.

Y a-t-il des critères qui permettent de comparer en termes d'infériorité et de supériorité des civilisations ? Si oui, lesquels ? Peut-on tous les énumérer ? Peut-on en faire usage séparément, découper l'objet « civilisation » en aspects distincts dont on ferait ensuite l'addition ? Choisira-t-on au contraire un critère plus décisif que les autres ? Et comment alors justifiera-t-on ce choix ? Devra-t-on finalement s'en remettre à son sentiment personnel ? Il faudrait alors revenir sur l'ambiguïté de ce mot « on » dans le « peut-on dire » ? Puis-je prétendre parler au nom de « tout le monde » quand je livre mon jugement personnel ? Toutes ces questions, préalables à l'expression d'une opinion, ne sont pas pour autant des hors-d'oeuvres.

Elles dessinent le cadre général de la question qui nous est posée.

Leurs réponses dépendent à présent de ce que peuvent nous dire ces deux mots : « civilisation » et « supérieure ». « Supérieur » est souvent employé dans un sens superlatif voisin de « excellent » (que l'exclamation triviale « super ! » exprime pleinement), mais c'est originellement un comparatif, comme « meilleur », en accentuant, par rapport à ce dernier, une idée de rivalité ou même de combat.

Si l'on poussait encore plus loin cette idée, on serait amené à interpréter la comparaison entre une civilisation et une autre comme la question de savoir laquelle s'est montrée ou se montrera la plus forte dans un affrontement. C ette interprétation risque fort d'être très réductrice, surtout si l'on fait de la puissance militaire l'élément essentiel de la force.

D'une part elle laisserait en dehors d'elle la comparaison des civilisations qui ont cohabité ou se sont succédé dans le temps sans pour autant se combattre ou s'être combattues. D'autre part une civilisation peut en soumettre militairement une autre et n'en pas moins subir son ascendant culturel au point de s'en trouver elle-même transformée (exemple : l'hellénisation de Rome). A lors, quelle(s) autre(s) forme(s) de supériorité peut faire préférer une civilisation à une autre ? Jusqu'ici nous avons usé du mot « civilisation » en nous appuyant sur un sens globalement perçu.

V oyons plus précisément ce qu'il contient en nous aidant de la définition qu'en propose un dictionnaire.

« Civilisation : ensemble de phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques) communs à une grande société ou à un groupe de sociétés.

Civilisation chinoise, égyptienne, grecque » (Petit Robert).

Si nous faisons correspondre aux adjectifs de la parenthèse les différents regards qu'on peut porter sur une civilisation, on trouvera autant d'aspects, ou d'éléments, qui la composent : ses dieux, le culte qu'elle leur voue ou lui voue, s'il est unique, son rapport au sacré, à la mort, ses lois, sa conception de la justice, son art, son savoir, son savoir-faire.

L'aspect politique semble manquer dans cette définition (s'agit-il d'empire, de royaume, de république), mais peut-être est-il considéré comme un élément variable à l'intérieur d'une même civilisation, comme l'exemple encore une fois de Rome ou de la Grèce antique le montre.

Avec ou sans lui, cette collection d'aspects de ce qu'on appelle une civilisation risquerait fort, si nous voulions « donner une note » à chacun d'eux et comparer ensuite « les moyennes », de nous entraîner dans un jeu d'opinions, c'est-à-dire loin d'une réflexion philosophique. Un autre embarras est l'incertitude touchant les limites qu'on doit ou qu'on peut assigner à une société ou groupe de sociétés marquées par une même civilisation.

S'il s'agit de civilisations achevées, éloignées de nous dans le temps, comme les civilisations de l'Antiquité, les historiens peuvent nous apprendre avec une assez grande précision leur durée, la courbe qu'elles ont suivie depuis leur origine jusqu'à leur déclin en passant par leur apogée, de même que leur extension géographique au fil du temps.

Il est évident que ce ne sera pas le cas pour les civilisations « en marche », actuelles et non achevées, en particulier celle qu'on appelle communément « la civilisation occidentale ».

Où la fera-t-on commencer ? A u Moyen A ge ? En rupture avec lui ? Plus tard encore ? Et dans l'espace, peut-on aujourd'hui lui trouver dans l'ensemble du monde habité des limites qui ne soient pas arbitraires ? Deux aspects, en effet, de la civilisation occidentale, les deux derniers dans l'énumération du dictionnaire, son savoir et son savoir-faire, se sont imposés, se sont rendus indispensables, en tant que science et technique, à toutes les nations de la Terre, qu'elles soient « hautement industrialisées » ou « en voie de développement ».

Sur ce point, la civilisation occidentale déborde ses rivales, devenues ses imitatrices.

Leur est-elle pour autant supérieure ? La question est, on le sait, controversée.

Le « modèle occidental » fait l'objet de louanges mais aussi de critiques.

« T out n'y est pas bon ». Que veut dire alors « bon » – et donc aussi « supérieur » au sens large de meilleur – en parlant d'une civilisation ? Bon en quoi ? C ette question nous ferait retomber dans le jeu d'opinions récusé tout à l'heure.

Interrogeons plutôt la légitimité de l'opinion elle-même, et demandons, comme une question préalable à toute autre : bon pour qui ? Elle peut s'entendre de deux façons : 1 / bon au jugement de qui ? 2 / bon au bénéfice de qui ? 1 / Bon au jugement de qui ? Avant de dire que chacun est libre de préférer les Grecs aux Égyptiens ou inversement, il faut observer que ces préférences individuelles ne sont possibles que parce que leur objet – civilisation grecque, civilisation égyptienne – a déjà été reconnu, répertorié, classé, comme on le dit d'un monument historique, par la mémoire des hommes en raison de son éminente contribution au patrimoine de l'humanité.

C e mérite commun à toutes les « grandes civilisations » fait paraître mesquine l'idée de les mettre en concurrence.

Tout au plus pourrait-on comprendre leur succession comme les étapes d'une histoire de l'humanité supposée en progrès.

A quoi on pourrait répondre que l'idée d'une humanité progressant à travers l'histoire est propre à notre civilisation occidentale, la dernière venue, et nous serions donc ici juges et partis en prétendant l'imposer comme une loi de l'histoire universelle. C ette idée de progrès paraît d'autre part sans usage pour juger la prééminence de l'une ou l'autre civilisation dans les domaines où leur trace est la plus perceptible : la religion, l'art, la pensée.

A vec quelle certitude et de quel point de vue « impartial » pourrait-on prétendre que telle conception du sacré est supérieure à telle autre, qu'une église gothique est plus belle ou moins belle qu'un temple grec, que tel penseur de l'Antiquité est moins grand ou moins profond que tel philosophe moderne ? La hiérarchie qu'on pourrait ici établir porterait bien plutôt sur les degrés divers d'information et de compétence de la part des juges.

Plus ils seront élevés et moins les jugements pourront se satisfaire de lieux communs et de classifications sommaires.

En dernière instance c'est une affinité personnelle développée par l'étude qui motivera l'admiration pour une civilisation entre toutes les autres. 2 / Mais dire qu'une civilisation est admirable par l'héritage spirituel, artistique, qu'elle nous a transmis, pourrait occulter les conditions dans lesquelles cet héritage s'est constitué, le prix qu'il a coûté à la société qui l'a produit, c'est-à-dire aux hommes de ce temps-là. « Bon pour qui ? » vise alors ici la qualité de vie qu'on peut estimer avoir été ou être encore celle des hommes contemporains de telle ou telle civilisation. Mais là encore il est évident que cette estimation passe par un jugement qui ne peut être que le nôtre aujourd'hui, c'est-à-dire celui de notre civilisation occidentale possédant ses principes, ses normes et ses lois morales particulières.

O r c e s normes qui lui sont particulières ont paradoxalement pour caractéristique de se déclarer universelles, comme le manifeste clairement la C harte des droits de l'homme, qui recueille effectivement aujourd'hui l'approbation de toutes les sociétés ou nations au moins dans son principe, à savoir que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C e principe, si on l'appliquait rétrospectivement, disqualifierait presque toutes les civilisations passées, qui ont recouru à l'esclavage et qui ont généralement sacrifié l'individu au profit de la collectivité.

Or ce dernier point justement mérite réflexion.

Deux grandes options s'opposent ici : l'une, la nôtre, privilégie l'individu, la personne, l'autre, plus ancienne mais encore présente, vise avant tout un bien supérieur, dépassant absolument le bien propre de chacun : ce peut être la prospérité de la cité ou le service d'un dieu ou de l'incarnation d'un dieu.

On peut penser que ces options différentes ont chacune leur logique et leur cohérence, sans quoi les civilisations qui les ont adoptées ne dureraient pas ou n'auraient pas duré longtemps.

Mais on voit bien aussi la difficulté d'entrer dans une de ces logiques quand on a été formé par l'autre.

Les formes que peuvent encore prendre le bonheur et la justice dans une société ancienne ou « primitive », dont les principes nous paraissent contraires aux nôtres, sont sans doute ce que nous pouvons le plus difficilement observer et reconnaître.

Là encore, là surtout, notre vue sur une civilisation est tributaire du travail et de la compétence des historiens et des ethnologues qui nous renseignent .. »

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