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Pense-t-on jamais seul ?

Extrait du document

« La problématique du sujet repose sur l'ambiguïté de l'adverbe "jamais".

La phrase n'est pas négative, ce qui implique que jamais est synonyme de "au moins une fois" ou éventuellement "parfois".

Peut-on penser au moins une fois seul dans sa vie ? Ceci laisse entendre que la pensée autonome, que le fait de penser seul constituerait une exception ou un défi, que la plupart du temps nos pensées seraient influencées, voire dirigées.

Comment peut-on être sûr d'être seul à penser ce que l'on pense ? Sommes-nous l'origine unique de nos pensées ? La vraie pensée n'implique-t-elle pas la communication (réelle ou présupposée) avec d'autres hommes ? Quelle est l'autonomie du jugement ? Comment distinguer véritable pensée et opinion subjective ? La pensée suppose d'être assumée devant les autres, elle les prend en compte, elle s'adresse à eux.

La pensée suppose de pouvoir être justifiée, on doit pouvoir en rendre raison contrairement à l'opinion.

Dès lors elle est d'essence dialogique.

Ainsi, Socrate dit qu'elle est un dialogue de l'âme avec elle-même.

Ce dialogue ne peut qu'être enrichi par la présence des autres.

Il y aurait donc comme condition de la pensée une pensée en commun ou une communauté de pensée.

Ainsi le travail solitaire de Descartes dans les Méditations métaphysiques est-il adressé aux autres — il revient à chacun de faire "au moins une fois dans sa vie", comme il dit, cette expérience métaphysique de la pensée — et les implique : ainsi y a-t-il des objections et des réponses dans le corps même du texte et à sa suite.

Si l'expérience de la pensée est souvent solitaire, elle suppose autrui au même titre que notre conscience est tissée de nos relations aux autres.

Cela n'implique pas cependant la perte de l'autonomie de notre jugement.

Se laisser convaincre par les autres n'est pas se laisser persuader par eux : en étant convaincu par les raisons de l'autre, j'augmente mes connaissances, donc d'une certaine manière ma liberté.

La distinction entre convaincre et persuader mériterait d'être de ce fait approfondie à travers les textes de Platon et de sa critique de la rhétorique ou de la sophistique. Lorsqu'il n'est pas précédé par une négation, l'adverbe « jamais » signifie « au moins une fois ».

Il faut donc comprendre la question ainsi : « Est-il possible de penser au moins une fois seul ? » Ce qui laisse entendre que penser seul constituerait une exception, voire un défi.

C'est déjà une première piste.

Mais tentons d'aller plus loin 1.

Trois exemples pour donner sens à la question Pour rendre une question « parlante » il suffit parfois d'imaginer une ou plusieurs situations dans lesquelles elle pourrait se poser.

A notre tour imaginons trois saynètes. 1 / A quelqu'un qui prétendrait avoir des idées originales et personnelles, son ami pourrait répondre : « On n'est jamais seul à avoir une idée ; tout a déjà été dit.

Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

De toute façon, nos idées ne font que refléter notre milieu.

» 2 / Un élève pourrait expliquer son refus d'écouter un cours ou de suivre les conseils de lecture de son professeur par sa volonté d'être l'origine unique de ses idées.

Pour lui, penser seul signifie rompre avec la culture 3 / Le même élève à qui l'on demanderait de justifier son jugement pourrait répondre : « Je n'ai pas de comptes à rendre.

Ma pensée ne regarde que moi.

Je pense seul.

» En cohérence avec sa logique, il pourrait aller jusqu'à refuser de rendre des dissertations, ou, ce qui revient à peu près au même, se retrancher derrière des propos impersonnels. Ces exemples illustrent trois variations possibles du sujet.

Dans le premier cas penser seul signifierait « avoir l'exclusivité d'une opinion ».

Dans le second exemple penser seul équivaudrait à refuser la culture, sous prétexte qu'elle nous vient de l'extérieur.

Enfin dans le troisième exemple penser seul reviendrait à s'exclure de la communication.

Ces trois situations envisagent la pensée selon trois aspects différents : son contenu, son origine ou sa destination.

Envisageons notre question sous ces trois angles. II.

Pouvons-nous être absolument sûrs d'être seuls à penser ce que nous pensons ? 1.

Tout a déjà été pensé Peut-être que les jugements les plus extrêmes et les plus audacieux ont déjà été soutenus et seront à nouveau soutenus dans l'avenir.

D'où la conclusion : « Rien de nouveau sous le soleil ! » De toute façon, comment faire un inventaire de toutes les pensées qui nous garantirait de manière certaine qu'une idée est absolument originale.

On voit bien que l'interprétation s'appuyant sur le seul contenu de la pensée nous aiguille sur de fausses pistes. Mais dans notre exemple l'interprétation n'en reste pas là.

Elle suggère que si on n'a pas d'idées originales c'est qu'on est déterminé ou influencé par les autres.

L'acte de penser est confondu avec son résultat (l'énoncé d'un simple contenu d'idée), et puisque ce contenu ressemble à d'autres contenus analogues, on en conclut qu'il n'y a pas d'idées personnelles.

Bref, si je n'ai pas d'idée originale, c'est que je ne pense pas seul.

C'est un peu comme si l'enfant voulait non seulement s'habiller tout seul, mais exigeait en plus d'être le seul à s'habiller. 2.

Penser seul peut signifier penser par soi-même Pour dissiper la confusion, il suffirait peut-être d'interpréter l'expression : « Penser seul » par cette autre : « Penser par soi-même ».

Imaginons que je réussisse à résoudre un problème de mathématiques par un raisonnement judicieux, trouvé par moi-même sans me contenter d'appliquer mécaniquement des procédés tout faits de résolution. Je ne suis peut-être pas le seul à trouver la solution ni même à conduire ma démonstration ; et pourtant j'ai bien pensé seul, sans l'aide de personne, exactement comme l'enfant apprend à s'habiller seul sans l'aide de ses parents. Une pensée est personnelle, quel qu'en soit le contenu, lorsqu'elle traduit un dynamisme intérieur.

Penser véritablement ne consiste pas à adhérer à une opinion (fût-elle « originale »), mais à construire un raisonnement qui établisse la vérité ou à tout le moins la probabilité d'un jugement.

On ne possède pas une pensée comme on posséderait un bijou de famille ; on se l'approprie comme le potier prend possession de la matière pour lui imprimer la forme qu'il destine à son oeuvre.

Et la forme pour la pensée, c'est l'ensemble des raisons qui nous conduisent à formuler un jugement.

C'est par ces raisons qu'une pensée authentique se distingue d'une opinion arbitraire.. »

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