Pense-t-on jamais par soi-même ?
Extrait du document
«
introduction
« J'aurai aussi mes idées de derrière la tête » (Pascal, éd.
Brunschvicg, 310).
Est-ce vraiment possible? Pense-t-on
jamais par soi-même ?
Première partie : On ne pense pas d'abord par soi-même
a) Descartes souligne que « nous avons tous été enfants avant que d'être
hommes » ; nos jugements ne peuvent donc être ni « si purs ni si solides
qu'ils auraient été si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point
de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle »
(Discours de la Méthode, II).
Nos premières idées sont des opinions reçues.
Nos premiers jugements sont des préjugés.
b) La première règle, en philosophie, contient en conséquence l'obligation «
d'éviter soigneusement (...) la prévention » ; il ne faut pas tenir pour vrais
des jugements dont notre pensée n'a pas examiné la valeur de vérité.
Penser
par soi-même est, en ce sens, philosophiquement nécessaire.
Le premier principe de la méthode établie par Descartes dans son Discours de
la méthode est «de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la
connusse évidemment être telle; c'est-à-dire d'éviter soigneusement la
précipitation et la prévention».
Pour bien penser, il faut d'abord n'accepter
aucune vérité sans la soumettre à un examen critique.
Mais le doute de
Descartes est provisoire et non sceptique, et, a pour but de trouver une
certitude entière & irrécusable.
On le sait cette certitude sera celle du cogito.
On sait que les « Méditations » de Descartes commencent, elles aussi, par
l'exercice d'un doute absolu : Descartes rejette le témoignage des sens (en
rêve on croit voir, entendre, bouger et ce n'est qu'illusion).
Il rejette même
les vérités mathématiques (car il peut se faire qu'un « malin génie » tout-puissant s'amuse à me tromper dans
toutes mes pensées).
Mais ce doute cartésien s'oppose radicalement au doute sceptique.
D'abord le doute cartésien est provisoire (il
prend fin lorsque Descartes s'aperçoit qu'il peut douter de tout sauf du fait même qu'il pense et qu'il doute : et
cette évidence invincible : je pense donc je suis est une première vérité d'où bien d'autre vont jaillir).
C'est un doute volontaire, un doute « feint », dit Descartes dont la fonction est d'accoutumer « l'esprit à se
détacher des sens » (« abducere mentem a sensibus ») et même de tout objet de pensée pour révéler en sa pureté
l'acte même de penser.
Le doute cartésien a la valeur d'une pédagogie de l'ascèse qui vise à nous délivrer
provisoirement des pensées pour révéler que nous avions l'esprit que nous sommes.
Le doute cartésien est
méthodique (le malin génie n'est lui-même qu'un « patin méthodologique » (Gouhier), c'est une technique mise au
service de la recherche du vrai.
Le doute cartésien est un doute optimiste et héroïque, un déblaiement préalable qui précède la construction de
l'édifice philosophique, une décision volontaire de faire table rase de toutes les connaissances antérieures pour bâtir
une philosophie nouvelle.
La vérité, donc, jaillit, dans sa pleine clarté, à l'issue d'une critique, d'un doute méthodique et hyperbolique.
L'esprit
critique est la condition de possibilité même de la vérité.
c) Beaucoup d'hommes, selon la remarque de Kant, semblent cependant incapables de se servir de leur entendement
sans la direction d'autrui : ils restent mineurs leur vie durant.
« La cause en réside non dans un défaut de
l'entendement, mais dans un manque de courage ».
Par facilité, paresse ou lâcheté, on peut ne jamais penser par
soi-même.
Socrate était d'abord courageux.
KANT: Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable.
L'état de
tutelle est l'incapacité à se servir de son entendement sans la conduite d'un autre.
On est soi-même responsable de
cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la
résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre.
Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton
propre entendement ! Voilà la devise des Lumières.
Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu'un si grand
nombre d'hommes, après que la nature les eut affranchis depuis longtemps d'une conduite étrangère, restent
cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu'il est si facile à d'autres de se poser
comme leurs tuteurs.
Il est si commode d'être sous tutelle.
Si j'ai un livre qui a de l'entendement à ma place, un
directeur de conscience qui a de la conscience à ma place, un médecin qui juge à ma place de mon régime
alimentaire, etc., je n'ai alors pas moi-même à fournir d'efforts.
Il ne m'est pas nécessaire de penser dès lors que je
peux payer ; d'autres assumeront bien à ma place cette fastidieuse besogne.
Et si la plus grande partie, et de loin,
des hommes (et parmi eux le beau sexe tout entier) tient ce pas qui affranchit de la tutelle pour très dangereux et
de surcroît très pénible, c'est que s'y emploient ces tuteurs qui, dans leur extrême bienveillance, se chargent de les
surveiller.
Après avoir abêti leur bétail et avoir empêché avec sollicitude ces créatures paisibles d'oser faire un pas
sans la roulette d'enfant où ils les avaient emprisonnés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace s'ils.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- « L’homme n’est jamais moins seul que lorsqu’il est seul » CICÉRON
- on ne lit jamais un livre. On se lit dans où à travers les livres, soit pour se découvrir, soit pour se contrôler dissertation
- Essai philosophique : Parvient-on jamais à être soi-même ?
- MAUSS: «Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate pour ainsi dire jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d'un marché passé entre les individus.»
- KANT: «Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen.»